Pour faire face à ses besoins d’investissement en infrastructures, l’Afrique devrait combler un gap qui oscille entre 50 et 55 Mds de dollars par an.
Face à la rareté des ressources publiques, le partenariat public-privé se positionne comme un mode de financement adapté.
Le Maroc prépare une nouvelle version de la loi régissant les PPP.
Les besoins en financement pour le développement des infrastructures en Afrique sont estimés à près de 100 Mds de dollars par an, sachant que les investissements du continent en la matière tournent autour annuellement de 45 à 50 Mds de dollars.
Ce qui laisse apparaître un gap important qui appelle à réfléchir sur des modes de financement innovants et des instruments de nature à rapprocher les secteurs public et privé, pour relever les défis inhérents au manque d’infrastructures de qualité qui freine le développement de l’Afrique.
Ce contexte corrobore la grande importance que revêt la deuxième édition du Forum PPP Afrique, organisée récemment à Casablanca et placée sous le thème de la promotion de l’agriculture et des TIC grâce au PPP. Le choix des deux secteurs est légitimé, entre autres, par un fort lien existant entre ceux-ci, d’autant plus que les nouvelles technologies, notamment le digital, peuvent contribuer substantiellement à l’accroissement du rendement agricole.
Par ailleurs, il est important de rappeler que la plupart des pays africains n’accordent que 5% de leur budget au secteur agricole. Ce qui est largement en dessous des niveaux d’investissement requis pour enclencher le processus de la révolution verte sur le continent, qui concentre tout de même la plus grande partie des terres arables disponibles dans le monde.
«L’Afrique ne doit pas être en marge du phénomène PPP, adapté à la spécificité de chaque projet», suggère Daouda Coulibaly, PDG du centre de formation Trainis, organisateur de l’événement. Et d’ajouter que: «dans le domaine des TIC, l’Afrique joue sa partition comme en témoigne la création d’applications mobiles, de drônes et du paiement mobile. Un tel progrès peut être autrement plus important par la création d’un écosystème plus favorable à l’essor de l’innovation de la jeunesse africaine».
Les leçons de l’expérience française
De ce point de vue, le PPP serait un outil idoine pour accompagner le développement numérique de l’Afrique. Pour preuve, en France, le PPP a donné naissance aux Réseaux d'initiative publique (RIP), dont le but est de réduire la fracture numérique et de relancer l'attrait des territoires moins peuplés. Dans les zones françaises moins denses, les opérateurs de réseaux développent peu leur propre réseau car ces déploiements se révèlent moins rentables. Les RIP qui jugulent cette problématique, sont l’émanation des investissements privés des opérateurs et des subventions publiques de l'Etat.
Cette expérience française pourrait être utile à bon nombre de pays africains qui s’attèlent à la réduction de la fracture numérique. Au-delà du cas français, l’événement panafricain était une vitrine pour mettre en exergue la longue expérience du Royaume en matière de PPP dans plusieurs domaines, notamment ceux de l’agriculture et des TIC.
Le Maroc a une histoire à raconter
«Au cours de ces dernières années, 100.000 hectares de terres ont été mis à la disposition d’opérateurs privés et de petits agriculteurs. Des surfaces agricoles ont été également louées aux acteurs privés», souligne Mohamed Methqual, Ambassadeur et Directeur général de l’Agence marocaine de coopération internationale (AMCI), qui a n’a pas manqué de rappeler que le Maroc a recouru, dès 1914, à la concession pour la gestion du port de Casablanca.
Le port de Tanger Med, infrastructure portuaire de renommée internationale, qui traite chaque année près de 50 millions de tonnes de marchandises constitue également un modèle de PPP réussi.
L’autre exemple concluant parmi tant d’autres à citer dans le domaine de l’agriculture est le dessalement de l’eau de mer pour l’irrigation des terres agricoles à Agadir, dont le coût de réalisation est estimé à 2,8 Mds de DH. Dans le même ordre d’idées, le positionnement du Maroc comme hub technologique à l’échelle continentale (4ème rang) est à relier au développement du PPP, qui a permis la mise en place de plusieurs Technoparks à Rabat, Casablanca, Tanger, et récemment à Agadir).
