Entretien. La grande refonte du système de santé est en marche

Entretien. La grande refonte du système de santé est en marche

Le ministre de la Santé et de la Protection sociale, Khalid Ait Taleb, nous dresse le bilan de la gestion de la crise sanitaire du Covid-19 et les leçons tirées de cette pandémie.

Il revient également sur les grandes réformes structurelles qui sont en cours d’opérationnalisation par son département, notamment celle du système national de santé, qui s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre des hautes directives royales. Entretien

 

Propos recueillis par F. Ouriaghli & A. Najib

Finances News Hebdo : Tout d’abord, quel bilan faites-vous de la gestion du Maroc de la crise sanitaire du Covid-19 ?

Khalid Aït Taleb : En fait, nous sommes toujours dans la pandémie, étant donné que l’Organisation mondiale de la santé ne s’est pas encore prononcée sur la fin de cette crise sanitaire. Il faut dire que la gestion de la Covid était une  gestion contextuelle. Chaque pays a essayé de donner le meilleur de lui-même. Concernant le Maroc, je pense qu’avec les orientations de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu le Glorifie, la gestion a été basée essentiellement sur l’anticipation. C’est-àdire une gestion proactive, tout en gérant l’actuel. Globalement, le Maroc s’en est bien sorti, malgré les dysfonctionnements et les insuffisances que connaît le secteur de la santé, notamment la pénurie en ressources humaines. Les gens ne s’attendaient pas à ce que le ministère de la Santé s’en sorte bien face à l’intensité de la crise sanitaire. Finalement, nous étions parmi les pays qui ont le mieux géré la crise dans le monde. Ce qu’il faut savoir à ce niveau, c’est qu’il n’y a pas de recettes par rapport à la gestion d’une crise sanitaire. Il faut déployer et concilier les moyens dont nous disposons par rapport à la crise, et c’est ce qui a été fait. D’ailleurs, nos résultats à ce niveau sont très probants.

 

F.N.H. : Où en sommes-nous concrètement aujourd’hui ?

Kh. A. T. : Aujourd’hui, nous sommes à un total de 16.000 décès. 1.272.000 personnes ont été contaminées, avec un taux de létalité à 1,3%. C’est l’un des plus bas du monde. En ce moment, la contamination est très faible. La situation est bien maîtrisée parce qu’il y a une meilleure connaissance de la maladie. Nous appréhendons mieux les mécanismes physiopathologiques de la Covid au fur et à mesure de son évolution. La Covid au virus Delta ou Alpha n’est pas la Covid au virus Omicron. D’ailleurs, nous connaissons mieux aujourd’hui les dégâts occasionnés par le virus sur l’organisme. Dans ce sens, je cite un élément fondamental que nous ne connaissions pas avant : la thrombose veineuse et l’embolie vasculaire qui est secondaire au phénomène inflammatoire et que nous ne voyions pas avant. Maintenant, nous comprenons mieux et nous traitons mieux, et les résultats sont là.

 

F.N.H. : Dans ce sens, comment le Maroc a pu s’en sortir au niveau de la logistique au moment où les frontières aériennes et terrestres étaient fermées, au moment où le Maroc a choisi le confinement ?

