Monde rural: les paysans face au diktat de la sécheresse

Monde rural: les paysans face au diktat de la sécheresse

Les prix de l’aliment de bétail ont nettement flambé et le marché des ovins et des bovins a chuté.

Plusieurs exploitants ont réduit leurs investissements et recherchent de nouvelles niches pour assurer des revenus.

Les éleveurs tablent sur Aïd Al-Adha pour combler un tant soit peu le manque à gagner.

 

Par M. Ait Ouaanna (Stagiaire) et C. Jaidani

 

 

Le Maroc est en train de vivre l’une de ses pires années de sécheresse. Pour certains observateurs, elle est plus sévère que celles des années 80. Le gouvernement n’a pas tardé à annoncer quelques mesures pour venir en aide aux exploitants sinistrés. Le programme comporte le rééchelonnement de la dette, la distribution d’orge et d’aliment composé de bétail subventionné et aussi des mesures en matière d’abreuvage du cheptel. Mais, dans les campagnes, un climat d’inquiétude et d’attentisme règne. Pour s’enquérir de la situation qui prévaut dans le monde rural, Finances News Hebdo a mené une enquête dans les environs de Casablanca. Immersion.

 

Le désarroi des éleveurs

Jeudi 3 mars 2022, neuf heures tapantes, direction souk El Gara, la grand-messe hebdomadaire des agriculteurs et vendeurs de bétail. Située dans la province de Berrechid à quelque 55 km de Casablanca, c’est le cheflieu de la tribu des Mdakra, une région qui dispose des terres les plus fertiles du Maroc, et l’une des principales sources d’approvisionnement du marché national en céréales et légumineuses. Sur la route menant au souk hebdomadaire, le constat est amer : la sécheresse a fait des ravages ! A quelques jours de l’équinoxe de printemps, les champs, sans vie, sont aussi secs que la paille jaunie. Vers les coups de 10H30, nous sommes arrivés à destination. Triporteurs, calèches, taxis, voitures de particuliers, camionnettes chargées de marchandises et d’alimentation animalière…, le trafic dense témoigne de la grande affluence que connaît souk El Gara.

A quelques mètres du parking, nous trouvons les marchands de bétail. Première impression : les animaux exposés souffrent énormément. Une opinion qui nous a vite été confirmée par les éleveurs sur place, tous unanimes sur le fait que la sécheresse a frappé de plein fouet le secteur agricole. Portant sur leur visage l’empreinte du désespoir, ces marchands se plaignent d’une hausse sans précédent des prix du fourrage, qui a contraint bon nombre d’entre eux à se séparer, même à perte, de leurs animaux, de peur de les voir mourir de faim. Quid des subventions promises par le gouvernement ? «Jusqu'à présent, nous n'avons rien reçu. Les prix des fourrages sont extrêmement élevés, du coup nous n'avons plus de quoi nourrir notre bétail», martèle un exploitant. De leur côté, les vendeurs de fourrage nous confirment la flambée des prix : «une botte de fourrage vaut aujourd'hui 70 dirhams contre 40 à 50 dirhams auparavant. Celle de paille est commercialisée à partir de 35 DH contre 15 DH il y a deux mois». Compte tenu de cette situation, l'offre sur le marché de bétail est très faible, ce qui entraîne une inévitable hausse des prix.

«La demande est faible pour les ovins, bovins et caprins destinés à des activités pastorales. Par contre, les bêtes d’engraissement dédiées à l’abattage ont la cote. Pratiquement, tous les éleveurs tablent sur Aïd Al-Adha pour sauver la saison. Les antenais âgés à partir de 6 mois sont très demandés pour être préparés pour la fête du sacrifice», souligne Rachid Halabi, marchand de bétail. Cet octogénaire, natif de Tnine Toualaâ, une bourgade à 22 km d’El Gara, affirme que «la sécheresse de cette saison est terrible. Elle est plus cruelle que celle des années 80. Les agriculteurs sont habitués à cohabiter avec les aléas climatiques, mais pas d’une telle ampleur. Les éleveurs seront mis à rude épreuve. Pour ceux qui préparent Aïd Al Adha, les charges seront très lourdes, surtout celles relatives à l’aliment de bétail. Les prix ont plus que doublé et tout laisse présager qu’ils vont encore augmenter». En effet, tous les prix des produits dédiés à l’alimentation de bétail ont connu une flambée sans précédent, à commencer par l’orge qui est offerte à 4-5 DH/kg, contre 2-3 DH/kg auparavant.

Le son, qui est était à 2,5 DH/kg, est actuellement à 3,5 DH/ kg, tandis que le maïs, qui était proposé à 3 DH/kg, est à plus de 4 DH/kg. Pour leur part, les betteraves séchées sont à plus de 4 DH/kg, soit une hausse de plus de 30%. L’aliment composé n’a pas échappé à cette hausse des prix du fait qu’il regroupe essentiellement des produits importés comme le colza, le soja ou autres oléagineux. Il culmine à plus de 3 DH/kilo. Face à ce constat, plusieurs éleveurs ont préféré se débarrasser totalement de leur cheptel, ou du moins réduire le nombre de bêtes pour pouvoir en supporter les charges.

