A l’invitation de «The observer research foundation», qui est un think tank public indien, j’ai participé à la conférence qui a eu lieu dernièrement à New Delhi sur le thème «Transformations en Asie de l’Ouest : quelles perspectives régionales ?».
The observer research foundation a été créé en 1990, et a pour objectif l’aide à la formulation de politiques publiques pour construire une Inde forte et prospère. Ses domaines de recherche sont les relations internationales, les problèmes de sécurité, les politiques publiques et la gouvernance, le management, l’économie et le développement. Ses moyens d’action sont les études, les débats, les publications, et ses cibles sont le gouvernement et le Parlement, mais aussi le monde des affaires, les universitaires et les médias.
New Delhi est la capitale de l’Inde, constituée d’un district municipal de 250.000 habitants faisant partie du territoire de Delhi, qui regroupe 16,3 millions de ressortissants.
Elle a été construite par les Britanniques, de 1911 à 1932, lorsque ces derniers décidèrent de changer la capitale Calcutta au profit de New Delhi. La ville dispose de nombreux monuments historiques et de larges avenues bordées d’arbres, de même qu'elle est la capitale du deuxième Etat du monde par la population, puisque l’Inde compte 1,3 milliard d’habitants et constitue la plus grande démocratie du monde. C’est un Etat fédéral qui dispose de la quatrième économie mondiale en parité pouvoir d’achat après les Etats-Unis, la Chine et le Japon. La religion dominante à 80% est l’hindouisme, alors que l’islam est pratiqué par 13,2% de la population. Membre des BRICS et du G20, la principale problématique de l’Inde est le développement économique et social pour vaincre la pauvreté.
La conférence sur l’Asie de l’Ouest a vu la participation de plusieurs think tanks de la région dont l’Arabie saoudite, l’Egypte, Israël, la Jordanie, le Maroc, la Palestine, la Turquie et le Yémen. Le premier panel a été consacré au bilan du Printemps arabe, quatre ans après son déclenchement. Les participants ont noté des éléments positifs tels que la chute des dictateurs, l’élargissement des libertés individuelles et collectives, l’organisation d’élections plus libres et plus transparentes, ainsi que des avancées démocratiques en Tunisie et au Maroc. Par contre, ils ont indiqué que certains pays arabes n’ont pas connu de changement démocratique, que les partis islamistes sont le plus souvent sortis victorieux des élections. Plus grave encore est la guerre civile en Syrie et au Yémen, la situation chaotique en Libye, la situation instable en Egypte. Enfin, a été mentionné le coût économique du Printemps arabe, particulièrement élevé en Tunisie, Egypte, Libye et Syrie. En conclusion, le monde arabe se trouve à la croisée des chemins :
ou il entreprend des réformes politiques, économiques et sociales profondes, ou il risque d’être encore plus marginalisé au XXIème siècle.
Le deuxième panel a traité des conflits dans la région et, en premier lieu, le conflit israélo-palestinien, qui est actuellement dans l’impasse du fait de l’intransigeance d’Israël. Ce dernier pays continue d’implanter des colonies en Cisjordanie et à Jérusalem-Est malgré la condamnation de la communauté internationale, rendant la solution à deux Etats quasi-impossible. Le Représentant palestinien a indiqué que l’Autorité palestinienne a décidé de cesser les négociations bilatérales avec Israël, lesquelles n’ont rien donné durant la dernière décennie. Les objectifs de l’Autorité palestinienne sont dorénavant d’internationaliser le conflit israélo-palestinien, en recourant à l’ONU et à tous les Etats de la planète, et en poursuivant Israël devant la Cour pénale internationale. La solution à un seul Etat a été également discutée, mais semble peu réaliste du fait que l’actuel gouvernement israélien réclame la reconnaissance d’Israël en tant qu’Etat juif, et que cette solution suppose que tous les Palestiniens aient les mêmes droits politiques que les Israéliens.
Les autres conflits de la région ont été passés en revue : Libye, Irak, Syrie, Yémen. Les intervenants ont déploré les pertes humaines et matérielles que connaissent ces pays, et ont mis en exergue le rôle à la fois des puissances régionales et extra-régionales.
C’est ainsi qu’a été mentionné l’antagonisme entre les sunnites et les chiites, illustré par la guerre froide entre l’Arabie saoudite et l’Iran. La première puissance soutient les rebelles en Syrie, les sunnites en Irak, et les Présidents Sissi, en Egypte, et Hadi au Yémen. L’Iran, de son côté, apporte son appui à Bachar Al Assad en Syrie, aux houtis au Yémen, et aux chiites en Irak. Il a été constaté, également, le rôle moins influent des Etats-Unis du fait de l’insuffisance de leur implication militaire dans la région, et aussi, d’un certain désengagement de la région par suite de l’approvisionnement domestique en gaz et pétrole de schiste. Par contre, la Russie, pour défendre sa position dans la région, a soutenu fermement le régime syrien, et a livré des missiles S300 à l’Iran. La Chine, de son côté, a soutenu Bachar Al Assad, mais s’est montrée discrète dans les autres conflits. Quant à l’Inde, ce dernier pays a des relations économiques importantes avec la région, du fait que 80% de son approvisionnement en pétrole provient des pays du Golfe, de l’Irak et de l’Iran. Par ailleurs, 7 millions d’Indiens travaillent dans les pays du Golfe, et transfèrent, chaque année, 70 milliards de dollars dans leur pays d’origine. Aussi, l’Inde tient-il à maintenir de bonnes relations avec les pays arabes, qui peuvent également contribuer au financement des infrastructures et des investissements industriels. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir des relations économiques étroites avec Israël, dans plusieurs secteurs, dont celui de l’armement.
Les autres panels de la conférence ont traité du développement du terrorisme et de l’extrémisme dans la région, ainsi que de la problématique du nucléaire iranien. Il a été signalé que les actes terroristes, ainsi que l’établissement de l’Etat islamique dans une partie de l’Irak et de la Syrie, constituent un danger mortel pour la région. En effet, non seulement Daesh contrôle une partie du territoire de ces deux pays, mais des milliers de jeunes provenant de divers pays risquent leur vie en venant combattre dans la région. De plus, les actes barbares commis par les extrémistes soulèvent la réprobation individuelle et collective. Aussi, est-il préconisé par la conférence de mener une lutte, à la fois sécuritaire pour éradiquer les extrémistes, mais également idéologique, pour convaincre les sympathisants de ces terroristes qu’ils font fausse route, tout en menant des actions de développement économique et social. Quant au problème nucléaire iranien, malgré les critiques acerbes du représentant israélien contre l’Accord de Lausanne du 2 avril 2015, les autres intervenants ont souhaité la finalisation de cet accord, au mois de juin prochain, afin de mettre un terme à cette question.
En conclusion, cette conférence a été fort intéressante, et a permis un échange franc d’idées entre représentants de la région, tandis que The observer research foundation fera une large diffusion de ses recommandations.
Jawad Kerdoudi
Président de l’IMRI (Institut Marocain des Relations Internationales)