Kh. A. T. : C’est là un moment crucial dans la gestion de la crise sanitaire. Malgré toutes les critiques du monde, c’était le meilleur moment pour confiner. Cela nous a laissé le temps de mieux nous préparer. Il faut savoir qu’à cette période, nous n’avions pas assez de places de réanimation. On voyait venir la catastrophe avec la marée des cas graves, alors que nous disposions de seulement 684 places de réanimation, avec 222 réanimateurs dans le secteur public et 480 dans le secteur privé. Difficile de gérer une telle situation. Il a fallu mutualiser les moyens. Mais nous avons réussi à mettre en place un travail de proximité entre le public et le privé; ce qui est une expérience inédite dont nous avons tiré toutes les leçons, puisque nous avons décloisonné surtout dans les grandes métropoles. En même temps, nous avons travaillé avec les autres disciplines qui se rapprochent de la discipline de la réanimation. Ainsi, nous sommes passés de 684 à 5.260 lits de réanimation, ce qui est un chiffre important. Et ce, en peu de temps. C’est ce que nous avons gagné dans la gestion de la Covid. Et quand je dis un lit de réanimation, il s’agit d’un lit équipé avec tout le matériel et la logistique que cela implique. Dans cette gestion, dès le début, Sa Majesté avait donné ses Hautes instructions pour que nous puissions rapidement traiter les premiers cas enregistrés et procéder à la vaccination. Parce qu’on voyait venir les choses. C’est dans cette optique que le Maroc s’est positionné parmi les premiers pays au monde en termes de vaccination. Ce qu’il faut savoir, c’est quand d’autres pays cherchaient comment se procurer les produits, nous étions déjà dans les pourparlers pour être parmi les premiers à être approvisionnés en vaccins.

 

F.N.H. : Quelles sont les leçons que votre département a tirées de cette pandémie en termes d’anticipation, de préparation, de formation des cadres et du personnel soignant et de disponibilité des unités de soins dédiées et de médicaments ?

Kh. A. T. : Ce n’est pas juste une anticipation, mais c'est une véritable organisation à tous les niveaux. Il s’agit d’un travail collégial et collaboratif avec plusieurs instances. Sa Majesté avait ordonné qu’il y ait un comité de sécurité, qui devait veiller à l’exécution des opérations et des décisions qui sont prises. Ce qui permet également le suivi. Sans oublier la constitution d’un comité de vigilance économique. Ce comité de veille a été décisif parce que l’impact socioéconomique de la Covid n’était pas des moindres. Au niveau sectoriel, il y a eu la mise en place des comités d’urgence sanitaire. De même, il y a eu la constitution du comité scientifique, qui est l’une des premières instances qui suivait de très près les différentes phases scientifiques dans la gestion de la pandémie. Ce comité réunit toutes les compétences civiles et militaires, publiques et privées, pour orienter les différentes étapes de la gestion de la crise. Par la suite, toutes les décisions prises ont été déployées au niveau territorial, parce qu’en même temps, tout au début, il y a eu une convergence des décisions centrales. Et, au fur et à mesure de la compréhension de la crise, nous avons pris la pleine mesure des ramifications de la contextualisation territoriale. Dans ce sens, chaque territoire a pu prendre des mesures adaptées à son contexte.

 

F.N.H. : Dans ce sens, en ce qui concerne l’unité de fabrication des vaccins, où en sommes-nous aujourd’hui ?  

Kh. A. T. : Ce qu’il faut savoir, c’est que cette idée de construction d’une unité de fabrication des vaccins n’émane pas du néant. C’est Sa Majesté qui a très tôt pris cette décision. Parce que l’une des premières leçons que nous avons tirées de cette pandémie, est celle de la souveraineté médicale et sanitaire du pays. Il est exclu que le Maroc reste toujours dépendant d’autres pays. Il y a eu le lancement de l’usine, dont les travaux sont pratiquement achevés. Nous sommes en train de superviser les derniers lots de validation pour passer à la fabrication. Cette usine ne va pas se contenter de seulement fabriquer des vaccins contre la Covid, mais elle servira à fabriquer 80% des vaccins dont le Maroc a besoin dans le cadre du programme d’immunisation marocain qui comporte 22 vaccins. Concrètement, nous sommes aujourd’hui en train de travailler sur quatre vaccins : l’anti-covid, le HPV, anti pneumococcique et l’antirabique. Nous allons d’abord commencer par la fabrication de ces quatre vaccins avant de passer à quatre autres, parce qu’il y a tout un transfert technologique à opérer ainsi qu’un transfert d’analyse aussi. Ce qu’il faut retenir, c’est que d’ici la fin 2023, nous aurons déjà quatre vaccins dans le pipe.

