Le discours Royal du 9 mars consacré essentiellement aux réformes constitutionnelles profondes, annonce un chantier politique dont les items pertinents toucheraient des questions de démocratie, des institutions et des questions relatives aux mutations territoriales, conforte les choix politiques du Maroc d'inscrire la régionalisation dans une dynamique qui tend à réinventer le territoire dans un contexte de crises, de mutations et de compétitivités nouvelles. Un nouveau cadre de pensée et d'actions se concrétise donc pour aborder et répondre aux nombreux défis de développement politique, économique et social durable.
Pour mieux saisir la portée de la nouvelle orientation imprimée à la régionalisation, il paraît possible de procéder à des interrogations qui retracent les vicissitudes et les perspectives de la réforme territoriale au Maroc pour mieux appréhender les innovations introduites par le projet de régionalisation avancée soumis au Monarque, et enrichir ainsi le débat public souhaité autour de la nouvelle approche de la politique régionale du Maroc.
Un premier constat, la région au Maroc procédait davantage d'une conception centralisatrice et intégrative de l'espace inhérente à la logique unitaire de l'État marocain qui s'appuie sur la centralisation comme modalité fondamentale de l'organisation administrative du pays. En dépit du bilan mitigé de l'expérience régionale dans ce contexte, le pouvoir politique n'a jamais remis en cause l'avenir de la région. Il ne manquait pas d'insister sur sa volonté d'en faire un cadre de développement économique et politique pour remédier aux inégalités territoriales, mais aussi au déficit de la démocratie.
Deuxième constat, la période récente à propos de laquelle il est permis d'avancer qu'elle constitue un tournant qui va orienter manifestement le Maroc vers un nouveau paysage administratif, voire politique. L'État, «en jouant la carte de l'autonomie tente de réajuster son image, d'améliorer l'efficacité de sa gestion, de redessiner son système de légitimation en trouvant de nouveaux soutiens à ses choix, de promouvoir une nouvelle voie d'organisation et d'animation de la société et d'instituer une participation à l'œuvre de développement…»
L'idée régionale n'est pas méconnue au Maroc, même si sa mise en œuvre procède d'un volontarisme étatique, elle reflète en effet des spécificités culturelles indéniables et des particularismes régionaux qui structurent «l'espace autour de solidarités et des identités naturelles».
Le processus de réforme régionale tente en effet d'appréhender toutes ces questions complexes où s'interfèrent les impératifs politiques, sociologiques et les exigences économiques. De manière plus significative, les futures régions seront dotées de conseils régionaux dont les membres émaneront d'élections libres et démocratiques, et ce, par le biais du suffrage universel direct. La région serait ainsi en mesure de refléter au niveau de ses instances délibérantes non seulement les forces politiques en présence, mais également les composantes humaines de la région. L'enjeu d'une meilleure perception de la réalité régionale de la part des élus et des électeurs, est de favoriser «la formation d'un ensemble d'habitudes, de modes de penser les problèmes qui, pour les responsables régionaux, manifesteront leur sentiment d'appartenance à l'identité régionale et favorisent la perception de l'intérêt régional» ; ce qui permettrait de combler le déficit de légitimité des acteurs régionaux et de rehausser le statut de la collectivité.
Impulsées par la nouvelle dynamique territoriale, les régions disposeront d'organes exécutifs réels incarnés par des Présidents élus par leurs pairs, certes, mais qui procèdent d'une élection distincte de celle des membres du bureau ; l'objectif étant de rehausser le statut du Président qui se voit ainsi confier des prérogatives en matière d'exécution des délibérations du conseil et d'ordonnancement des recettes et dépenses, en lieu et place des Walis. De ce fait, ils seront désormais fortement impliqués dans la vie civile, administrative et judiciaire de la collectivité territoriale.
Le Président sera soutenu, par ailleurs, dans ses missions par une Agence régionale exécutive des projets d'investissements (AREP ; une structure à caractère technique, certes, mais qui pourrait jouer un rôle stratégique également en matière de conseil et d'assistance au conseil de la collectivité.
