Lutte contre le chômage : «Les initiatives lancées souffrent de lacunes importantes»

Lutte contre le chômage : «Les initiatives lancées souffrent de lacunes importantes»

Programmes de soutien à l'entrepreneuriat, nouvelle Charte de l’investissement, nouvelle stratégie pour l'amélioration du climat des affaires… Plusieurs initiatives ont été déployées en vue d’améliorer l’employabilité, mais les résultats se font toujours attendre. Entretien avec l’économiste Said Tahiri.

 

Propos recueillis par M. Ait Ouaanna

Finances News Hebdo : Le chômage a enregistré au T2-2024 un chiffre de 13,1%. Quelle lecture faites-vous de cette situation ?

Said Tahiri : Ces indicateurs marquent clairement une tendance inquiétante à plusieurs égards. D’abord, parce que le Maroc est confronté à un chômage structurel, particulièrement chez les jeunes diplômés. La demande d'emploi chez les jeunes est très forte, mais l'adéquation entre la formation et les besoins du marché du travail reste problématique. En outre, le niveau de croissance de l’économie réalisé n’est pas encore suffisant pour absorber tous ces jeunes qui arrivent chaque année sur le marché. L’objectif de 4,5 à 5,5% de croissance est encore loin, ce qui rend difficile la création d’emplois stables, ou pire encore, d’éviter d’en perdre. L’analyse détaillée montre également une part importante du chômage en milieu urbain; une problématique importante qu’il va falloir attaquer au plus vite. Aussi, une disparité régionale des chiffres du chômage vient s’ajouter à l’équation. Le rural est encore particulièrement vulnérable à cause de 6 années de sécheresse continue.

De surcroît, certains secteurs peinent à créer des emplois durables. Il s’agit notamment du tourisme dont la reprise commence à peine à se voir, l’artisanat, l’agriculture, ainsi que certaines branches industrielles qui doivent faire face à une nouvelle organisation de l’économie mondiale. Ce taux de chômage peut aussi être vu comme une alerte soulignant l’urgence de réformes économiques et structurelles. Il est nécessaire de mettre en place des programmes de stimulation de l'emploi et d'encouragement à l'entrepreneuriat, plus accessibles, plus performants et plus efficaces. Ceux-ci doivent viser une meilleure intégration des jeunes, et dépasser les contraintes administratives qui continuent de peser sur la création d'emplois. Par ailleurs, le manque d'investissements étrangers et du secteur privé, en raison notamment d’un climat des affaires insuffisamment attractif, pourrait aussi être l’une des causes sur lesquelles il va falloir se pencher, car il est crucial de favoriser l'investissement privé et de soutenir les petites et moyennes entreprises (PME) pour générer plus d'emplois. En conclusion, cette nouvelle hausse du taux de chômage reflète non seulement un problème conjoncturel lié à un contexte économique difficile, mais également des défis structurels au sein de l'économie marocaine. Le chef du gouvernement a annoncé que la problématique de l’emploi est l’une des priorités de son gouvernement à mi-mandat. Il est temps que des efforts soutenus en matière de réformes économiques, de formation professionnelle, de soutien aux secteurs porteurs et d'amélioration du climat des affaires soient mis en place pour inverser cette tendance et promouvoir la création d'emplois durables.

 

F.N.H. : Au cours de ces dernières années, un ensemble d’initiatives et de projets ont été déployés pour remédier à cette problématique, mais en vain. A votre avis, y a-t-il des lacunes dans l’approche du gouvernement pour lutter contre le chômage ?

S. T. : Certes, des initiatives existent, l’INDH en 2005 puis en 2019, Intilaka en 2020, Tahfiz, Idmaj, Forsa, …. Toute une série de programmes qui ont nécessité un effort budgétaire important. Mais quels résultats sont enregistrés face aux moyens déployés ? Beaucoup de lacunes sont constatées dans la mise en œuvre de ces projets, mais le plus urgent à traiter est l’inadéquation entre la formation et le marché du travail : un des défis majeurs est l’écart entre les qualifications des jeunes diplômés et les compétences recherchées par les employeurs. Le système éducatif au Maroc continue de former beaucoup d’étudiants dans des filières théoriques, alors que le marché a besoin de compétences pratiques dans des domaines techniques (technologie, ingénierie, métiers spécialisés). Et cette question à elle seule est sujette d’un véritable débat. On remarque aussi une faible valorisation de la formation professionnelle malgré les efforts fournis depuis des décennies pour l’encourager. Le Maroc a besoin d’un meilleur alignement entre les programmes de formation et les besoins sectoriels spécifiques (industrie, technologies, services), afin d'améliorer l'employabilité des jeunes.