 

F.N.H. : Aujourd’hui, où en êtes-vous dans la formation des cadres, du personnel soignant et de la disponibilité des unités de soins, en prévision à d’autres crises sanitaires ?

Kh. A. T. : Je voudrais d’abord remercier (et je ne pourrais jamais les remercier assez) tous les professionnels de santé, les agents d’autorité, le ministère de l’Intérieur, la Sûreté nationale, la Gendarmerie royale, la Protection civile, Les Forces armées royales, les instances médicales de l’armée et les Forces auxiliaires qui n’ont ménagé aucun effort pour que l’on puisse cerner la pandémie. Il faut aussi dire qu’au niveau des professionnels de santé, malgré les insuffisances en moyens et en logistique, ils ont pu réaliser un travail exemplaire à plus d’un égard. A ce titre, cette crise nous interpelle pour nous préparer aux crises à venir. Il est clair que nous avons enduré des difficultés, mais nous avons aussi réalisé des prouesses. Partant de cette expérience, notre priorité est de savoir comment le Maroc pourrait devenir autonome à 100% en matière de gestion médicale et ne dépendre d’aucun autre pays.

 

F.N.H. : Est-ce que c’est possible ?

Kh. A. T. : Aujourd’hui, tous les pays, malgré leur pouvoir économique, ne peuvent compter uniquement sur leurs propres ressources. Il nous faut un travail collaboratif.  Il faut travailler en réseau. Je pense que la souveraineté sanitaire peut se concevoir pour chaque pays, mais elle ne peut être effective qu’en travaillant avec d’autres partenaires. C’est la raison pour laquelle Sa Majesté est en train de travailler sur la souveraineté sanitaire au niveau continental. Nous avons la possibilité de la faire. Et nous avons toutes les compétences pour la mettre en pratique. Cela nous ramène à parler de cette grande question qu’est le Made in Morocco. Il faut que le Maroc repose aujourd’hui sur sa propre production, sur sa propre industrie médicale et sanitaire. Dans cet objectif, bien sûr, il y a la formation des cadres pour mettre sur pied un dispositif qui puisse faire face à n’importe quelle crise sanitaire. D’ailleurs, ces mesures font partie de la refonte que nous sommes en train de mener.

 

F.N.H. : Il y a donc une profonde adaptabilité qui s’est mise en place suite à cette crise sanitaire…

Kh. A. T. : Tout à fait. Le secteur de la santé est aujourd’hui en pleine mutation, avec tous les impératifs de la technologie. Le Maroc prend les devants dans ce sens. Nous avons initié un travail collaboratif avec le ministère de l’Industrie et du Commerce pour réaliser le chantier de l’innovation industrielle dans le domaine de la santé pour une production Made in Morocco. D’ailleurs, durant cette crise, beaucoup de produits sont sortis manufacturés marocains, que ce soit pour les tests biologiques,   les PCR, etc. Nous avons de grandes compétences nationales; il suffit de leur donner la possibilité de travailler et de leur faire confiance. Dans cette optique, nous sommes en train de baliser tous les axes de la santé. Depuis le début de la crise, il y a une équipe qui s’est penchée sur le problème des respirateurs, mais aussi sur celui des lits. Maintenant, nous sommes en train de travailler sur les produits d’ostéosynthèse et les prothèses que nous importons à des prix très élevés. Car, il y va aussi de la soutenabilité de la protection sociale. Parce qu’aujourd’hui, le coût des soins, avec tout ce que nous importons, impacte la facture sociale. Et les organismes gestionnaires n’ont pas la possibilité de supporter une facture aussi élevée. Avec la production marocaine, nous allons pouvoir agir sur cette protection.  

 

F.N.H. : La généralisation de l’AMO est désormais une réalité au Maroc. Elle s’accompagne néanmoins d’une forte augmentation des demandes de soins et de médicaments. Quelles sont les mesures d’accompagnement qui ont été prises à cet effet pour garantir aux citoyens une qualité de soin et une prise en charge optimales ?