Des compétences prioritaires élargies dans des domaines tels que les infrastructures de base, la gestion et la promotion des projets économiques régionaux, les équipements socio-culturels, notamment l'habitat et la santé, la promotion de l'emploi et de l'investissement, l'éducation, le sport et l'environnement ; des domaines qui sont susceptibles d'être partagés entre l'État et les collectivités territoriales, en vertu du principe de subsidiarité ; auxquels s'ajouteront des transferts progressifs des tâches de l'État sur «une base contractuelle dûment formalisée». Elles pourront devenir ainsi de véritables promoteurs du développement intégré au niveau territorial. La régionalisation prendrait alors une dimension managériale dont le but est de faire admettre à l'État que la collectivité territoriale est mieux placée pour gérer certaines affaires publiques qu'il ne le fait lui-même.
Dans cette perspective, les rapports de l'État avec la région évolueraient vers un assouplissement de son emprise ; en augmentant la responsabilité des organes régionaux et en allégeant la tutelle notamment de l'opportunité (contrôle a posteriori). Si elle est appelée à se développer, cette dynamique toucherait également les autres collectivités (province, préfecture et commune). À ce titre, il serait en effet souhaitable que la réforme territoriale appréhende toutes ces questions dans un texte unique qui porte à la fois sur l'État et les autres relais territoriaux.
Pour accompagner le processus de mutation économique et sociale du territoire, la mise en œuvre d'une nouvelle stratégie de développement s'avère incontournable : les objectifs de celle-ci «seront fixés en concertation avec l'ensemble des partenaires dans le cadre de la mobilisation de toutes les capacités nationales et régionales». Dans cette perspective, les rédacteurs du projet de régionalisation n'ont pas manqué de multiplier les cadres juridiques ouvrant la voie à la participation citoyenne, pour une plus grande implication de la population locale dans les choix collectifs ; des mécanismes de dialogue et de concertation sont proposés pour que la démocratie participative se concrétise sur le terrain des réalités. Le projet essaie également d'insuffler un nouveau souffle à l'institutionnalisation des mesures pour renforcer la présence féminine dans la gestion des affaires locales (une représentativité des femmes aux fonctions électives correspondant au tiers des élus est proposée). De même qu'il est prévu d'intégrer l'approche genre dans tous les projets de développement initiés par la collectivité.
Cet espace sera également le lieu d'une large déconcentration des services de l'État dont l'effort portera sur la déconcentration des pouvoirs juridiques et financiers. Il ne fait guère de doute que l'aménagement juridique de ce projet prend en considération des principes de base du système politico-administratif du pays, celui du mode de gouvernance et du découpage régional qui gagnerait à être stabilisé. Le projet ambitionne, dans ce cadre, d'instaurer de nouvelles régions institutionnelles et fonctionnelles, réduites à 12, qui s'organiseront autour de deux grands types de «régions bien délimitées (abstraction faite des régions sahariennes méridionales) : les régions définies à partir de grands pôles, ou même de bipôles urbains rayonnant sur des espaces de croissance économique ; les régions non polarisées, qui couvrent les montagnes atlasiques ainsi que les zones des steppes et déserts plus ou moins oasiens et qui nécessitent un appui fort en termes de solidarité nationale» qui bénéficieraient de l'appui du Fonds de mise à niveau sociale des régions.
Pour prendre en compte les disparités entre les régions riches et d'autres qui n'ont pas les moyens de répondre seules aux exigences de développement, la réforme entend dynamiser un Fonds de solidarité interrégionale, puisque l'importance de ces inégalités affecte, en effet, l'évolution de tout le processus.
Autant de questions de nature complexe, à la fois structurelle et normative, traversent le projet de réforme pour parer aux dysfonctionnements majeurs qui ne manqueront pas d'influencer sa mise en œuvre pratique. Il est vrai aussi que la démarche progressive, qui s'avère fructueuse en matière de réformes administratives, reste de mise pour prendre en considération les difficultés méthodologiques de la transition ; néanmoins, pour ancrer la réforme territoriale dans sa dimension constitutionnelle, le Souverain a estimé que les conditions de la consécration constitutionnelle de la régionalisation avancée sont réunies pour «conférer à la région la place qui lui échoit dans la Constitution, parmi les collectivités territoriales, et ce dans le cadre de l'unité de l'État, de la Nation et du territoire et conformément aux exigences d'équilibre et de solidarité nationale entre et avec les régions».
(*) Professeur universitaire de Droit