Acteur de référence sur le marché marocain, Lesieur Cristal nourrit des ambitions de développement soutenues en Afrique. Déjà présent au Sénégal et en Tunisie, le leader des huiles de table et des savons durs prévoit de renforcer sa présence dans le continent, en faisant du co-développement un point d’ancrage dans les territoires où il opère. Entretien avec Brahim Laroui, Directeur général de Lesieur Cristal.
Finances News Hebdo : Quelle lecture faitesvous du secteur agro-industriel au Maroc, et plus globalement en Afrique ?
Brahim Laroui : L’agro-industrie a subi de plein fouet les effets de la crise sanitaire et les fortes pressions inflationnistes sur les matières premières qui ont suivi. Le Maroc est fortement dépendant de l’approvisionnement international pour ce qui est des huiles de table (près de 98% des importations en 2022). Nous subissons donc une inflation importée depuis les marchés étrangers, notamment des intrants comme le soja, le colza et le tournesol. Cette situation a engendré corrélativement des hausses de prix des huiles de table entre 2020 et 2022. Toutefois, à partir du mois d’août 2022, nous avons observé une accalmie des prix, mais pas un retour aux niveaux d’avant crise, et la tonne de soja est revenue à des niveaux situés aux alentours de 1.500 dollars la tonne. À partir du début de cette année, la tonne de soja avoisine les 1.400 dollars, de même que pour le tournesol qui est revenu à des niveaux plus bas en comparaison au pic qu’il avait atteint en 2022. Il est difficile de faire des prévisions exactes sur l’évolution des cours. Mais en l’absence d’un amont agricole oléagineux suffisant, le Maroc restera exposé aux aléas internationaux. Pour ce qui est des autres pays du continent, il faut noter que la plupart d’entre eux ont subi les mêmes conséquences de la crise. Le continent africain présente un fort potentiel agricole dans certaines régions, ce qui favorise une large gamme de productions agricoles. Toutefois, il y a encore des efforts à fournir en termes d’infrastructures de production pour réduire sa dépendance du marché mondial.
F. N. H. : Lesieur Cristal est présent au Sénégal et en Tunisie, à travers respectivement ses deux filiales Oleosen et Cristal Tunisie. Sommairement, quel bilan pouvez-vous faire de votre activité dans ces deux pays ?
B. L. : Capitalisant sur plus de 80 années d’expérience et de savoirfaire, Lesieur Cristal, acteur de référence sur le marché marocain, a réussi à relever le défi du développement en Afrique en mettant en place une stratégie d’expansion efficace. Cette stratégie a commencé en 2005 avec une prise de participation en Tunisie et le développement de l’activité export en Afrique. Avec l’acquisition en 2021 de 94% des titres de Cristal Tunisie et 90% des titres d’Oleosen, le Groupe s’est résolument engagé à consolider la position de ses filiales sur le marché local. Malgré un contexte économique éprouvant, marqué notamment par une inflation soutenue, les filiales ont su maintenir des performances solides tout en assurant un approvisionnement régulier de leurs marchés respectifs. Cette constance a contribué à renforcer l’image de leurs marques auprès des consommateurs, et ce malgré les difficultés économiques rencontrées. Je souhaite rappeler qu’au cours de l’année 2022, Cristal Tunisie s’est attelée à optimiser sa stratégie de distribution afin de répondre de manière pertinente aux attentes de sa clientèle, tout en cherchant à développer de nouveaux canaux en vue d’accroître sa présence sur le marché. Dans cette optique, la filiale a mis en place un réseau de distributeurs partenaires, qui bénéficient de leurs propres moyens logistiques et de dépôts, couvrant ainsi l’ensemble du territoire tunisien. De plus, d’autres canaux de distribution sont également en cours de développement, tels que la vente directe et la présence dans les rayons des grandes enseignes de la distribution. Afin de créer une chaîne de production locale et de renforcer l’indépendance de sa filiale sénégalaise Oleosen, le Groupe a inauguré une nouvelle usine de fabrication de savon à Dakar en 2022. Cette installation industrielle ultramoderne couvre une superficie de 2.500 m² et a pour objectif de produire des produits d’hygiène multi-usage sous les marques La Main et Lumi. Le projet représente un investissement de plus de 62 millions de dirhams et est équipé d’une ligne de production de pointe, alliant sécurité, innovation et performance. Il est capable de produire plus de 30.000 tonnes de savon par an, répondant ainsi à la demande croissante de produits d’hygiène sur le marché sénégalais. En plus des bénéfices économiques, ce projet a un impact significatif sur le plan social et environnemental, et il illustre concrètement la contribution du Groupe au développement économique et social local, en accord avec sa raison d’être : Servir la Terre.