Kh. A. T. : Sa Majesté, dans plusieurs de ses discours, notamment celui de 2018 de la Fête du Trône, a insisté sur la généralisation de la couverture médicale. Et le Souverain l’a associée à la refonte du système de santé dans notre pays. C’est un tandem indissociable parce que nous ne pouvons pas travailler sur la couverture sociale sans pour autant préparer le réceptacle, qui est bien sûr le système de santé adéquat. Concrètement, le 1er décembre 2022, le gouvernement a fait basculer tous les ramedistes (les bénéficiaires du Ramed) à l’assurance maladie obligatoire (AMO).  Aujourd’hui, on se retrouve avec trois grandes catégories. Il y a la catégorie des salariés, qui comporte ceux du privé et du public, gérés par la CNOPS ou la CNSS. Il y a la catégorie des travailleurs non-salariés qui sont pris en charge par la CNSS et qui englobe pratiquement tous les métiers, y compris les métiers de la presse. Il y a aussi la catégorie des personnes démunies, qui viennent de l’ancien Ramed et qui sont aujourd’hui AMO Attadamoun. C’est une logique tiers, tiers, tiers. Cela représente pour chaque catégorie le même nombre de bénéficiaires, 11 millions pour chacune d’entre elles. Dans ce sens, le Ramed est aujourd’hui englobé dans l’AMO Attadamoun. Nous sommes dans une phase transitoire à laquelle nous sommes en train d’apporter les ajustements nécessaires.

 

F.N.H. : La grande question qui reste aujourd’hui posée est comment faire le meilleur ciblage pour que les gens puissent bénéficier des programmes sociaux au niveau de la protection sociale…  

Kh. A. T. : C’est pour répondre à cette question que nous sommes en train de travailler sur le registre national des populations. Dans ce sens, il y a bien sûr le registre social unifié, qui est le baromètre du niveau de vulnérabilité des ménages et des individus. Parce qu’il faut dire les choses comme elles sont. Certains ont bénéficié du programme Ramed même s’ils ne faisaient pas partie d’une population défavorisée ! Nous allons donc permettre au reste des programmes sociaux, comme les allocations familiales et le programme Tayssir, d’être bien identifiés pour avoir un réel indicateur d’éligibilité. Avec ce ciblage, nous allons être très précis. Maintenant, il faut aussi savoir que l’assurance médicale n’est pas un phénomène statique. Au contraire, c’est un phénomène dynamique qui évolue, et dans lequel il y a certaines personnes qui entrent et d’autres qui sortent. Ce qui explique qu’il y aura une période transitoire durant laquelle ce registre social nous permettra de  redresser et d’apurer la situation, d’ici juin 2023. Il faut aussi préciser qu’il y a tout un travail législatif qui a été fait. Nous avons passé exactement 29 textes de lois. Le dernier texte est en passe d’être validé. Il s’agit de la loi 60 22, qui concerne ceux qui ont la possibilité de cotiser, mais qui n’appartiennent à aucun système. Nous leur avons créé une possibilité d’adhérer à l’assurance maladie obligatoire. Maintenant, avec tout cet arsenal juridique, personne n’est laissépour-compte; tout le monde a la possibilité d’être pris en charge.

 

F.N.H. : Comment voyez-vous l’avenir de la santé au Maroc, en relation avec l’amélioration de l’offre des soins qui demeure une réelle préoccupation pour les citoyens ?

