«Les partis restent enclins à des approches dépassées»

«Les partis restent enclins à des approches dépassées»

BelmlihLes programmes des partis se ressemblent et restent généralistes. Le corps électoral est nettement faible comparativement à la population éligible à l’inscription sur les listes électorales. Les réseaux sociaux ont peu d’effet sur la campagne des candidats, car les formations politiques sont peu dyna­miques sur la toile. Le point avec le politologue Mohamed Belmlih.

Finances News Hebdo : Que représentent les prochaines élections communales et régionales pour le paysage politique national ?

Mohamed Belmlih : C’est un échéancier très important, qui va montrer la nouvelle configuration du paysage politique national, deux ans avant les élections législatives. Le mouvement de noma­disme, d’alliances, de création de nouveaux partis politiques, et l’émergence de nouveaux pôles va, à coup sûr, changer la carte politique du pays.

F.N.H. : Est-ce que le prochain scrutin a une certaine particularité ?

M. B. : Si les partis historiques aspirent toujours à jouer les premiers rôles, il n’empêche que dans les élections communales et régionales, l’effet proximité joue un rôle important. Les électeurs votent surtout pour les personnes et non pour les programmes. Question de confiance et aussi d’habitudes, dès lors que les programmes des partis politiques ne sont pas appliqués dans la réalité. Chaque commune, rurale ou urbaine, a ses propres spécificités, ses propres contraintes et ses propres besoins.

Ce rendez-vous permettra ainsi de voir l’intérêt que portent les Marocains, surtout les jeunes, à la vie politique. Le risque d’absentéisme est fort probable, les citoyens estiment que les élus n’ont rien fait pour changer leur quotidien. Il faut préciser qu’il y a toujours un désintérêt des citoyens pour la politique au Maroc : le corps électoral reste nettement infé­rieur par rapport à la population éligible à l’inscrip­tion sur les listes électorales. Nous avons beaucoup de chemin à faire dans ce sens.

C’est pour dire que c’est avant tout la confiance dans «le métier» de l’élu local qu’il faudra rétablir auprès des citoyens las de voir des élus disparaître aussitôt après leur élection.

F.N.H. : Comment jugez-vous les pro­grammes des partis ?

M. B. : Tous les programmes des partis sont géné­ralistes. Il y a très peu de détails pour réaliser les différents objectifs.

F.N.H. : L’existence de la balkanisation, avec plus de 30 partis ne va-t-elle pas brouiller les pistes pour les électeurs ?

M. B. : Pratiquement, il est difficile de créer 30 programmes ou projets de société, et les mettre en compétition. Dans tous les programmes des partis, il y a des points en commun. Ils sont tous unanimes à lutter contre la pauvreté, le chômage ou l’exclusion sociale; mais c’est au niveau des recettes adoptées que les partis doivent être clairs et précis, afin de sortir des généralités et du dogma­tisme. On est encore loin des exemples des partis des pays développés qui peuvent annoncer, avec plus de détail, le taux d’imposition, par exemple, les dérogations, ou le montant des subventions qu’ils comptent exécuter une fois au pouvoir.

D’autant plus qu’un parti politique, qui va gagner la première place dans les élections communales ou régionales, ne peut, à lui seul, former une majorité. Il a de ce fait besoin d’une majorité et d’alliances. Pour avoir l’aval des autres partis, il est question de lancer un programme en commun, et chaque formation doit faire des concessions. Donc les programmes et les engagements des partis seront biaisés par les alliances.

F.N.H. : Est-ce que nos formations ont les moyens nécessaires pour lancer des agen­das et des feuilles de route cohérentes et réalisables ?

M. B. : Nos partis n’arrivent pas encore à sortir de leur mode de travail, qui, en plus d’être dépassé, est devenu très archaïque. C’est pour cela que certains les taxent de boîtes d’accréditation, qui s’activent à l’approche de chaque échéance électorale. Même si certaines formations ont créé des sites Internet et des pages sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter…) pour échanger avec les citoyens, il faut dire qu’elles restent déphasées avec la réalité des électeurs, surtout au quotidien.

Dans les grandes démocraties, les partis travaillent en permanence, et ils ont des cellules d’étude et de suivi, aussi bien sur le plan économique que social. Ils n’hésitent pas à ordonner des enquêtes externes sur des sujets, en faisant appel à des experts.

F.N.H. : Les partis politiques ont investi les réseaux sociaux pour leur campagne; ces outils sociaux peuvent-ils avoir un effet tangible ?

M. B. : A l’instar de toutes les démocraties à travers le monde, les réseaux sociaux sont inves­tis par les formations politiques pour présenter leurs candidats, leurs programmes et encadrer les citoyens. Pour le cas du Maroc, les partis sont peu dynamiques sur ces réseaux, et ne sont actifs qu’à l’approche des élections. Il faut tenir compte du fait que le taux de pénétration de l’Internet reste faible, notamment en raison du niveau d’illettrisme existant au Maroc.

F.N.H. : Pensez-vous que les électeurs marocains vont voter sur la base d’un pro­gramme ou plutôt pour les personnes ?

M. B. : On a tellement été habitués à des figures à la tête des partis qu’on commence à confondre les formations et les personnes. Les initiatives de renouvellement restent limitées. Certains partis n’ont pas su capitaliser sur leur historique pour renouveler leur instance. On veut privilégier les femmes et les jeunes, mais c’est juste des ques­tions de forme. Dans le fond, les choses restent figées.

F.N.H. : Les notables peuvent-ils toujours s’imposer dans cette échéance ?

M. B. : Les élections, c’est aussi une question de fonds. Les partis, avec leurs propres moyens, ne peuvent pas assurer un tel rendez-vous. Rares sont les formations politiques qui arrivent à couvrir tout le territoire national. Le recours aux notables et autres dignitaires locaux est inevitable.

Propos recueillis par C. Jaidani

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