Finances News Hebdo : Dans tous les discours, on parle de l’Afrique comme le continent d’avenir qui recèle de potentialités. Toutefois, il ne faut pas oublier que c’est également un continent de fragilités (guerres civiles, terrorisme, famines…). Que pensez-vous de ce contraste ?
Stéphane Colliac : En Afrique, nous observons un tel contraste. Effectivement, il y a des risques qui sont importants dans le continent si l’on prend l’exemple du Nigéria qui a connu six trimestres de récession jusqu’au premier trimestre de cette année. C’est certain, l’Afrique regorge de risques à court terme très conséquents. Il y a également une crise de change très importante.
Par contre, les potentiels de développement sont là. Beaucoup d’investissements sont mis en œuvre dans les infrastructures parce que l’urbanisation ne s’arrête pas et pour la soutenir, il faut justement développer plus de routes, de ports, d’aéroports...
Les financements sont ouverts et présents dans les pays africains y compris dans ceux qui étaient en crise. Il y a des risques mais ce n’est pas pour autant qu’il ne faut pas y aller.
F.N.H. : L’Afrique se trouve confrontée à un défi de taille à savoir celui du financement. Comment peut-elle surmonter un tel défi qui pourrait contrecarrer son essor économique ?
S. C. : Beaucoup de pays africains ne sont pas dans une situation financière très favorable. Plusieurs d’entre eux ne bénéficient pas de délais de paiement pour payer leurs importations. Ceci étant, si ces pays n’ont pas de crédits, ils ne peuvent pas payer leurs achats. Ils sont dans une situation fondamentalement inégalitaire par rapport aux autres économies.
A mon avis, pour y remédier, il y a deux choses. La première est le renforcement des relations financières avec les autres pays pour mieux se connaître et du coup, rendre la bonne information financière disponible.
La seconde est de développer les économies africaines notamment par un sérieux macroéconomique, un sérieux budgétaire, un sérieux financier qui montre qu’il y a de moins en moins d’évènements de crise et d’impayés. Ce qui permettra de rallonger les délais de paiement au fur et à mesure et à ces économies d’intégrer la finance globale.
F.N.H. : Le projet d’adhésion du Maroc à la CEDEAO est certes un événement géostratégique majeur. Toutefois, à y voir de près, il est à constater que les pays membres de cet espace économique ont des politiques budgétaires, monétaires… très différenciées. Cela ne risque-t-il pas de battre en brèche les espoirs escomptés du Royaume ?
S. C. : Dans un premier temps, il faut rester modeste. Il est peu probable que le projet de monnaie unique soit mis en œuvre aussi rapidement dans la zone comme cela a été annoncé.
Mais intégrer la zone avec davantage de commerce, davantage de flux financiers… est certes une première étape importante à franchir. Donc pas besoin d’attendre.
Avec le développement de ces relations et des flux, nous aurons davantage d’espace et d’opportunités pour créer une monnaie unique. Aujourd’hui, les situations des économies sont trop diverses. Certains pays accélèrent leur croissance pendant que d’autres ralentissent. Du coup, dans un premier temps, ils n’ont pas besoin de la même monnaie pour fonctionner.
F.N.H. : Quels sont les préalables à une monnaie unique ?
S. C. : Il faudrait que les motivations des différentes économies soient à peu près symétriques. Ou alors qu’il y ait une compensation des déséquilibres.
Aujourd’hui, on ne peut pas avoir de monnaie unique si l’on n’a pas d’intégration plus forte notamment budgétaire avec des mécanismes de solidarité entre les pays. Il faudrait un fonds monétaire africain ou ouest africain pour concrétiser ce projet.
F.N.H. : L’adoption du régime de change flexible a pris du retard. En tant qu’économiste, quel est le manque à gagner pour une économie comme celle du Maroc avec toutes ses spécificités ?
S. C. : Fondamentalement, le change flexible est une politique à long terme. Six mois avant ou six mois après, ce n’est pas là où le bât blesse.
Le problème est que le Maroc a perdu un mois de réserves qui ne sont plus aujourd’hui dans les comptes de la Banque centrale. Nous ne sommes pas arrivés à un problème de soutenabilité, mais c’est bien dommage de perdre cet argent.
Le coût in fine est que si le pays n’adopte pas un flottement plus important du Dirham, dans ces conditions, il y aura des moments où le pays aura besoin d’une dépréciation forte du Dirham alors que l’Euro et le Dollar s’apprécient. Donc, si le Dirham reste attaché à ces deux devises, il s’appréciera avec eux. ■
Propos recueillis par S. Es-siari
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