Kh. A. T. : Je pense que ce n’est pas là une question exclusive au Maroc. Tous les pays du monde ont pris aujourd’hui la pleine mesure de l’action centrale de la santé dans les différentes politiques publiques. C’est un élément fondamental dans la sécurité des pays : sécurité sociale, sécurité alimentaire, stabilité des pays… La santé est actuellement un maillon incontournable. Au Maroc, cette prise de conscience s’est imposée d’ellemême et nous avons réagi avec logique et anticipation, parce que nous avons compris qu’un petit virus est capable de chambouler tout un système. Il y a donc matière à réfléchir sur la place à donner au système de santé dans notre pays. En cela, la réforme du système s’impose à nous. C’est pour cela que nous avons prôné plusieurs réformes, avec plusieurs stratégies qui ont été mises en place suite aux différentes politiques gouvernementales qui se sont succédé sans un réel impact sur le terrain. Il y a certes eu des changements durant toutes ces années, mais pas de profondes mutations du système de santé. Car, nous l’avons remarqué, tout ce qui a été fait a entraîné une certaine saturation du système actuel, parce qu’on n’arrive plus à progresser davantage. Dans ce schéma actuel, nous injectons beaucoup d’argent, mais sans impact réel. C’est pour cette raison qu’il a fallu penser à une refonte totale.

 

F.N.H. : Quel en est l’ADN ?

Kh. A. T. : Vous savez, quand on parle des réformes qui se sont succédé, il s’agit de réformes limitées dans le temps. Nous avons constaté qu’il n’y avait pas de continuité de l’action de l’État dans le long terme. C’est ce qui n’a pas garanti la réussite des différentes réformes dans le passé. Il a fallu donc repenser le système de fond en comble. Pour y arriver, il faut d’abord qu’il y ait une gouvernance réelle de ce système de santé. C’est pour cela que Sa Majesté, dans la loi 06 22, approuvée lors du dernier Conseil des ministres, a insisté sur la mise en place d’un système de gouvernance important, avec la création d’une Haute autorité qui serait le garant de l’action de l’État dans le temps, avec une feuille de route, une stratégie, une politique de santé de l’État, une politique inébranlable et que tout le monde doit suivre. Dans cette vision, nous avons une marge de manœuvre pour assurer la pérennité à ce que nous sommes en train de faire. L’autre point important, c’est le manque de traçabilité de ce qui a été fait. Il nous faut donc un système profond d’information. Ce qui est incontournable. D’ailleurs, au jour d’aujourd’hui, toutes les régions, toutes les villes, même au niveau rural, sont dotées d’un système d’information.

 

F.N.H. : Comment se déploie ce système ?

Kh. A. T. : Nous avons quatre systèmes d’information déployés à l’échelle territoriale. Et tous les centres sont liés grâce à un débit Internet, par cellulaire, par fibre optique ou satellitaire pour que l’information médicale circule entre les différentes structures sanitaires. L’impact de cette action n’est pas visible tout de suite, mais nous allons le voir, au fur et à mesure, de manière progressive. Déjà, à partir de la fin 2023, on verra les résultats, parce que cela permettra de doter le citoyen marocain d’un dossier médical électronique. Cette carte va révolutionner la prise en charge. Prenons l’exemple d’un patient hémodialysé : quand il est pris en charge à Oujda, il ne peut pas se déplacer, parce qu’il dépend de son centre d’hémodialyse. Aujourd’hui, ce patient peut se déplacer et faire son hémodialyse n’importe où au Maroc, avec sa carte médicale, parce que tous les malades sont solvables. Muni de son AMO, il choisit son établissement et personne ne peut l’empêcher d’être traité dans n’importe quelle partie du territoire national. Sans oublier que ce patient représente aussi un client pour l’hôpital public. La finalité étant que le système d’assurance maladie finance le système de santé.

 

F.N.H. : Vous prônez une grande complémentarité entre les secteurs public et privé. Cette entente estelle réaliste, et où nous en sommes aujourd’hui ?

Kh. A. T. : Pour vous répondre, je commence par poser cette question : est-ce que le public est suffisant pour répondre aux besoins des populations ? Est-ce que le privé tout seul est suffisant ? La réponse est non pour les deux cas. C’est pour cela que l’on doit être dans la complémentarité. Aujourd’hui, ce n’est pas tant la question du public-privé qui importe. Ce qui est fondamental, c’est d’avoir les ressources humaines suffisantes pour répondre aux besoins de la population, parce que nous sommes en-deçà des ratios, avec un gap important. Il manque 32.000 médecins et 65.000 infirmiers. Évidemment, il n’est pas facile de les former rapidement. C’est pour cela que nous avons vu avec le Chef du gouvernement pour que l’on prenne certaines décisions par rapport à cet état de fait.