Ce qui se fait aujourd’hui par l’OFPPT ou par le secteur privé de la formation reste clairement insuffisant. Le soutien à l’entrepreneuriat est également à revoir complètement. La complexité administrative et fiscale bloque de nombreux entrepreneurs dans leur élan, en particulier les jeunes qui doivent faire face à des contraintes bureaucratiques rendant difficile la création et la gestion d’une entreprise. Les démarches administratives complexes et les régulations fiscales lourdes découragent souvent les initiatives entrepreneuriales et font qu’on perd beaucoup d’opportunités dès le départ. Il y a aussi le manque de financement adapté, malgré les fonds d’appui qui ont été créés. Le manque de soutien aux startups et PME, notamment en matière d’accès au financement, freine leur développement et rend la levée de fonds et la création d’emplois extrêmement difficiles. Sans oublier le manque de coordination entre les différents acteurs de ces programmes, l’insuffisance du suivi de ces initiatives, les questions d'inclusion des femmes dont le taux d’activité reste encore très faible, la dépendance excessive au secteur informel, etc. Si des initiatives et des projets pour lutter contre le chômage existent, elles souffrent de lacunes importantes qui exigent un effort concerté. Il est indispensable d’accorder à l’emploi la priorité stratégique qu’il nécessite, faciliter l'entrepreneuriat, cibler des secteurs spécifiques créateurs d’emplois, encourager l'inclusion sociale et réformer le marché du travail.

 

F.N.H. : Pour l’exercice 2025, l’Exécutif place la création d’emplois au cœur de ses priorités. Dans ce sens, il est prévu de restructurer les programmes d’emploi actifs, de soutenir et accompagner les TPME et de favoriser l’accès des femmes au marché du travail. Ces actions sont-elles suffisantes pour réduire le taux de chômage ?

S. T. : L’emploi devient stratégique en 2025, d’accord.., mais concrètement, comment cela devrait se traduire sur le terrain ? Le gouvernement ne nous dit pas encore comment il compte le faire. Cela dit, ces mesures que nous attendons pour 2025 sont importantes et vont dans la bonne direction, mais risquent d’être insuffisantes si elles ne s’accompagnent pas par des programmes pertinents, faciles à mettre en place, avec un suivi rigoureux et une évaluation régulière. Cet accompagnement doit être inscrit dans une dynamique globale prévoyant un ensemble de réformes structurelles plus larges et des politiques ciblées. Celles-ci doivent particulièrement porter sur le développement des secteurs à fort potentiel d’emploi, la promotion de l'inclusion des femmes et le soutien aux TPME. Ce développement devrait aller au-delà du financement et inclure un accompagnement technique, une meilleure formation en gestion d’entreprise, des infrastructures adaptées, et surtout, un climat des affaires avec moins de bureaucratie et une justice commerciale plus rapide et efficace. Cela permettra à ces entreprises d’évoluer dans un environnement sain et de sortir de l’informel.

 

F.N.H. : Selon vous, quelles mesures le gouvernement devrait-il adopter pour créer plus d’emplois ? Et quelle place le secteur privé peut-il jouer dans la résolution de cette épineuse question de chômage ?

S. T. : Résoudre le problème du chômage doit se faire de manière durable. Il est donc nécessaire de combiner de véritables réformes structurelles, une adaptation des politiques de formation et une promotion de secteurs porteurs, avec une plus grande implication du secteur privé et des jeunes entrepreneurs, tout en faisant attention aux professionnels des subventions qui diluent les efforts fournis. Le gouvernement doit faciliter l’environnement pour les entreprises tout en garantissant une meilleure inclusion des jeunes et des femmes. Le secteur privé, dans le cadre de partenariats publicprivé, a aussi un rôle crucial à jouer dans la stimulation de la croissance économique et la création d'opportunités d'emploi durables. 

 

 

 

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