Maroc/CEDEAO : Comment mieux revenir à la charge

Maroc/CEDEAO : Comment mieux revenir à la charge

 

- Avoir pris pour acquise l’adhésion du Maroc à la CEDEAO, suite à l’accord politique de principe formulé par le 51ème Sommet de la CEDEAO, est une erreur qu’il faut rectifier.

- Pour faire avancer le dossier, le Maroc doit concocter un plan d’actions stratégique concerté, multicanal et bilatéral avec chaque pays du quintet.

 

 

 

Le communiqué d’Abuja (Nigeria) à l’issue de la 52ème session ordinaire de la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a sonné le glas pour le Maroc.

Alors que l’adhésion du Royaume à la CEDEAO semblait acquise, la déclaration finale note que la Conférence a décidé de mettre en place un comité de chefs d’Etat et de gouvernements composé du Togo, de la Côte d’Ivoire, du Ghana, de la Guinée et du Nigeria pour adopter les termes de référence et superviser l’étude approfondie des implications de cette adhésion. Alors qu’on parle d’un Sommet extraordinaire début 2018 dans la presse nationale, le communiqué reporte sine die la question.

Certains observateurs estiment que c’était prévisible, étant donné que même un ALE avec la CEDEAO n’avait pas abouti après plus de dix ans de va-et-vient. Une source informée et proche du dossier explique que «l’Accord de libre-échange a été demandé dans un contexte particulier. Il faut rappeler que le Maroc a entamé une approche avec l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest africaine) et cela n’a pas abouti, avant de se tourner vers la CEDEAO. Et après dix ans de discussions, cet accord n’a pas abouti, puisqu’il tendait exclusivement à lever les tarifs douaniers sur des produits marocains à destination du marché de la CEDEAO. Or, le reproche qu’on nous a fait, que ce soit l’UEMOA ou la CEDEAO, c’est de vouloir faire de ces pays un marché d’exportation de nos produits».

Entre les négociations pour un ALE et la demande d’adhésion à la CEDEAO, de l’eau a coulé sous les ponts, puisque «pendant plus de dix ans, le Maroc a beaucoup investi en Afrique, en particulier dans la zone CEDEAO. Donc, la réalité d’il y a dix ans lorsqu’on négociait un accord de libre-échange n’est plus la même actuellement. Aujourd’hui, le Maroc a investi dans cette région, a créé une dynamique d’interaction avec ces pays, et s’est engagé également dans des projets structurants; donc l’appréciation est désormais différente», ajoute notre source.

 

Il ne fallait pas jeter Bourita en pâture

 

Si pour l’essentiel les reproches faits à ce dossier sont fondés, il n’en demeure pas moins que le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, Nasser Bourita, n’est pas le seul responsable. C’est un élément parmi d’autres, explique notre source très avertie des tenants et aboutissants de ce dossier. Elle analyse d’ailleurs les points de faiblesse de la démarche du Maroc : «Nous n’avons effectivement pas suffisamment communiqué sur tout ce que la zone CEDEAO gagnerait à ce que le Maroc en soit partie prenante, notamment de manière bilatérale; sur ce que chaque pays membre de cette communauté économique y gagnera. Ce fut un élément défavorable».

Le deuxième élément négatif évoqué est la décision prise par les chefs d'Etats de donner un accord de principe à la première demande du Maroc. «Cela a eu un double effet défavorable, ajoute notre source. Le premier est que dans les pays membres de la CEDEAO, les gens ont considéré que les chefs d’Etat s’étaient trop précipités pour donner leur accord, alors qu’il n’y avait pas urgence, et que pareille décision demande du temps et de la réflexion. Cela a donc eu l’effet inverse, et les gens se sont braqués sous le motif qu’il y a eu trop de précipitation, que le Maroc a fait du lobbying auprès des chefs d’Etat et ces derniers ne se sont pas concertés avec leurs populations respectives».

D’ailleurs, il suffit de consulter la presse des pays d’Afrique de l’Ouest pour saisir les réactions contrastées à cet accord de principe. Rappelons-le, martèle notre source, nous sommes face à des pays qui ont un historique de débat face à ces accords. Ils ont marché contre les Accords de partenariat économiques (APE), notamment avec l’UE. C’est un épisode qui marque encore les esprits dans la région.

Le deuxième effet inverse est que le Maroc a considéré qu’un grand pas a été franchi avec cet accord de principe et nous n’avons pas pris les devants pour faire tout le travail nécessaire, considérant cet accord de principe comme un acquis à l’intégration de la CEDEAO, note notre source.

Par ailleurs, la décision du report repose sur deux aspects : premièrement, l’étude d’impact produite par la CEDEAO n’était pas suffisante pour prendre une décision. Et deuxièmement, il y avait tellement de sujets à traiter lors du Sommet d’Abuja qu’on a décidé de reporter la question de l’intégration du Maroc à un Sommet extraordinaire.

Faut-il pour autant rester les bras croisés ? La décision du report peut être considérée, quelque part, comme opportune pour s’accorder le temps de discuter et d’échanger. Après Abuja, les gens ont pris conscience qu’il faut changer son fusil d’épaule. Avec la mise en place du ministre délégué aux Affaires africaines, il y aura une plus grande coordination et une plus grande action stratégique pour aboutir à un résultat probant. D’autant plus que Mouhcine Jazouli est un fin stratège qui arrive avec le pragmatisme du privé afin de porter la vision africaine du Maroc.