«Je possède une centaine d’ovins et une dizaine de bovins. Actuellement, je n’ai gardé que deux vaches et quelques brebis. Le cheptel écoulé m’a permis d’éponger mes dettes. Je conserve le restant du produit de la vente pour subsister et assurer les frais de scolarité de mes trois enfants en attendant des jours meilleurs», témoigne Achraf Ahlafi, éleveur présent au souk. S’agissant des mesures de soutien annoncées par le gouvernement, il a souligné que «pour le moment rien n’est encore perceptible. Certes, cette subvention des prix est insuffisante pour combler le manque à gagner, mais elle devrait atténuer quelque peu les effets de la sécheresse. De toutes les façons, les exploitants doivent se débrouiller pour diversifier leurs revenus. Je compte travailler comme aide commerçant ou dans d’autres activités. Nous sommes confrontés à des périodes difficiles, mais nous n’avons pas le choix. Nous sommes habitués à ce genre de situation», ajoute-t-il.

 

Adieu verdure !

Plus loin, dans les environs du barrage Oued El Maleh, une zone relevant de la province de Benslimane à une vingtaine de kilomètres d’El Gara, c’est un environnement estival qui prédomine à l’horizon, bien que ce soit le début du printemps. A la place des champs verdoyants, on note la présence d’espaces pauvres en végétation dominés par un jaunissement des petites plantes à peine visibles. L’atmosphère est marquée par une hausse de la température supérieure à la normale. Sur place, une rencontre avec Redouane, un quadragénaire, nous donne une idée de la situation. Cet homme qui n’a pas le profil d’un fellah ordinaire, a fait des études universitaires. Au lieu d’opter pour une carrière professionnelle en ville, il a préféré investir dans la terre de ses ancêtres. Adepte de l’agriculture nouvelle génération, il a bénéficié des subventions de l’Etat dans le cadre du Plan Maroc Vert. Il a lancé un projet d’arboriculture fruitière (oliviers, grenadiers, pruniers…) doté d’un système d’irrigation performant (goutte à goutte et pompage solaire).

En parallèle, il a également investi dans l’élevage d’ovins et de vaches laitières. «En mettant un terme à mon activité d’élevage, j’ai pris une décision radicale qui était difficile pour moi et ma famille sur le plan moral. Je dépensais en moyenne pas moins de 500 DH/jour, alors que les recettes ne suivaient pas pour couvrir les charges qui montaient en flèche. Je ne pouvais plus continuer dans cette aventure. Je compte vendre toute l’exploitation et quitter définitivement la campagne», affirme-t-il amèrement. De retour vers Casablanca, une visite dans une pépinière à Sidi Moussa Benali, dans la province de Mohammédia, montre également que l’effet de la sécheresse est partout visible.

Ne dépendant pas directement de la pluie, cette activité est plus destinée à la production des produits d’horticulture et des plantes de type arbres fruitiers. Noureddine Sahraoui, propriétaire du site, souligne que «nous avons enregistré une baisse conséquente de la demande, surtout pour les plantes dédiées aux projets conventionnés lancés dans le cadre de «Generation Green». Les investisseurs ont différé leurs projets en attendant d’avoir plus de visibilité». Pour ce qui de l’alimentation en eau de la pépinière, Sahraoui a assuré qu’«elle se fait à partir d’un puits creusé. Sa profondeur n’a cessé d’augmenter ces dernières années sous l’effet de la baisse du niveau d’eau de la nappe phréatique»

 

Le déficit hydrique du barrage Oued El Maleh se creuse
A l’instar des tous les barrages du Royaume, celui de Oued El Maleh a perdu une bonne partie de ses réserves en eau. D'après le rapport quotidien de la Direction générale de l’eau, les réserves de cet ouvrage ont accumulé, au 3 mars, 14,1 milliards de m3, soit un taux de remplissage de 37,7%. À la même date de l’année écoulée, ses retenues avaient atteint 18,8 milliards de m3, d’où un taux de remplissage de 50,3%. Son bassin versant, d’une superficie de 1.800 km2, assure l’irrigation de quelques centaines d’hectares. Avec ce déficit hydrique, le débit d’approvisionnement en eau de l’aval du barrage connaît une baisse progressive. Au niveau écologique, le recul du niveau des réserves du lac artificiel présente une menace sérieuse pour la faune et la flore, dont certaines espèces sont répertoriées comme rares. Toutefois, il faut noter que le site présente des atouts touristiques indéniables. Plusieurs paysans de la région profitent du beau paysage pour offrir des services de restauration à caractère populaire aux visiteurs, qui viennent en masse lors des week-ends. La proximité du site avec Mohammédia et Casablanca lui a permis d’attirer beaucoup de personnes à la recherche d’évasion et de dépaysement.

 

 

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