Nicolas Blancher, chef de la mission de consultation du FMI pour le Maroc, apporte son éclairage sur plusieurs sujets d’actualité brûlante, en marge de la Conférence internationale de Marrakech.
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Finances News Hebdo : Que vous inspire le faible taux d’activité des femmes au Maroc qui est de 22% contre 65% pour les hommes ?
Nicolas Blancher : Il est vrai qu’au Maroc, le taux d’activité des femmes dans la vie active est assez bas, même par rapport aux autres pays de la région. D’ailleurs, le FMI fait des suggestions et des recommandations et travaille avec les autorités marocaines afin d’augmenter la participation des femmes dans l’activité économique.
Cette question recouvre plusieurs aspects, notamment l’inclusion financière et la réforme du marché du travail. D’autres volets se greffent aux aspects précités, à l’instar du système éducatif et de la disponibilité d’infrastructures permettant aux femmes de bénéficier des services publics en termes d’éducation.
F.N.H. : Le dernier rapport d’Oxam présenté lors du Forum économique de Davos fait une révélation de taille : 1 Marocain sur 2 vit avec près de mille dirhams par mois, sachant que dans le même temps, le taux de pauvreté a été divisé par trois au cours des dernières années. Que cachent ces chiffres ?
N. B. : Les chiffres de pauvreté du Maroc à l’instar des autres pays demeurent encore inquiétants. Quoique sur les 10 et 15 dernières années, la pauvreté a reculé très rapidement dans le Royaume.
Nous saluons ce progrès. Toutefois, la problématique des inégalités sociale et spatiale, notamment entre le milieu urbain et le monde rural reste entière.
Pour sa part, le FMI travaille avec les pouvoirs publics dans l’optique d’arriver à un meilleur ciblage des dépenses sociales, avec à la clef un impact plus conséquent sur les couches sociales défavorisées.
Notons tout de même que les autorités ont fait des efforts dans ce sens. Pour preuve, la mise en place de l’identifiant unique permet de cibler les populations qui sont dans le besoin.
Une réflexion pour la refonte des programmes sociaux est en cours, car il existe un éparpillement des ressources publiques à travers la pléthore de dispositifs sociaux toujours pas très efficaces. L’existence de doublons et le manque de coordination contribuent à cela.
F.N.H. : Certains pays du Maghreb, pour ne citer que le Maroc et l’Egypte, sont en train de revoir leurs politiques publiques en matière de subvention. A quoi faudrait-il relier cette inflexion régionale ?
N. B. : La question des subventions des produits pétroliers et des denrées alimentaires de première nécessité rejoint celle du ciblage des populations démunies.
Il faut savoir que les subventions, en l’occurrence celles des produits pétroliers en cas de choc exogènes, mettent parfois en danger la stabilité macroéconomique des pays, puisque l’Etat a plus de mal à délivrer ces dépenses prioritaires.
De plus, les subventions générales ont un fort effet régressif. D’où l’intérêt d’améliorer la coordination des politiques de ciblage comme évoqué plus haut.
F.N.H. : Christine Lagarde, Directrice générale du FMI, a salué la réforme opérée par le Maroc allant dans le sens de plus de flexibilité du taux de change. «Les marchés internationaux apprécieront», a-t-elle annoncé. Selon vous, les résultats escomptés seront-ils au rendez-vous ?
N. B. : L’histoire économique montre que les pays qui s’intègrent à l’économie mondiale bénéficient d’une variable de change qui s’ajuste en fonction des chocs subis par l’économie mondiale.
Le Maroc pourra désormais tirer profit de cet avantage afin de préserver sa compétitivité à l’avenir. Donc, cette réforme s’inscrit dans la perspective d’une meilleure intégration à l’économie mondiale, avec en prime la stabilité.
Il faut aussi dire que le Maroc est l’un des rares cas qui initie la réforme du régime de change sans pression. Bien au contraire, celle-ci s’est faite dans une position confortable et dans le cadre d’une décision souveraine, réfléchie et engagée dans la durée.
Nous estimons que l’économie marocaine est dans une position de force permettant d’absorber l’éventuelle volatilité du Dirham qui ne sera pas assez significative à notre avis.
F.N.H. : Les PME ne s’adjugent que 7,5% des crédits octroyés par les banques de la région MENA. Que faut-il faire pour faciliter l’accès au financement des PME pourvoyeuses d’emplois ?
N. B. : La difficulté de l’accès des PME au financement n’est pas spécifique au Maroc, car plusieurs pays de la région l’éprouvent également. Cela amène à réfléchir sur les infrastructures de crédits existantes dans la région.
Un meilleur accès aux crédits suppose de la part des entreprises la possession d’informations utiles.
Outre le système bancaire, les Etats doivent aussi promouvoir d’autres sources alternatives de crédits, pour ne citer que les Fonds d’investissement destinés au soutien des start-up et à l’entrepreneuriat.
De surcroît, il y a lieu d’innover au niveau des marchés de capitaux. En définitive, la création d’un véritable écosystème permettra à terme de résoudre la problématique de l’accès des PME au financement dans la région. ■
Propos recueillis par M. Diao