Médicaments génériques: le noyau dur de la souveraineté sanitaire

Médicaments génériques: le noyau dur de la souveraineté sanitaire

Les génériques permettent de faire d'importantes économies et rapportent des gains conséquents.

Au Maroc, ils représentaient en 2021 sur le marché pharmaceutique privé 42,7% en volume et 44,3% en valeur.

Entretien avec Abdelmajid Belaiche, analyste des marchés pharmaceutiques et chercheur en économie de la santé.

 

Propos recueillis par Ibtissam Z.

 

Finances News Hebdo : Les génériques constituent une révolution sur le marché des médicaments; ils se vendent à moindre coût tout en étant qualitatifs. Dans ce sens, vous avez effectué récemment une étude. Quel en est l’intérêt ?

Abdelmajid Belaïche : Tout d’abord, on doit rappeler qu’un médicament générique est une copie conforme d’un médicament princeps (ou le premier lancé) dont le lancement ne peut se faire qu’après l’échéance du brevet qui protège ce princeps et lui accorde un monopole mondial pendant une durée de près de 10 ans après sa commercialisation. La composition du générique doit être conforme à celle du princeps du point de vue qualitatif et quantitatif, et être sous la même forme pharmaceutique. C’est-à-dire les mêmes princeps actifs aux mêmes compositions. De ce fait, le médicament générique possède le même niveau d’efficacité et de sécurité que le princeps. Les meilleures garanties de cette qualité sont offertes par les études de bioéquivalence pour tous les médicaments où ces études sont exigibles. Les génériques constituent, avec les médicaments biotechnologiques, les 2 leviers de croissance du marché mondial des médicaments. Au Maroc, ils constituent l’unique levier de croissance du volume de consommation dans le marché pharmaceutique national. Les différentes études menées au Maroc ont prouvé qu’au niveau de ce marché pharmaceutique, et à quelques rares exceptions près, les croissances des génériques étaient supérieures à celles des segments de marché où ils se trouvent et sont largement supérieurs à ceux de leurs princeps. Les patients se posent souvent la question suivante : pourquoi les génériques coûtent moins chers que les médicaments princeps ? Est-ce parce qu’ils sont de moindre qualité ? Ces interrogations sont légitimes. Tout d’abord, les médicaments génériques comme les princeps subissent les mêmes contrôles par le Laboratoire national de contrôle des médicaments (LNCM) du ministère de la Santé, depuis les matières premières qui servent à leur fabrication jusqu’aux produits finis. Les prix bas des médicaments génériques s’expliquent par 3 éléments. Le premier élément est que contrairement aux princeps, ils n’ont pas de frais de recherche à amortir. Un médicament générique arrive 10 ans après le lancement de son princeps et profite de toutes les expériences, le savoir-faire et le recul de ce dernier. Pour ce générique, ses coûts se réduisent aux coûts d’achat des matières premières, à ceux de sa fabrication et de sa promotion, additionnés aux différentes marges pharmaceutiques. Le deuxième élément est que tous les pays obligent les détenteurs de génériques à avoir des prix bien plus bas que ceux des princeps, pour réaliser des économies à leurs assurances maladies et à leurs patients. Le troisième point est que le détenteur du médicament générique qui arrive sur un marché monopolistique, face à un princeps bien installé, n’a pas d’autre choix que celui de baisser ses tarifs pour être plus compétitif. De cette façon, il pourra se faire une place et grignoter des parts de marché au médicament princeps. La concurrence ne se limite pas au princeps, mais joue aussi entre génériques d’un même segment de marché pour tirer les prix vers le bas.

 

F.N.H. : Quels sont les principaux enseignements et conclusions de votre étude qui a demandé plusieurs mois d’investigations ?

A. B. : Après avoir lancé une première étude au début de l’année 2020 sur les intérêts et les apports des médicaments génériques au Maroc, sur la période de 2000 à 2019, nous avons lancé une deuxième étude de mise à jour sur la période 2015-2021. Ces deux études ont été très riches en enseignements et, surtout, elles ont permis d’évaluer les économies générées par les génériques et leurs apports en termes d’amélioration de l’accès aux médicaments. La principale conclusion de la dernière étude est que les gains économiques générés par les génériques aux patients et aux organismes gestionnaires de l’assurance maladie ont atteint en 2021 près de 3,77 milliards de dirhams, avec un cumul de gains sur la période 2015-2021 de l’ordre de 22,69 milliards de dirhams. S’il n’y avait pas de génériques au Maroc, les patients et organismes gestionnaires de l’assurance maladie auraient déboursé, pour le même niveau de consommation, 22,30 milliards de dirhams au lieu de 18,52 milliards de dirhams effectivement dépensés, d’où le gain économique déjà cité. Les autres enseignements de ces études ont révélé que les segments de marché où il y a le plus de génériques connaissent les croissances les plus fortes aussi bien en volume qu’en valeur. Ces études ont aussi montré le rôle des médicaments génériques comme levier du marché pharmaceutique marocain.

 

F.N.H. : L’enjeu autour du médicament générique est considérable. Les génériques reviennent en moyenne 30% moins chers que les médicaments d'origine. Quelle lecture en faites-vous ?