 

F.N.H. : Comment allez-vous faire pour résorber ce gap ?

Kh. A. T. : Premièrement, et cela a été validé dans la loi cadre, nous allons créer une faculté de médecine et un CHU par territoire. Nous sommes sur 8 CHU aujourd’hui; nous allons continuer pour doter toutes les régions. Deuxièmement, en augmentant le nombre de centres de formation, nous allons également augmenter le nombre des formés. Troisièmement, nous réduisons le nombre d’années d’études en médecine, en passant de 7 ans à 6 ans. Avec ces trois mesures, nous allons passer du ratio de 1,7 professionnel de santé pour 1.000 habitants à 2,5 en 2025. Nous serons déjà au niveau des recommandations de l’OMS qui sont de 2,3. Et si nous continuons avec le même rythme, nous atteindrons les 4,2 à l’horizon 2028. Avec ce ratio, nous nous approchons des objectifs du développement durable (ODD). Si nous réglons cette première question, nous n’aurons plus de problème au niveau des ressources humaines qui circulent entre le public et le privé. Nous aurons alors une suffisance, qui amène avec elle un niveau de qualité plus haut et plus compétitif. C’est pour cela que je suis convaincu que le public et le privé peuvent se compléter. Je suis tout à fait ouvert à ce que les professionnels du privé viennent travailler dans le public et vice-versa. Bien sûr, avec des cahiers de charges pour qu’il n’y ait pas de dérapages. A un autre niveau, puisque nous sommes sur le groupement sanitaire territorial, il y aura l’élaboration d’une carte sanitaire régionale, qui est automatiquement publique et privée. Dans un futur proche, on ne pourra donc investir que selon les considérations de la carte sanitaire régionale. Parce qu’il nous faut aussi combattre le désert médical. Mais il faut bien qu’il y ait une certaine incitation pour que l’on puisse investir dans des régions déshéritées.

 

F.N.H. : Dans ce sens, où en sont la révision des conventions nationales et la revalorisation de la tarification nationale de référence (TNR) demandée par les médecins du privé ?

Kh. A. T. : La TNR qui existe aujourd’hui date de 1998. Elle a été revue en 2006 pour certains axes. Le secteur libéral travaille aujourd’hui selon la tarification conventionnée. Dans ce sens, il y a un gap entre la tarification et la facturation réelle, il faut le reconnaître. Le citoyen marocain souffre aujourd’hui de ce décalage et il est parfois amené à payer le supplément. Mais le coût réel des soins est sous-estimé dans la tarification nationale. Si nous voulons éviter le chèque de garantie, qui est le noir, il faut revaloriser la tarification nationale de référence. Ceci dit, le privé doit aussi se mettre à niveau comme le fait le public aujourd’hui. Et dans cette mise à niveau, il y a une condition qui est très importante pour que l’on continue à être conventionné avec les organismes gestionnaires : il faut que le système libéral se dote d’un système d’information qui soit intégré dans le système d’information national.

 

F.N.H. : La question de la santé en milieu rural est au cœur de vos priorités. Quelles mesures sont prises pour renforcer l’offre santé dans les campagnes marocaines ?

Kh. A. T. : La loi-cadre 06 22 de la refonte du système de santé prévoit quatre piliers. Un pilier relatif au système de gouvernance, avec au niveau de l’échelle stratégique, la Haute autorité, la création de l’agence du médicament et la création de l’agence du sang. Et à l’échelle territoriale, c’est la création des groupements sanitaires territoriaux. Dans ce processus, il y aura aussi une réorganisation du ministère de la Santé parce qu’avec son organigramme, il n’est plus adapté actuellement aux perspectives de développement de la santé ni par rapport à cette loi-cadre ni par rapport aux défis du futur. Le deuxième pilier, ce sont essentiellement les ressources humaines. Dans cette refonte, il est prévu de créer un statut particulier pour les professionnels de santé, puisqu’on ne peut pas faire partie de ce système et travailler en tant que fonctionnaire sachant que le professionnel subit aujourd’hui une injustice. Dans les années 70 du siècle dernier, les médecins étaient au 3ème rang social.

