Trois questions à Nadia Sabri, professeur d’histoire des idées et des arts à la Faculté des sciences de l’éducation de Rabat, et directrice du projet Exils.
Finances News Hebdo : Pour ce colloque vous avez choisi le thème de l’exil mais au pluriel. Qu’est-ce qui a dicté à ce choix ?
Nadia Sabri : Effectivement ! Et même sur le plan graphique, le «S» a été bien mis en exergue, l’idée étant qu’il n’y a pas une seule forme d’exil, même si aujourd’hui, une seule est la plus médiatisée, malheureusement à travers l’actualité mondiale.
Aussi, Exils, au pluriel, est-il un mot hautement poétique, puisque nous sommes tous des exilés d’une façon ou d’une autre…
Ce mot, à mon sens, a cette force d’interpeller les autres selon leurs sensibilités et leur focus sur la vie. Aujourd’hui, à travers les différentes interventions au colloque, chacun a, en effet, parlé de l’exil selon ce que cela évoque pour lui. Notamment, quand Saïd Hamzazi, président de l’Université Mohammed V de Rabat, a évoqué «l’exil» des étudiants. Cela m’a renvoyé à ma vie estudiantine quand je finalisais ma thèse, et que j’ai passé une année en Allemagne où j’ai vécu une expérience intérieure très profonde. Ce qui m’amène à dire que finalement on se réalise à travers l’expérience exilique même si, parfois, elle peut être douloureuse, même si c’est vécu comme une déchirure…
Aujourd’hui, en parlant de l’exil, une thématique aussi ancienne que l’humanité, au pluriel dans nos sociétés à travers ce colloque et cette exposition d’art, nous essayons de mener un débat de manière pluridisciplinaire. L’idée est de ne pas se contenter de réunir des experts du même domaine, mais bien de créer une plate-forme où des regards croisés peuvent se rencontrer.
F.N.H. : Justement, vous avez opté pour une manière originale pour aborder ce sujet plus que jamais d’actualité, avec une exposition et un colloque. Quelle en est la finalité ?
N. S. : Au départ, la genèse du projet était d’organiser une exposition d’art. D’ailleurs, je perçois encore l’exposition comme le coeur de ce projet, car l’art a cette capacité de transcender le réel tout en interpellant sur des sujets d’actualité comme c’est le cas ici pour l’exil. D’ailleurs, sur les cinq artistes invités, on remarque leurs différences de nationalité : Mustapha Akrim et Zineb Andress Arraki du Maroc, Ulrike Weiss d’Allemagne, Myriam Tangi de France, et Josep Ginestar d’Espagne. Tous ont accepté de faire cette aventure avec moi, en tant que commissaire, et chacun d’eux a exprimé l’exil selon son vécu, son histoire et son appréhension.
F.N.H. : De par votre fonction en tant qu’enseignante, quelle est aujourd’hui la responsabilité des écoles, universités et autres dans la sensibilité des jeunes quant à cette question d’exil et d’acceptation de l’autre et de la différence ?
N. S. : Avant d’être universitaire, je suis une femme et je suis à un moment de ma vie où je me pose un tas de questions : qu’est-ce que je fais, que dois-je faire pour ma société sans avoir bien évidemment la prétention de changer le monde, cela s’entend ?
Et il me semble que c’est une responsabilité pour moi, par rapport à ma génération, celle qui m’a précédée et celle à venir, étant en contact avec les jeunes et connaissant leurs besoins. Il s’agit pour nous tous d’un devoir, car lorsque la chaîne de transmission du savoir et des valeurs se rompt, c’est là qu’on verse dans l’obscurantisme.
Je pense également que Exils, comme certaines autres manifestations, tend à réunir des intervenants d’horizons différents et d’impliquer également des jeunes afin de créer des canaux de communication entre les différents acteurs à cette plate-forme. Ce fil conducteur ne doit jamais se rompre entre les différentes générations. Je pense à cette belle expression de Hannah Arendt dans La crise de l’éducation : «Pour préserver le monde de la mortalité de ses créateurs et de ses habitants, il faut constamment le remettre en place ». Je pense être nourrie de cet esprit humaniste, de mon éducation, des valeurs qu’on m’a inculquées, mais aussi de l’actualité dans laquelle nous vivons, puisque nous avons vécu au Maroc des événements choquants l’été dernier au sujet des droits et des libertés individuels. Comme beaucoup d’entre nous, j’aimerai que mon enfant vive dans la même liberté et tolérance que j’ai connues… Je pense bien évidemment qu’il faut prendre position, l’exprimer sereinement et ouvrir la possibilité du débat, à travers l’art, dans les espaces culturels ou dans les espaces publics, sur les questions qui taraudent notre société. Car les pires défaites sont fruit de la lâcheté.
Propos recueillis par Imane Bouhrara