Malgré une baisse du taux de pauvreté annoncée par le HCP, Mohamed Amrani, professeur d’économie, appelle à la prudence. Il alerte sur la montée de la vulnérabilité, les effets pervers de certaines aides sociales, l’urgence de désenclaver le monde rural et la nécessité de réorienter les efforts vers la formation, la coopération et les infrastructures de base. Entretien.
Propos recueillis par C. Jaidani
Finances News Hebdo : Le haut-commissariat au Plan (HCP) a annoncé récemment une baisse du taux de pauvreté. Cette tendance peut-elle se poursuivre ?
Mohamed Amrani : La tendance baissière du taux de pauvreté au Maroc se poursuit, et ce malgré l’existence de nombreuses contraintes comme la vague de sécheresse qui a frappé de plein fouet le Maroc pendant six années successives. Mais il faut prendre cette régression avec beaucoup de réserves. Les chiffres publiés récemment par le HCP montrent clairement que la pauvreté a baissé, mais que le niveau de la vulnérabilité a augmenté. En l’absence de mesures drastiques pour lutter contre ce phénomène, plusieurs personnes peuvent basculer facilement vers la pauvreté. Les habitants du monde rural, dont la quasi majorité travaille dans l’agriculture, seront contraints de quitter leurs lieux de résidence vers les villes à la recherche d’emploi dans d’autres activités. Le plus souvent, ils s’installent dans les zones périphériques, particulièrement dans des bidonvilles. Cela crée d’autres problématiques au niveau de la sécurité, le raccordement aux réseaux d’eau, d’électricité et d’assainissement et autres infrastructures ou équipements de base. La lutte contre la pauvreté au Maroc doit se concentrer sur le monde rural pour éviter l’exode vers les villes.
F. N. H. : Outre la généralisation de la protection sociale, existe-t-il d’autres moyens pour mieux lutter contre ce phénomène ?
M. A. : La protection sociale est un grand chantier qui nécessite des moyens importants, notamment budgétaires. Elle permet de réduire les inégalités sociales et d’assurer un minimum de dignité pour la population cible. Mais nous ne devons pas créer une population basée sur l’assistanat. L’octroi mensuel de subventions par le gouvernement aux personnes en situation de précarité a entraîné certains effets pervers, comme l’apparition de gens qui ne veulent plus travailler. Ce phénomène a été relevé par le chef du gouvernement. Car malgré la sécheresse, des fellahs n’ont pas trouvé assez de main-d’œuvre pour faire fonctionner leur exploitation. Il faut plutôt miser sur la formation et l’apprentissage pour que la population démunie dans le monde rural ne soit pas dépendante uniquement de l’agriculture. Il est question aussi de regrouper les personnes cibles dans des coopératives ou des associations pour bien les encadrer et leur inculquer les meilleures pratiques en matière de production, de transformation et de commercialisation. La lutte contre la pauvreté est un travail d’ensemble qu’il faut mener à plusieurs niveaux. Il est indispensable de réduire les inégalités régionales et accorder plus d’attention aux zones qui concentrent le plus de pauvreté. Les efforts de désenclavement doivent se poursuivre en construisant de nouvelles routes et voies d’accès, sans oublier les autres infrastructures ayant un effet sur le développement humain, comme les écoles et les centres de soin. La lutte contre l’analphabétisme est, elle aussi, un levier pour faire face à la pauvreté et la vulnérabilité.
F. N. H. : Et qu’en est-il des villes ?
M. A. : La pauvreté existe aussi bien dans les villes que dans les campagnes. Au niveau urbain, l’avantage est qu’il existe une diversité d’activités économiques où l’insertion sociale est plus facile ainsi que la création de nouvelles sources de revenu. Ce qui n’est pas le cas dans le monde rural où l’agriculture est prédominante. Il est donc essentiel de s’inspirer des expériences réussies menées par plusieurs pays dans ce domaine.