F. N. H. : Quelles sont les spécificités et les contraintes que vous rencontrez dans ces deux marchés ? Vous permettent-elles de dupliquer le même modèle économique que celui déployé au Maroc ?
B. L. : La spécificité de la Tunisie est que nous intervenons, dans le secteur des huiles de table, au sein d’un marché partiellement libéralisé. Une partie importante du secteur reste dominée par l’État avec des huiles de table subventionnées. Ceci mène à l’existence d’un marché de prix moins sensible à la marque et à ses singularités. Le Sénégal est, quant à lui, un marché caractérisé par la coexistence entre l’huile de palme et les huiles de table de graine. Nous intervenons sur les deux marchés. Bien entendu, nous avons dû prendre un temps d’adaptation pour intégrer ces filiales et dupliquer/ adapter notre modèle économique. Aujourd’hui, elles sont intégrées dans le cadre de la stratégie de croissance de Lesieur Cristal. Nos axes stratégiques consistent donc à construire un amont créateur de valeur et sécuritaire, à asseoir notre leadership sur les huiles de table et sur les savons durs, mais aussi à développer de nouveaux relais de croissance à travers une démarche de diversification. Ceci nous permettra, in fine, de renforcer notre ancrage en Afrique. Cela passe donc par une transformation organisationnelle et culturelle. Ce projet ambitieux vise principalement à permettre à Lesieur Cristal d’établir les bases d’une croissance durable et pérenne, ainsi qu’à déployer une feuille de route garantissant le respect de ses engagements éco-responsables dans le cadre de sa mission de «Servir la Terre». Nous visons également la réorganisation et la transformation des ressources humaines en tant qu’acteur de la transformation au Maroc et en Afrique. De plus, nous comptons sur la transformation des fonctions industrielles et de la chaîne d’approvisionnement pour servir les besoins de l’activité et maintenir l’excellence opérationnelle du Groupe, ce qui inclut ses filiales.
F. N. H. : Les leaders africains parient désormais sur le co-développement, qui s’appuie sur la complémentarité économique, comme vecteur de croissance inclusive. Comment cette notion de co-développement est-elle perçue au sein de Lesieur et comment la concrétise-t-elle sur ses territoires de présence, notamment au Sénégal et en Tunisie ?
B. L. : Lesieur Cristal a inscrit le développement durable parmi ses priorités. Le Groupe s’est appuyé sur une gouvernance consciente des attentes des différents acteurs de son environnement. Ainsi, nous nous engageons aux côtés de ses parties prenantes, fournisseurs et clients, mais également en faveur des communautés locales. Par ailleurs, le Groupe s’applique à contribuer à la transition agricole et à la valorisation des filières de chaque pays de présence, grâce à un approvisionnement responsable. S’agissant de notre quête de création de valeur, nous veillons à ne pas opérer sur les territoires de nos filiales avec une vision unique du business et du Way of doing business. Ce serait utopique et surtout mal avisé. Chaque consommateur, chaque marché et chaque écosystème a ses particularités. Nous avons eu la chance de pouvoir recruter des compétences locales, tout en nous enrichissant en centrale à Casablanca, de compétences africaines pour réussir justement le pari du co-développement. Nous avons pu dupliquer, au Maroc, des solutions découvertes ou développées en Tunisie ou au Sénégal. J’espère que cet enrichissement continuera au fur et à mesure que nous parviendrons à étendre notre présence opérationnelle dans d’autres pays du continent.
F. N. H. :Lesieur Cristal veut être un acteur de référence sur les marchés africains des huiles de table, des huiles d’olive, des savons, de la margarine et des condiments. De quels leviers disposez-vous pour concrétiser cette ambition ? Dans ce cadre, quelles sont vos perspectives de développement en Afrique ?
B. L. : Effectivement, notre ambition est d’être un acteur agroalimentaire de référence panafricain, responsable et durable. Évoluant dans un secteur où les modes de consommation évoluent constamment et où la souveraineté alimentaire est essentielle à la durabilité, Lesieur Cristal a établi une stratégie axée sur des objectifs ambitieux et précis. Cette stratégie lui permet de stimuler sa croissance tant au Maroc qu’en Afrique subsaharienne, tout en relevant les divers défis auxquels le Groupe est confronté. Le principal objectif du plan stratégique de Lesieur Cristal est de créer une chaîne d’approvisionnement agricole durable qui génère de la valeur, afin de garantir une sécurité alimentaire en matière de produits oléagineux. En parallèle, Lesieur Cristal vise à consolider sa position de leader dans ses secteurs d’activité historiques, tels que les huiles de table et les savons durs, tout en cherchant de nouvelles sources de croissance par le biais de la diversification de notre offre produit. Enfin, dans le but d’élargir ses perspectives de développement, le Groupe prévoit d’étendre et de renforcer sa présence en Afrique.