Voilà un dénouement «temporaire» des plus inattendus pour un feuilleton qui a duré plusieurs mois et ayant paralysé tout le fonctionnement des tribunaux du Royaume. Vers fin novembre 2008, les greffiers et autres fonctionnaires du secteur de la Justice observent un grève pour attirer l'attention du ministre de tutelle de l'époque, le socialiste Abdelwahed Radi, sur la précarité de leur situation financière. En effet, les fonctionnaires déplorent des salaires très bas face à un train de vie de plus en plus cher !
Mais ce que les grévistes ont le plus à déplorer est l'attitude des responsables face à leurs revendications.
«Il fallait être juge ou magistrat pour avoir du poids, sinon, on ne nous prenait pas au sérieux !», déplore ce greffier du tribunal de première instance à Casablanca. Ce «dénigrement» a motivé une grève qui a duré plusieurs mois. Surtout qu'à l'époque quelque 250 greffiers partaient à la retraire avec un salaire qui ne dépassait guère les 1.700 DH. Les greffiers sont alors montés au créneau, soutenus en cela par la Fédération Démocratique du Travail qui avait à l'époque renouvelé son refus du statut général des greffiers du fait qu'il constitue non seulement un recul par rapport aux droits acquis, «mais aussi un détournement grave du gouvernement de l'esprit du discours royal de janvier 2003, et du fait aussi qu'il concrétise la marginalisation et le sentiment d'infériorité du personnel de la Justice».
Le Syndicat Démocratique de la Justice, affilié à la FDT, avait d'ailleurs sommé le ministère de la Justice d'accélérer le déblocage des indemnités et «d'assumer sa responsabilité entière dans la détermination des échéances pour la tenue des examens professionnels, en tant que droit acquis du personnel du secteur, et ce dans de brefs délais tout en nous associant à l'élaboration des décisions réglementaire y afférentes».
Mais depuis, les greffiers ont été ballottés sans que leurs revendications ne soient prises au sérieux. Alors, ils ont employé la méthode forte : celle de travailler deux jours par semaine, le lundi et le vendredi, et d'observer une grève de 72 heures chaque semaine. Cette grève va vite impacter le fonctionnement des différents tribunaux et cours de Justice. Les dossiers s'accumulent et les citoyens voient leurs affaires traîner davantage. Les avocats essayent tant bien que mal de mener à bien leur travail.
Évidemment, à l'époque, une rumeur circulait selon laquelle ce dossier n'est en fait qu'un règlement de comptes entre le PJD, via la FDT, et l'USFP, parti du ministre de l'époque Radi.
Arrive alors un nouveau ministre de la Justice, Mohamed Naciri. Mais ce ministre ne va rien changer à la détermination des greffiers de poursuivre leur mouvement de protestation contre ce qu'ils qualifient «d'injustice sociale» à leur égard.
«L'arrivée de Mohammed Naciri n'a rien changé puisque nous n'avions enregistré aucune avancée sur notre dossier revendicatif, et cela prouve aussi que notre but n'est autre qu'améliorer notre condition de vie», ajoute ce greffier.
D'ailleurs, le 22 décembre 2010, un nombre important de greffiers répond présent à l'appel du Syndicat Démocratique de la Justice pour une manifestation qui devait se dérouler à Rabat le jour même et se diriger vers les trésoreries régionales.
La manifestation sera finalement changée en sit-in devant le ministère de l'Economie et des Finances. Et ce après que les manifestants aient été «embêtés» par des éléments de l'Intérieur comme ils soutiennent. Le soir même, dans un communiqué du SDJ, les manifestants s'étonnent de la neutralité plutôt négative du Premier ministre dans un dossier aussi sensible. Le même communiqué appelle Saleheddine Mezouar, le ministre des Finances, à se conformer au discours royal du 20 août 2009. Le communiqué appelle encore aux manifestations et aux grèves… L'année 2010 s'écoule avec plus de 40 grèves observées par 13.000 greffiers et arrive 2011 sans que les greffiers se fassent aucune illusion sur une éventuelle issue à leur situation. Ils décident alors de faire monter en puissance leur mouvement revendicatif. Les greffiers répondent présent encore à plusieurs journées de grève. Le Syndicat des fonctionnaires de la Justice appelle le gouvernement à faire appliquer le décret 2-10-500 concernant l'augmentation des indemnisations du compte spécial comme approuvé par le Conseil des ministres en date du
16 octobre 2010.
Et, coup de théâtre, les avocats entrent en ligne de compte. Certes, lésé par les grèves répétitives, un groupe de jeunes avocats décide de soutenir les greffiers dans leur mouvement de grève. Une idée qui va trouver écho auprès de l'Ordre des avocats du Barreau de Casablanca. Ainsi, dans un communiqué datant du 21 janvier dernier, le Conseil de l'Ordre annonce l'organisation d'un mouvement de protestation au niveau du champ territorial de la cour d'appel de Casablanca. Cette décision a été motivée, selon le communiqué signé des mains du bâtonnier, pour manifester la colère des avocats qui se retrouvent otages d'une situation qui impacte leurs conditions de travail mais également économiques et sociales. Le communiqué souligne aussi que le mouvement de protestation, qui a d'ailleurs été observé, veut également dénoncer la passivité du gouvernement dans le traitement et l'importance qui devaient être accordés à ce dossier pour sortir de cette crise sans précédent !
À partir de là, les événements vont s'enchaîner à une vitesse incroyable. Le
26 janvier déjà, l'Ordre des avocats du Barreau de Casablanca publie un autre communiqué, suite à une rencontre organisée le 24 janvier avec le ministre de la Justice, et appelle subitement à l'arrêt du mouvement de grève. Contrairement au premier, le deuxième communiqué n'est pas signé par procuration. Certains avocats du Grand Casablanca tombent des nues, mais ils doivent s'y conformer !
Le 27 janvier, des rounds de négociations sont organisés au sein du ministère de la Justice avec les greffiers. Dans le communiqué du SJD, il n'est nullement précisé s'il s'agit d'une rencontre avec le ministre mais le plus important à retenir est que des réunions sont tenues le dimanche 31 janvier entre greffiers et représentations syndicales pour décider de la suite à donner à leur mouvement.
Le lundi 31 janvier, le SDJ tient une réunion pour évaluer la situation et décide de suspendre son mouvement de protestation jusqu'à la fin d'avril, mais sous condition. La première étant une promesse du ministère de tutelle de réformer l'article 4 de la Loi fondamentale de la fonction publique et la publication du décret des indemnisations dans le prochain Bulletin Officiel. Le communiqué revient aussi sur l'attitude du gouvernement qui ne semblerait apporter aucun soutien au ministère de tutelle pour trouver une issue plus favorable à ce dossier. D'ailleurs, une lettre a été adressée dans ce sens au Premier ministre pour qu'il trouve un compromis et concilie entre les différentes parties impliquées dans ces négociations.
En espérant que ces revendications ne resteront pas lettre morte et que le ministre de tutelle s'applique à avancer sur ce même dossier avant l'échéance d'avril pour ne pas se retrouver dans la même impasse !
I. B.