Législatives: «Il sera plutôt difficile d’entrevoir la composition de l’opposition»

Législatives: «Il sera plutôt difficile d’entrevoir la composition de l’opposition»

Un taux de participation de 50,18% signifie que les Marocains aspirent au changement.

102 sièges pour le RNI contre 13 pour le PJD. Le PAM et l’Istiqlal complètent le trio gagnant de ces élections.

Taoufiq Boudchiche, économiste basé à Paris et ancien fonctionnaire international, nous décortique plusieurs aspects du triple scrutin.

 

 

Propos recueillis par Ibtissam Z.

 

 

Finances News Hebdo : L’écrasante défaite du PJD est une véritable gifle électorale pour le parti. Comment expliquez-vous ce revers historique ?

Taoufiq Boudchiche : Passer de 125 députés à 13 constitue un revers électoral très important et aussi impressionnant qu’inattendu. Est-ce historique ? Je ne sais pas. Car il faudrait que ce revers électoral puisse exprimer un rejet populaire, non seulement sur son action au gouvernement qui a été sanctionnée lors de ce scrutin, mais aussi de manière durable sur le fond idéologique et politique, qui a sous-tendu l’émergence du PJD sur la scène politique marocaine. Cet échec conduira probablement le PJD à faire son «introspection». Le référentiel religieux et la capacité d’organisation de ce parti n’auront pas suffi à mobiliser ni sa base électorale, ni au-delà. Politiquement, c’est peut-être une bonne nouvelle, car l’utilisation du «discours religieux et moralisateur» à des fins électorales ne suffit plus. Il faut espérer également que cette défaite soit une leçon plus globale pour une sortie du «populisme religieux transnational», porté par le mouvement des frères musulmans, qui bloque les progrès sociétaux au Maroc et cause beaucoup de dégâts dans d’autres sociétés arabo-musulmanes sans apporter de vraies solutions aux questions sociales et économiques (lutte contre la pauvreté, emploi, éducation, santé…). On cite souvent la Turquie comme étant un modèle à suivre en matière de politique à succès avec un fort référentiel religieux.

Mais la Turquie d’Erdogan est un cas à part. C’est un Etat laïc dont les populations sont d’abord attachées à la laïcité qui préserve la diversité culturelle de la nation turque et aussi dont les ressorts culturels sont plus proches des cultures européennes plus que des cultures au Sud de la Méditerranée plus conservatrices. Ceci étant, et si l’on regarde la situation de manière non partisane, il ne faut pas non plus trop jeter la pierre au PJD qui, de manière globale, conscient de ses contraintes internes, notamment un manque d’expérience gouvernementale et de compétences, a permis au pays, sous l’égide de Sa Majesté le Roi, de traverser quelques périodes difficiles comme le printemps arabe. Mais, au plan de l’action gouvernementale, il aura failli, comme évoqué ci-haut, sur les solutions concrètes à apporter d’une part, au déclassement ressenti par la classe moyenne (une réforme des retraites très insatisfaisante, l’augmentation du coût de la vie décriée par les populations toutes catégories confondues, l’accès à une éducation et une santé de qualité devenue inaccessible…). Sans pour autant laisser une impression d’avoir apporté des solutions probantes aux questions de pauvreté, de corruption, de moralisation de la vie publique, d’emplois… sur lesquelles il était en particulier attendu. Et aussi, il a laissé une image de manque d’innovation au sein du gouvernement. Par exemple, son opposition à la légalisation du cannabis a été perçue plus comme une «opposition de principe moral» plutôt qu’une opposition fondée sur une «analyse politique et socioéconomique des coûts-bénéfices» rationnelle et objective. En effet, la création d’une filière de production de cannabis thérapeutique est apparue, là aussi, selon mon humble avis, aux yeux de l’opinion publique comme innovante pour le pays avec à la clé création d’emplois et de nouveaux revenus dans le cas des territoires qui s’y adonnent de la plus mauvaise des manières, c'est-à-dire informelle et criminelle. Une telle option audacieuse et séduisante n’a pas été bien gérée par le PJD.

 

F.N.H. : RNI, PAM et Istiqlal, le trio de tête est armé de compétences. Comment cela va-t-il se traduire sur le volet économique ?

T. B. : A la tête de ces trois partis, il y a eu un renouvellement des leaders. Des leaders compétents et très motivés. Cela, selon mon point de vue d’analyste encore une fois très modeste, a permis d’apporter un renouveau en termes de leadership, de volonté de gagner, d’ambition et d’efficacité. Ils ont mené des campagnes électorales 2.0 très efficaces en s’appuyant notamment sur les techniques de mobilisation numériques et audiovisuelles de nouvelle génération. Il semblerait, selon certains écrits, que le RNI par exemple qui est arrivé en tête de ces élections, a mis en place une «task force» digitale interne au parti, jeune et très au fait, du marketing politique. Il a repensé sa charte graphique, mis en place des plateformes numériques dédiées pour attirer la jeunesse vers les urnes. Les résultats étaient au rendez-vous pendant la campagne électorale et en termes de scores.