A. B. : Les différentiels de prix des génériques par rapport aux princeps étaient au moins de 30% dans l’ancien système de fixation des prix des médicaments et chaque nouveau générique qui arrivait sur le marché, était lancé avec un différentiel de prix par rapport au générique qui l’a précédé d’au moins 5%. Dans le nouveau système de fixation des prix des médicaments mis en place en décembre 2013 et mis en pratique en juin 2014, quel que soit le générique, il est soumis à un décrochage par rapport au prix du princeps, lui-même fixé par benchmark des prix avec 6 à 7 pays, décrochage dont l’importance dépend du niveau du prix du princeps. Voilà ce qui se passe en théorie. Mais dans la réalité, un autre facteur entre en jeu : celui des demandes de prix volontaires que font certains laboratoires pour que leurs prix concurrencent le princeps et les autres génériques du même segment, ce qui aboutit à des baisses très importantes. Dans notre étude, nous avons trouvé des différentiels de prix qui dépassaient les 70%.

 

F.N.H. : Où en est le Maroc dans la fabrication des génériques dans l’industrie pharmaceutique ?

A. B. : Tout d’abord, il faut rappeler que les génériques étaient rares avant les années 90 et il y avait très peu de laboratoires génériqueurs. Au début des années 90, et plus exactement à partir de 1992, le marché pharmaceutique marocain allait connaitre un assaut incroyable des médicaments génériques, détenus par quelques rares laboratoires nationaux déjà existants, et surtout par de nouveaux laboratoires dont l’activité était essentiellement, sinon exclusivement centrée sur les médicaments génériques. Certains de ces laboratoires sont devenus aujourd’hui parmi les leaders du marché. Les génériques sont essentiellement fabriqués par les laboratoires nationaux. Rares sont les multinationales qui se sont lancées dans la fabrication des génériques et encore plus rares sont ceux qui ont réussi dans cette activité.

 

F.N.H. : Comment s’effectue la répartition des médicaments génériques sur le marché pharmaceutique marocain ? Et y a-t-il un équilibre au moment de la distribution ?

A. B. : Les médicaments génériques comme les princeps passent par les mêmes circuits de commercialisation et obéissent aux seules lois du marché et de la concurrence. Toutefois, les médicaments génériques au Maroc avaient subi de féroces campagnes de dénigrement sur leur qualité, dans le cadre d’affrontements concurrentiels princeps-génériques. De même, les biosimilaires, qui sont des génériques des médicaments biotechnologiques, n’ont malheureusement pas pu se développer comme il se doit dans des pathologies plus coûteuses. Dans le rapport du Conseil de la concurrence, nous avons parlé des pratiques anticoncurrentielles qu’ont subies les médicaments génériques, et dont la première victime était le patient, puisque ces pratiques ont freiné la mise à la disposition des patients de certains médicaments stratégiques à des prix très accessibles. C’est le cas notamment des médicaments contre les cancers, mais aussi de ceux de l’hépatite avant qu’ils ne soient fabriqués au Maroc, le Sofosbuvir et les autres antiviraux d’action directe. Heureusement que cela n’a pas empêché le développement des génériques au Maroc, à l’exception de quelques rares segments de marché. En 2021, les génériques représentaient sur le marché pharmaceutique privé, 42,7% en volume et 44,3% en valeur. Doit-on être satisfait de ces chiffres ? Je dirais les deux; je m’explique. Oui parce que notre situation est bien meilleure que celle de la France qui est à seulement 15,5% en volume et 30% en valeur. Quant aux pays en voie de développement, à quelques rares exceptions près, ils sont à des niveaux beaucoup plus bas. Toutefois, on est encore loin des niveaux atteints dans les pays occidentaux, une moyenne de 52% en volume dans les pays de l’OCDE, 85% au Royaume-Unis, 82% en Allemagne et 76% aux Pays-Bas et 80% aux USA. Mais s’il y a quelque chose à regretter, c’est la très faible présence ou l’absence des génériques et des biosimilaires dans les traitements chroniques tels que les cancers.

 

F.N.H. : La Covid-19 a entraîné une hausse de la demande de certains médicaments, d’où le rôle considérable que jouent les génériques pour pallier la pénurie de médicaments. Quel est votre regard sur cela ?

A. B. : Malheureusement, la pandémie de la Covid-19 a entraîné de fortes tensions et des pénuries sur certains médicaments dans plusieurs pays du monde, y compris parmi les plus industrialisés. Au Maroc, il y a eu des tensions sur certains produits utilisés dans la Covid-19 tels que l’azithromycine, la vitamine C, le zinc, etc. Mais pour le reste des médicaments, le marché pharmaceutique marocain a fait preuve de résilience. La plupart des médicaments étaient restés disponibles et les rares pénuries n’ont touché que certains médicaments importés, et en général des médicaments en situation de monopole. Il faut rappeler que dans la plupart des segments de marché, chaque molécule est déclinée en plus d’une dizaine de génériques. Si l’une des marques vient à manquer, les produits similaires seront là pour la remplacer et éviter une pénurie préjudiciable aux patients. Autre chose : on parle de plus en plus de l’importance de la souveraineté sanitaire nationale. Or, celle-ci ne peut être réalisée sans une fabrication locale des médicaments. Aujourd’hui, la fabrication locale pour l’essentiel concerne les médicaments génériques. De ce fait, les médicaments génériques se retrouvent au centre du dispositif de la souveraineté sanitaire et de la sécurisation de notre approvisionnement en médicaments. Par ailleurs, au moment où l’on envisage une extension de la couverture sanitaire à 22 millions de citoyens, se pose la question épineuse suivante  : Comment généraliser cette couverture sanitaire et répondre aux besoins en médicaments de ces 22 millions de citoyens sans faire exploser les budgets destinés à la couverture sanitaire du Maroc ? C’est là en effet où les génériques ont un rôle à jouer pour satisfaire ces énormes besoins en médicaments tout en optimisant les budgets alloués à cette couverture sanitaire. 

 

 

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