La sécurité alimentaire en Afrique

La sécurité alimentaire en Afrique

La Russie et l’Ukraine sont des fournisseurs majeurs de produits agricoles pour l’économie mondiale, ce qui laisse planner des risques importants pour la sécurité alimentaire cette année, en particulier dans les pays arabes. L’Ukraine et la Russie fournissent 53% de la consommation mondiale d’huile de tournesol et de graines de tournesol, 27% du blé, 23% de l’orge, 16% des graines de colza, et 14% du maïs. Plusieurs pays émergents et arabes sont fortement dépendants de l’Ukraine et de la Russie pour leur approvisionnement.

Si l’on considère l’ensemble des produits agricoles cités précédemment, le pays le plus exposé est la Turquie, qui importe 25% de sa consommation des deux pays en conflit. Bien qu’Ankara ait voté pour la résolution de l’ONU qui condamne l’opération Russe, le pays essaye de garder une certaine neutralité, en intervenant comme médiateur dans le conflit. Vient ensuite la Chine avec 23%, et l’Egypte avec 22,6%.

L’Egypte est le pays arabe le plus exposé. La situation devient beaucoup plus préoccupante lorsqu’on se concentre uniquement sur le blé. En effet, plusieurs pays africains apparaissent comme fortement dépendant de l’Ukraine et la Russie : la Somalie importe de chez eux 100% de ses besoins, le Bénin 100%, le Soudan 75%, la RDC 68%, le Sénégal 63%, la Tanzanie 62% et le Rwanda 61%. Il faut noter que tous ces pays africains sont beaucoup plus dépendants de la Russie en réalité (qui fournit en moyenne plus de 80% de leurs consommations) que de l’Ukraine.

Chez les pays arabes, là aussi la situation est préoccupante sur le blé, en raison de la forte consommation annuelle par habitant. De nouveau, l’Egypte ressort comme fortement exposée, avec 81% de ses importations de blé qui proviennent des deux pays. La Libye et la Tunisie sont à 55%, le Yémen - qui est en guerre et fait déjà face à d’autres difficultés - à 51%, et la Mauritanie à 42%. Au Liban, le prix du pain a augmenté de +70%. La situation économique du pays est empirée par la crise économique qu’il traverse, avec un taux de change qui a baissé de -90% depuis 2019.

Le pays qui importe 70% de son blé de l’Ukraine, connait des difficultés notables. En Egypte, la Banque centrale a augmenté son taux directeur et dévalué sa monnaie de -14%, pour freiner la perte de ses réserves de change. Des rumeurs évoquent des discussions déjà avancées entre l’Egypte et le FMI, pour un soutien financier. La dévaluation serait un préalable, pour rééquilibrer le change vers sa valeur réelle et encourager les exportations pour cumuler des devises. Le prix du blé avait connu une flambée de +40% en 2008, ce qui avait entraîné des émeutes de la faim dans plus de 40 pays dans le monde. La situation est aujourd’hui plus risquée : le prix avait déjà augmenté de +40% entre 2020 et 2021 en raison du confinement du Covid et des restrictions sur le commerce international.

Entre 2020 et 2022 le prix a explosé de +80% ! Au Maroc, le pays importe 1,9% de sa consommation de blé, d’orge, de maïs, de colza et de tournesol depuis l’Ukraine et la Russie, un chiffre plutôt bas. Sur le blé, le Maroc n’importe que 15% de son blé de l’Ukraine, avec des fournisseurs diversifiés : Brésil, Argentine, Etats-Unis, Canada, France, Royaume-Uni… Cela rappelle que le principal problème auquel fera face le consommateur marocain cette année, est un problème de cherté et non de disponibilité.

Dans ce contexte, Bank Al-Maghrib a décidé de maintenir inchangé son taux directeur à 1,5%, malgré une stagflation pour 2022 : une hausse de l’inflation prévisionnelle à 4,7% et une croissance fortement dégradée de 0,7%. Le déficit du compte courant devrait se creuser à 5,5% contre 2,6% en 2021, avant d’anticiper une baisse à partir de 2023. Que font les pays pour remédier à la situation ? Ils fixent – et essayent au mieux d’appliquer – des plafonds pour le prix du pain. Ils découragent les exportations de farine, de pates et de féculents en les taxant davantage. Ils essayent également de diversifier leurs sources d’approvisionnement, mais ce qui reste difficile dans la pratique, car tous les pays du monde essayent de faire la même chose au même moment. Enfin, ils encouragent les producteurs agricoles à réorienter leur production vers le blé, pour assurer une plus grande part de production locale.

A moyen-terme, la solution idéale est naturellement de faire des réserves. Mais le souci, c’est que les stocks mondiaux ont eu tendance à baisser de façon structurelle en raison de la mondialisation. Faire des stocks coûte de l’argent, et ces ressources sont immobilisées. Portés par l’élan de la mondialisation et du libre-échange, les importateurs ont fonctionné davantage en flux tendu, et cette tendance est mondiale. Aux Etats-Unis, alors que les stocks de blé représentaient 50% de leur consommation annuelle à la fin des années 70, ce chiffre est tombé à 20%. Même son de cloche pour le maïs : passé de 30% à 10%, et pour le soja, passé de 15% à 10%. Au niveau mondial, les stocks de céréales et d’oléagineux sont passés de 25% de la consommation annuelle à la fin des années 70, à 15%.

Du coup, ces stocks qui sont censés servir de tampon lors de la hausse des prix, sont devenus plus faibles avec le temps, ce qui a eu pour effet d’accroître la volatilité des cours. Aujourd’hui, après la crise du Covid, et celle de la Russie et de l’Ukraine, nul doute que plusieurs pays vont repenser cette stratégie de fonctionnement en flux tendu, en investissant davantage sur de nouvelles capacités de stockage, à visée stratégique. 

 

Par Omar Fassal *

 

*) : Omar Fassal travaille à la stratégie d’une banque de la place. Il est l'auteur de trois ouvrages en finance et professeur en Ecole de commerce. Retrouvez-le sur www.fassal.net.

 

 

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