Journée internationale du cancer de l’enfant: «La recherche scientifique explore actuellement trois grands volets»

Journée internationale du cancer de l’enfant: «La recherche scientifique explore actuellement trois grands volets»

Le cancer de l'enfant est une maladie rare qui représente moins de 3% de l'ensemble des cancers. Chaque année, entre 1.000 et 1.500 enfants sont diagnostiqués du cancer au Maroc.

A l’horizon 2030, le nouveau plan national du cancer de l’enfant a pour objectif d’atteindre une survie de 80%.

Entretien avec le professeur Jihane Toughza, spécialiste en oncologie pédiatrique, hématologie et allogreffe.

 

Propos recueillis par Ibtissam Z.

Finances News Hebdo : La Journée internationale du cancer de l’enfant vient sensibiliser et informer sur cette pathologie infantile qui représente 1 à 2% de l’ensemble des cancers. Quel bilan en faitesvous ?

Pr Jihane Toughza : Chaque année au Maroc, entre 1.000 et 1.500 enfants sont diagnostiqués avec un cancer, ce qui, pour tous les enfants concernés et leurs familles, entraîne un parcours exigeant qui vient modifier leurs vies. La Journée internationale du cancer de l’enfant permet par sa sensibilisation d’accroître la priorité accordée au cancer des enfants aux niveaux mondial et national, et d’élargir la capacité des pays à fournir les meilleures pratiques en matière de soins contre le cancer des enfants.

F.N.H. : Quels sont les types de cancer les plus fréquents chez l'enfant ? 

Pr J. T. : Il est important de rappeler que les cancers de l’enfant diffèrent de ceux de l’adulte. Ils sont rarissimes et représentent moins de 3% de l’ensemble des cancers. Chez les moins de 15 ans, les types de cancer les plus fréquents sont la leucémie, les cancers du cerveau, les lymphomes et les tumeurs solides, telles que le neuroblastome ou encore la tumeur de Wilms. D’énormes progrès ont été réalisés en matière de pathologie cancéreuse au cours des 4 dernières décennies. On retient que 8 enfants sur 10 guérissent, et pour les 20% restants, il n’y a malheureusement pas de traitement. A noter que le cancer reste à ce jour la deuxième cause de mortalité chez les moins de 15 ans.

F.N.H. : A l’horizon 2030, le nouveau plan national du cancer de l’enfant a pour objectif d’atteindre une survie de 80%. En prenant en compte le progrès réalisé par le Maroc en matière de prise en charge, ce taux est-il atteignable ? 

Pr J. T. : Dans les pays à revenu élevé, plus de 80% des enfants atteints de cancer survivent. Au Maroc, nous avons les compétences médicales et paramédicales, et avec la généralisation de la couverture sociale, ce taux est tout à fait atteignable. D’ailleurs, dans notre structure, nous avons des taux de survie qui dépassent les 80%.

F.N.H. : Dans votre unité d’allogreffe de moelle osseuse, à l’hôpital universitaire international Cheikh Khalifa de Casablanca, l’allogreffe de moelle osseuse vient le plus souvent à la rescousse des enfants malades, notamment ceux atteints de leucémie. Parlez-nous de l’importance de l’allogreffe dans certains cas ? 

Pr J. T. : L’allogreffe de moelle osseuse est une thérapeutique innovante permettant de remplacer la moelle d'un patient malade par celle d'un donneur sain pour différentes raisons. Par exemple : • Détruire une moelle malade porteuse d’une leucémie et la remplacer par une moelle saine. • Remplacer une moelle qui produit des globules non fonctionnels dans le sang, comme les globules rouges des patients thalassémiques ou drépanocytaires. •Remplacer une moelle qui ne fonctionne plus ou mal dans les aplasies médullaires et les myélodysplasies. • Remplacer le système immunitaire défectueux dans le traitement des déficits immunitaires. •Apporter par une nouvelle moelle osseuse, une enzyme qui est non fonctionnelle ou absente dans certaines maladies métaboliques, et enfin avoir un effet anti-tumoral grâce à un nouveau système immunitaire dans certaines tumeurs solides. Lorsque l’indication de l’allogreffe de moelle osseuse est posée, c’est qu’il s’agit du dernier recours en termes de thérapeutique curative pour le patient. Pour répondre à ces fortes demandes de soins, un centre de cancérologie pédiatrique et de greffe de moelle osseuse a été ouvert à l’Hôpital international universitaire Mohammed VI de Bouskoura.

F.N.H. : La recherche scientifique reste le seul recours pour sauver la vie des enfants atteints de cancer. Où en sont les avancées en matière de soins ? 

Pr J. T. : Chez les enfants, nous sommes dans une logique de soigner plus, mais également de soigner mieux. Pour soigner plus, il faut trouver des thérapies plus efficaces qui vont venir guérir les enfants que nous n’arrivons pas à guérir pour le moment, et pour soigner mieux, il faut des thérapies ciblées. C’est l’enjeu principal en pédiatrie, d’où l’importance de la recherche scientifique dans ce domaine. En effet, pendant longtemps, on a cru qu’il suffirait simplement de transposer les découvertes faites chez les adultes auprès des enfants pour arriver à les soigner. Malheureusement, les chiffres de guérison prouvent que cela ne suffit pas, puisqu’un enfant sur cinq ne pourra être guéri de son cancer. Il faut comprendre que les cancers que développent les enfants sont différents. En revanche, nous avons des types de cancers que l’on dit «dérivés d’anomalies du développement embryonnaire», comme les néphroblastomes ou les neuroblastomes, par exemple.

Nous pensons donc que des anomalies du développement pourraient expliquer la survenue de cancers pédiatriques. Il faut savoir également que les cancers des enfants ont des spécificités moléculaires et génétiques. Ainsi, chez les adultes, la plupart des cancers résultent de l’accumulation d’anomalies génétiques au fil des années. Tandis que chez l’enfant, le génome de la tumeur a subi moins ou très peu de mutations. La recherche scientifique explore actuellement trois grands volets à savoir : • La recherche sur les anomalies développementales et les thérapies qui vont venir cibler les processus de développement cellulaire dans les cancers pédiatriques. • La recherche liée à l’épigénétique. En effet, nous savons maintenant qu’il y a des mutations dans l’ADN et le génome, qui peuvent être à l’origine de tumeurs. Mais ce dont nous nous sommes rendu compte, c’est que des modifications de la structure, de l’organisation même de l’ADN, peuvent aussi être à l’origine de tumeurs parce que ces modifications vont conduire à l’expression de gènes qui ne devraient pas s’exprimer normalement. • Et en troisième lieu, la recherche liée aux immunothérapies dédiées aux enfants. Nous espérons de tout cœur que plus aucun enfant ne décède du cancer, et que ces anciens patients puissent un jour bénéficier du «droit à l’oubli». Cela leur permettrait de bénéficier de tous les avantages sociaux comme leurs pairs, et ainsi d’éviter les inégalités, notamment face aux assurances, employeurs… 

 

 

 

 

 

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