Finances News Hebdo : Lors de la récente édition de l’Observatoire international du commerce, l’accent a été mis sur, entre autres défis, le faible impact de l’investissement public (33% du PIB) sur la croissance économique, soit à peu près 3%. Un niveau jugé insatisfaisant. Quelle est votre propre explication ?
Hicham Bensaid Alaoui : Le Maroc figure, de fait, au niveau mondial, parmi les pays consacrant une part très conséquente de leur richesse à l’investissement public, plus de 300 milliards de dirhams en 2018 en ce qui nous concerne, si l’on combine investissement public stricto sensu et celui des entreprises et établissements publics.
Toutefois, c’est également un fait que notre croissance économique demeure assez faiblement corrélée à un tel volume d’investissement, ce qui se perçoit particulièrement les années de médiocre pluviométrie, pendant lesquelles justement les investissements antérieurs ont tendance à ne pas s’imposer comme relais de croissance à part entière.
A mon sens, trois explications peuvent expliquer un tel état de faits. Tout d’abord, notre pays consacre, depuis une vingtaine d’années, un budget conséquent à une politique volontariste visant le désenclavement de certaines régions du pays. Or, ces investissements, dédiés au développement ou à la réfection de routes, de ponts, mais aussi à l’électrification et l’accès en eau potable de certaines régions, ayant davantage-à court terme du moins-une visée sociale et inclusive qu’une orientation purement économique, n’ont pas encore vocation à ‘driver’ perceptiblement la croissance économique.
Soulignons, à ce titre, qu’en termes de budget prévisionnel d’investissements des établissements et entreprises publics, l’ONEE et Autoroutes du Maroc, considérés de manière cumulée, occupent le premier rang en termes d’investissements à venir au titre de l’exercice 2018, avec une enveloppe pesant près de 2% du PIB marocain.
Ensuite, il convient de rappeler un chiffre éloquent, qui est celui de 40% des dépenses locales qui sont dévolues à l’investissement au Maroc, contre 10% en moyenne dans l’OCDE. Dans une telle logique, se pose la problématique de la concertation en amont de ces investissements, ainsi que celle des effets de synergie entre politique nationale prise dans sa globalité et orientations davantage locales. Il me semble acquis que sans une certaine centralisation des investissements structurants, à même de générer une certaine valeur ajoutée, il existe un risque de déperdition stratégique. En d’autres termes, la régionalisation est une orientation incontournable et louable, mais cela ne devrait pas occulter les partages d’expériences et les gains de productivité entre régions et collectivités.
Enfin, se pose bien entendu avec acuité le sujet central de la pertinence et du bienfondé de certains investissements publics, puisque de très nombreux rapports, émis par la Cour des comptes notamment, continuent de mettre en exergue la nécessité d’améliorer la gouvernance de l’investissement dans notre pays.
F.N.H. : En matière d’investissement, nous sommes tentés de dire que le Maroc se trouve dans une situation «capitalivore» comparable à celle des dragons asiatiques durant les années 70. Sauf que ces derniers affichaient à l’époque des taux de croissance de 7 à 8%. Pourquoi une telle déconnexion avec la croissance économique au Maroc ? Quid des pays à développement comparable?
H. B. A. : Je pense tout d’abord qu’il est extrêmement difficile de comparer la Corée du Sud des années 1970 et le Maroc des ‘millennials’, en raison de la trop grande disparité, en termes d’époque, de culture mais aussi de modèles de croissance.
Notre pays a fait le choix assumé d’investissements inclusifs, permettant de désenclaver certaines régions et de jeter les jalons d’une productivité accrue à moyen ou plus long terme. Toutefois, un tel discours ne doit pas occulter certains de nos maux structurels, dont particulièrement la pertinence de certains investissements publics, qui doivent être mieux conçus et pensés en amont.
Dans une telle logique, je pense personnellement que notre politique en termes de gestion des phosphates et de leurs dérivés est assez exemplaire, s’agissant d’investissements à même d’accroître la productivité dans les années à venir (projet de pipeline, usine d’engrais en Ethiopie…).
Ce type de conception de l’investissement public devrait à mon sens être dupliqué à certains pans de l’économie marocaine, qui verraient ainsi leur productivité substantiellement améliorée.
C’est là de fait l’illustration de mon argumentaire. Nous avons d’une part certains investissements à visée sociale, donc faiblement générateurs à court terme de valeur ajoutée, et d’autre part, des investissements structurants, très substantiels (dans le domaine des dérivés phosphatés, des transports…), mais dont les effets devraient être perceptibles, au mieux, si tout se passe selon les prévisions, dans 5 ou 6 années.
F.N.H. : Le pays n’est donc pas en mesure d’accumuler du capital pour améliorer sa productivité et répondre aux besoins de l’économie. Quelle est votre recommandation ?
H. B. A. : La situation macroéconomique du pays était assez exceptionnelle il y a encore 4 ou 5 ans, avec des croissances économiques continues et substantielles (de l’ordre de 5% par an), un endettement public contenu à des niveaux modérés et des investissements de prestige (ports, autoroutes, terminaux d’aéroports…). Aujourd’hui, notre dette publique excède les 80%, contre moins de 50% il y a 10 ans encore, soit un niveau qui doit interpeller et appeler à la réflexion quant à la définition des investissements à venir et la régulation des investissements en cours.
En outre, l’encours des crédits de TVA dus à certaines entreprises marocaines concourt à la faible disponibilité de la trésorerie sur le marché marocain. De fait, l’ensemble des maux de notre économie (débats sur la productivité de l’investissement public, allongement des délais de paiements interentreprises…) sont beaucoup plus fortement interconnectés que l’on pourrait le croire. Dans une telle logique, une réponse globale devrait être apportée par les pouvoirs publics aux origines sous-jacentes de certains dysfonctionnements majeurs. ■
Propos recueillis par S. Es-siari
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