Aujourd’hui, ils sont au 28ème rang. Dans ce sens, le salaire du médecin est très en-deçà de ce qu’il devrait être. On ne peut pas, avec ces salaires, encourager les professionnels à rester au Maroc. Ils vont certainement aller chercher ailleurs. Pour qu’ils restent ici, il faut leur conférer un statut confortable, avec une incitation. Dans cette politique d’incitation, celui qui travaille plus touchera plus. Nous allons créer un salaire fixe, et au-delà de ce salaire, c’est une variable. Et au-delà de la variable, il y a d’autres modes de rémunération. Ce sera donc un système qui apporte une plus- value. Le troisième pilier, c’est la mise à niveau, qui comporte et l’urbain et le rural. A cet effet, nous avons mobilisé un budget important. Notez bien que le budget de la santé a bien évolué. Certes, il n’est pas conforme aux recommandations de l’OMS, qui est d’avoir 12% du budget de l’État consacrés à la santé, puisque nous sommes aujourd’hui à 6% de ce budget. Mais il y a une augmentation substantielle par rapport à 2019, puisque nous sommes passés de 16 milliards de DH à 28 milliards. C’est déjà énorme. Il y a déjà un élan très positif, avec 1 milliard de DH dédié chaque année, pendant cinq ans, à la mise à niveau des structures sanitaires.

A cela s’ajoute le travail fait au niveau du gouvernement, avec M. Aziz Akhannouch, puisqu’il y a une dotation de 800 millions de DH, pendant deux ans, pour la rénovation de l’ensemble des structures sanitaires et la modernisation de leur système d’information. Il y a aussi un travail qui est réalisé au niveau des CHU, avec 1,7 milliard de DH qui a été dispatché au niveau de cinq CHU anciens afin de les mettre aux normes pour capter plus de clientèle. En outre, il y a d'autres programmes, dont celui du développement rural, avec le concours du ministère de l’Intérieur que je tiens à remercier, ainsi que du ministère de l’Agriculture, dans le but de lever les disparités territoriales. Sans oublier l’INDH et la Fondation Mohammed V qui travaillent également en collaboration avec les systèmes de santé pour apporter des réponses concrètes à différentes mesures dans le domaine de la santé. Le secteur rural bénéficie aujourd’hui de pratiquement 60% des ressources humaines, puisque c’est une priorité nationale.

 

F.N.H. : Comment comptez-vous fidéliser ces ressources qui vont dans le rural pour qu’elles y restent, si sur le plan social elles ne sont pas dans une situation confortable ?

Kh. A. T. : Aujourd’hui, le gap est différent selon les différents territoires. C’est pour cela que nous avons opté pour la création d’un programme médical régional. Dans ce programme, chaque région a sa propre vision des choses et ses propres ressources. Autrement dit, on ne recrute plus au niveau central, mais on déploie les postes budgétaires à un niveau régional, selon une carte et un besoin bien spécifié. Nous affectons selon les profils dont nous avons besoin dans une région ou dans une autre. Ce programme prévoit un mode fixe et un mode mobile. Ce qui veut dire que s’il faut se mobiliser au niveau des régions, mêmes rurales, et être présent selon un rythme régulier pour répondre à un besoin précis d’une population rurale, il faut le faire dans l’optique de la proximité telle que voulue par Sa Majesté. Au lieu que le malade se déplace chez le médecin, c’est le médecin qui va vers le malade jusqu’à ce que l’on ait suffisamment de ressources pour répondre à tous les besoins. 

 

 

 

 

 

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