 

Le Maroc doit changer son fusil d’épaule

 

Le communiqué final du Sommet d’Abuja ne fait nulle mention de la tenue d’un Sommet extraordinaire, encore moins de sa date. Forcément, cela suppose que le sujet de l’adhésion est renvoyé aux calendes grecques. Pour y remédier, le Maroc doit s’activer à provoquer son destin.

«C’est donc à nous de faire le travail nécessaire non seulement auprès du quintet des chefs d’Etat, mais aussi d’engager toute une action de communication bilatérale, multicanal, avec les différents pays pour pouvoir reconstruire cette confiance par rapport à l’entrée du Maroc à la CEDEAO. Ce travail doit se faire en coordination, sur la base d’un plan d’actions clair, qui va permettre de discuter avec les différentes strates», préconise notre interlocuteur.

Il ne faut donc pas se limiter au canal des chefs d’Etat ou à celui des patronats, mais associer réellement toutes les composantes de ces pays en s’adressant aux parlementaires, aux conseils économiques et sociaux, aux partis politiques… La société civile est également appelée à jouer un rôle dans ce projet d’adhésion à la CEDEAO. Notre source insiste également sur le rôle de la presse qui doit porter la vision du Maroc.

«Je pense qu’il y a une prise de conscience que c’est l’attitude qu’il faut adopter pour avancer sur ce dossier. En tout cas, il faut que ce soit fait … », défend notre source. Il faut ainsi adopter la même communication qui met en avant ce que le Maroc apporte à la CEDEAO en tant que communauté, mais également à chaque pays de cet espace de manière bilatérale. Ces éléments de langage doivent être partagés par tout le monde. Le Maroc doit parler d’une seule voix, dans le cadre d’une action concertée et coordonnée, avec un pilotage très clair de l’opération et des objectifs bien précis. Pour cela, il faut dépasser le brouhaha ambiant. En effet, chacun y va de sa propre analyse, induisant parfois l’opinion publique, aussi bien marocaine que celle des pays de l’Afrique de l’Ouest, en erreur.

«Chacun se prononce contre ou pour avec très peu d’arguments objectifs et rationnels. La plupart des messages sont liés à des ressentis ou à des appréciations qui ne sont supportés par aucun élément rationnel. C’est notamment le cas lorsqu’on évoque le frein de la proximité culturelle, ou le fait que le Maroc va détruire les industries manufacturières nigérianes. Sur quelle base ? Aucune !», déplore notre source.

On a également évoqué le dossier du Sahara, alors que c’est une question politique qui n’a aucun lien avec l’adhésion à un espace économique. Le seul à avoir réellement fait un travail en profondeur, c’est le Sénégal, qui a créé une initiative d’analyse des impacts de l’adhésion du Maroc à la CEDEAO, réunissant des gens d’horizons différents pour étudier tous les aspects. Le débat au Sénégal a permis de sortir avec des éléments plus ou moins objectifs par rapport à leur analyse (en général, ils ne sont pas contre, mais mettent en place un certain nombre de préalables à cette adhésion).

Cela oblige le Maroc à initier le débat pour dissiper toutes ces appréhensions, que ce soit en créant des forums de discussion, en étant présent lors de grands rendez-vous… pour défendre une position claire et partagée.

 

Juillet 2019 ?

 

«C’est un travail de fond qui doit être fait durant les trois prochains mois et, peut-être, comme le Sommet extraordinaire de la CEDEAO en marge du Sommet de l’Union africaine tenu cette semaine à Addis-Abeba, un autre Sommet pourrait se tenir en marge du Sommet de l’UA à Niamey au Niger en juillet 2019, qui planchera sur l’adhésion du Maroc. Mais cela dépendra en grande partie de la réactivité du Royaume sur ce dossier, du quintet, de la relecture de l’étude d’impact de cette adhésion … Il y a plusieurs facteurs à prendre en ligne de compte», explique notre interlocuteur.

Une chose est sûre, ce dossier est d’une importance cruciale, car l’adhésion à l’Union africaine n’aura de portée que lorsque le Maroc sera arrimé à une communauté économique forte, ce qui permettra de porter sa voix au sein de l’UA. D’où l’importance de faire de ce dossier une priorité. ■

 


Quid de la Charte de la CEDEAO ?

Il s’agit d’un traité qui ne prévoit que la sortie de la CEDEAO, mais pas l’adhésion. En effet, l’article 91 détaille la procédure à suivre pour tout Etat désireux de se retirer de la communauté. La révision de ce traité est un chantier juridique qui doit être opéré par la CEDEAO afin de permettre l’adhésion du Maroc à la Communauté. Il faut dire que par le biais du communiqué d’Abuja, à l’issue de la 52ème session ordinaire de la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO, ladite conférence note que les questions d’adhésion au Traité de la CEDEAO, ainsi que l’octroi de statut d’observateur aux pays tiers, devraient être précédés par la mise en place d’un cadre institutionnel approprié, établissant la base juridique d’une telle décision. A cet égard, la Conférence instruit le président de la Commission d’engager immédiatement le processus d’élaboration d’un acte communautaire approprié, qui définira le processus de prise de décision au sein de la communauté en conformité avec les dispositions de l’article 9, alinéas 2 et 3 du Traité révisé de la CEDEAO.


 

 

Par I. Bouhrara

 

 

 

 

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