Selon les responsables de leur campagne numérique, les comptes Facebook, Instagram, Twiter, Tik Tok… du RNI ont explosé et sont passés très vite, de 300.000 followers à 1,5 million surtout chez les jeunes. Cela pourrait être une partie de l’explication de ses gains électoraux. Les batailles électorales se gagnent aujourd’hui sur les réseaux sociaux comme on l’a constaté dans les grandes démocraties (Etats-Unis, Royaume-Uni, France…). Aujourd’hui, cela se passe au Maroc. Il s’agira d’une nouveauté à prendre en compte pour l’avenir pour moderniser les campagnes électorales et améliorer un tant soit peu le débat démocratique pré-électoral et post-électoral. Concernant le volet économique, la deuxième partie de la question, le RNI détenait déjà dans le gouvernement sortant des portefeuilles à caractère économique d’importance pour le pays, Agriculture, Industrie, Economie et Finances… Les compétences des ministres qui en étaient en charge sont indiscutables ainsi que leurs résultats aux yeux de l’opinion publique. Aussi, dans cette nouvelle phase, seront-ils dans l’obligation de réussir, surtout sur le volet économique. Celuici sera très important pour atteindre les seuils de croissance économique de 6% attendus du nouveau modèle de développement (NMD) afin de résoudre les problèmes d’emplois qualifiés, de réduire drastiquement la pauvreté et de conduire les réformes dans les secteurs sociaux (santé et éducation en particulier).

 

F.N.H. : Quelles sont les alliances possibles pour la formation du gouvernement ? Et quel serait le scénario idéal ?

T. B. : Je ne m’engagerai pas pour répondre au scénario idéal. Idéal pour qui ? Pour le parti chargé de former le gouvernement ? Pour les partis arrivés en tête ? Pour l’opinion publique ? D’autant plus que le chef du RNI a annoncé qu’il n’y aurait pas de tabou à travailler avec l’ensemble des partis notamment au plan local. Il devra en tenir compte pour former une majorité gouvernementale cohérente et alignée sur le programme du RNI. Le PJD, je crois savoir, avait déjà annoncé avant le scrutin qu’il se positionnerait dans l’opposition au cas où il ne serait pas en tête des élections. Ceci étant, pour la formation du nouveau gouvernement, il y aura à mon avis quelques critères de base. D’abord répondre au besoin de changement et d’alternance, exprimés par les urnes. Deuxièmement, un gouvernement inclusif des forces politiques arrivées en tête des élections. Troisièmement, un gouvernement en mesure d’obtenir des résultats rapidement aux yeux du citoyen qui ne doit pas être déçu à défaut de le démotiver et lui faire perdre confiance aux institutions du pays.

Probablement, ce qui sera plutôt difficile à entrevoir, c’est la composition de l’opposition. Car, il faudrait aux côtés du PJD qui au final sera un petit parti d’opposition, vu le nombre de sièges obtenus, la présence d’autres partis qui accepteraient de former une opposition qui ait de l’allure et permettre à la démocratie de fonctionner correctement. Après, il faut s’interroger sur qui acceptera parmi les partis peu représentés électoralement de ne pas vouloir entrer au gouvernement : les représentants de la gauche ? USFP, PPS FDG ? Les petits partis libéraux MP, UC, …La bataille sera rude de ce côté-là. Par ailleurs, la situation du Royaume au plan international doit également être prise en compte dans la formation du nouveau gouvernement. Les menaces externes, la question de l’intégrité territoriale, l’adversité prononcée du voisin algérien, les relations avec l’Europe et les grandes puissances. Autant d’enjeux qui nécessitent plus que jamais unité nationale et cohérence dans les décisions et dans l’action gouvernementale.

 

F.N.H. : Quel regard portez-vous sur le programme du RNI ?

T. B. : Il me paraît un programme ambitieux et à l’image de son leader porté sur des résultats mesurables. Il est dit par exemple, cinq engagements, 25 mesures pour un coût de 270 milliards de DH. Les engagements touchent à la généralisation de la protection sociale (selon une vision globale et joliment formulée «la protection du citoyen contre les aléas de la vie»), à l’école, à l’emploi, à la réforme de l’Administration, la régionalisation. Sont évoqués parmi ces mesures la création d’un millier d’emplois directs, un revenu de dignité, doubler le budget du secteur de la santé, etc. Mais pour réaliser ces progrès sociaux, il faudra se concentrer sur la relance économique, s’attaquer à la question de la redistribution des richesses et la lutte contre les inégalités, tout en maîtrisant les impacts de la crise sanitaire qui n’est malheureusement pas finie.

D’autre part, il y a les crises globales, inédites et parfois concomitantes, qui peuvent survenir à tout moment et déstabiliser l’économie et la société comme celle que nous vivons avec l’apparition de la Covid-19. Tout en étant centré sur les citoyens, le programme du RNI évoque quelques solutions à caractère global comme la transition énergétique, il faudrait peutêtre aller plus loin. Notamment, pour accompagner la transformation structurelle, impulsée par Sa Majesté le Roi, à travers les enjeux et la feuille de route du nouveau modèle de développement dont la charte devrait permettre de réunir les forces du pays pour y arriver. Il faudra donc articuler, en termes de moyens et de mise en œuvre, le programme du RNI avec la feuille de route tracée par le nouveau modèle du développement.

 

 

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