► L’évaluation permettrait de tirer les enseignements et de déterminer les responsabilités de la gestion des EEP au cours de ces dernières années.
► L’une des tares majeures du secteur public est que la réforme de celui-ci, notamment en matière de rationalisation, s’est accompagnée par la création de nouvelles structures qui se sont superposées au fil des années.
► Entretien avec Azeddine Akesbi, professeur d’économie et expert de l’Open budget.
Propos recueillis par M.D
Finances News Hebdo : A l’occasion de la fête du Trône, le Roi a souligné dans son discours la nécessité de mettre en place une réforme profonde du secteur public pour corriger les dysfonctionnements structurels des établissements et des entreprises publics (EEP), avec l’objectif de garantir une complémentarité et une cohérence optimales entre leurs missions respectives. Que vous suggère cette idée ?
Azeddine Akesbi : L’idée de la réforme et de la rationalisation du secteur public remonte à près de 40 ans. L’actuel wali de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri, ancien ministre délégué, chargé de la Réforme des entreprises publiques en 1978 et des Finances entre 1981 et 1986, avait réalisé une étude sur le secteur public.
Ce travail comportait déjà à l’époque des idées semblables à celles proposées aujourd’hui. La réforme du secteur public annoncée est une action à saluer mais il faut un préalable crucial. Celui des évaluations et des audits qui doivent être rendus publics. Cette démarche permettra de tirer les enseignements et de déterminer les responsabilités de la gestion des EEP au cours de ces dernières années.
Il faut savoir que les responsabilités peuvent être partagées entre les dirigeants des EEP, d’autres institutions publiques et ministères. Il n’est pas rare que des EEP effectuent des investissements ou des opérations qui ne rentrent pas dans le cadre de leurs missions.
L’OCP investit dans l’enseignement supérieur, un domaine a priori éloigné de son cœur de métier. Parfois, certains EEP sont sommés d’effectuer des dépenses supplémentaires en plus de l’alimentation du budget général de l’Etat (BGE). L’exemple de la contribution au Fonds dédié à la gestion de la Covid-19 est éloquent. Jusque-là, la restructuration du secteur public a consisté parfois à la fusion d’entités publiques. Quel bilan tirer de cette pratique ? Il y a près de 10 ans, l'Office national d'électricité (ONE) fusionnait avec l'Office national d'eau potable (ONEP).
A mon sens, cette fusion a été motivée par la volonté de camoufler la situation financière désastreuse de l’ONE au lieu d’aborder la question des responsabilités. Sachant que ce point est un élément fondamental pour l’édification d’un secteur public efficient.
F.N.H: D'après le ministère des Finances, plus de 70 EEP devraient être liquidés, sachant que les EEP non marchands devraient bénéficier de 36 Mds de DH de subventions au titre du budget général de l’Etat (BGE). Que pensez-vous de ces liquidations qui devraient intervenir avec la Loi de Finances de 2021, puisqu’en raison des doublons, certains EEP n’ont plus raison d’exister selon la tutelle ?
A.A : Cette question conforte l’idée développée plus haut, celle de la responsabilité, qui suscite plusieurs interrogations. La liste des 70 EEP permettrait de savoir comment en sommes-nous arrivés là. La création des 70 EEP était-elle justifiée ? La réponse à cette question est un élément de succès de la future réforme annoncée. Il est clair qu’en imposer des projets non rentables aux EEP, l’Etat est obligé d’allouer des subventions afin de compenser à travers le BGE le manque à gagner.
Ce qui altère les finances publiques fortement chahutées par la crise liée au coronavirus. Les recettes fiscales enregistreront une baisse substantielle cette année du fait entre autres, du recul de l’impôt collecté au titre de la TVA (baisse de la consommation) et de la méforme des entreprises dont peu réaliseront des bénéfices, nécessaires pour le paiement de l’IS.
F.N.H : Avec la création de la future Agence nationale, dont la mission consistera à assurer la gestion stratégique des participations de l’Etat et à suivre la performance des établissements publics, est-il opportun de conserver l’existence de la direction des Entreprises publiques et de la privatisation (DEPP) ?
A.A : A l’évidence non. Il serait impertinent de faire cohabiter les deux entités publiques dont vous faites mention. L’une des tares majeures du secteur public est que la réforme de celui-ci, notamment en matière de rationalisation, s’est accompagnée par la création de nouvelles structures.
Lesquelles se sont superposées au fil des années, créant ainsi des doublons injustifiés. Dans le même temps, l’on constate que certaines agences ou organismes nouveaux qui ont vu le jour ces dernières années, sous l’autel de l’efficience du secteur public, ont supplanté les institutions publiques en matière de prise de décisions. A ce titre, la politique publique doit être interrogée dans l’optique de déterminer l’acteur principal en matière de prise de décisions.
F.N.H : Dans le cadre de la réforme des EEP, est prévue la création de groupes et holdings sectoriels homogènes répondant à des impératifs de taille critique, d’optimisation de la gestion (flux, trésorerie, coûts de l'endettement...). Quelle appréciation faites-vous de cette mesure ?
A.A : J’ai des doutes par rapport à l’efficacité de cette mesure. Au lieu de procéder à la création de nouveaux groupes ou holdings, il serait mieux de mettre en place une politique clairement définie ayant trait au patrimoine public. Une nouvelle structure de plus peut être efficace comme elle peut ne pas l’être. D’autant plus que celle-ci générera des dépenses publiques supplémentaires.