«Avec le concours de l’Apebi (Fédération des technologies de l'information, des télécommunications et de l'offshoring, ndlr), le même modèle est en train d’être implémenté en Côte d’Ivoire», révèle Youssef Harouchi, vice-président de la Fédération des technologies de l'information, des télécommunications et de l'offshoring (Apebi).
Des expériences concluantes
La réussite des projets de PPP dépend aussi de l’expertise de l’Etat et des entreprises publiques qui expriment leurs besoins. Il incombe au secteur privé d’apporter des solutions dans le cadre d’un contrat de performance, avec un partage des risques avec le secteur public.
Au-delà de ce rappel qui éclaire sur la répartition des rôles des parties prenantes, Marc Teyssier D’Orfeuil, président du Club PPP de France, a mis en exergue certains succès de projets de PPP à l’échelle continentale notamment au Sénégal et à Abidjan, tout en insistant sur le fait que ce mode de financement qui implique le privé, est plus adapté que les marchés publics pour bâtir des infrastructures en un temps record. «Le PPP permet de réaliser en deux ans, ce qui allait l’être en 20 ans avec le budget de l’Etat», note-t-il, tout en soulignant que cet instrument permet de mieux assurer la maintenance des infrastructures, paramètre-clef pour le développement de l’agro-industrie en Afrique.
Par ailleurs, l’autre exemple mis en avant par Xavier Reille, directeur de la Société financière internationale Maghreb (SFI), vient de la Jordanie, qui grâce au PPP gagne près de 250 millions de dollars par an de l’activité d’un seul aéroport. Sachant qu’auparavant la gestion publique de cette infrastructure coûtait à l’Etat près de 35 millions de dollars chaque année.
Un instrument adapté aux besoins des collectivités locales ?
«Les projets de PPP bien ficelés sont profitables à la collectivité, d’autant plus qu’ils sont livrés à temps et sans dérapages financiers», affirme Marc Teyssier D’Orfeuil, qui souligne qu’en France, près de 70% des projets de PPP réussis sont réalisés par les collectivités locales. A l’échelle continentale, les régions et les territoires devraient davantage s’approprier ce mode de financement qui, d’après Zakaria Fahim, devrait plus concerner les secteurs sociaux qui s’avèrent être rentables (éducation, santé, etc.).
Pour sa part, Mohamed Bourrahim, vice-président de la Commune de Casablanca, qui a rappelé que la gestion de plusieurs services publics est confiée au secteur privé sous forme de gestion déléguée (distribution d’eau et d’électricité, transports, services d’assainissement, etc.), a insisté sur l’importance d’intégrer les attentes des populations dans les projets de PPP. «Les principaux bénéficiaires des services publics et des infrastructures restent les usagers», conclut-il. ■
Le PPP, une baguette magique ?
Face à la rareté des ressources publiques, notamment en Afrique, et la hausse des besoins en infrastructures et services publics de qualité, les experts s’accordent pour dire que le PPP, qui englobe la concession, la gestion déléguée et le contrat de partenariat, constitue une alternative idéale à même de satisfaire les attentes des secteurs public et privé.
A en croire Xavier Reille, directeur de la Société financière internationale Maghreb (SFI), membre du groupe de la Banque mondiale, cet instrument mis à la disposition des Etats et des collectivités locales n’est pas une baguette magique dans la mesure où il nécessite de la préparation de la part des entités publiques.
«Le succès des différents modes de partenariat public-privé dépend en grande partie de la pertinence des études préalables des projets qui doivent être bancables», alerte-t-il. Rappelons qu’au cours de ces dernières années, la SFI a eu à son actif plus de 360 projets de PPP à travers le monde. Ce qui confirme sa solide expertise.
En clair, l’entité de la Banque mondiale prône et œuvre pour la mise en place d’un cadre légal adapté, l’édification de plans sectoriels et l’existence d’instruments financiers propices à l’essor de ce levier de développement, notamment dans les pays africains.
A ce titre, rappelons que le Maroc s’attèle à la modernisation de l’arsenal juridique qui régit le PPP. «La loi n° 86-12 de 2015 relative aux contrats de partenariat public-privé est en phase d’être amendée», révèle Najat Saher de la direction des entreprises publiques et de la privatisation (DEPP).
Parmi les modifications qui seront apportées à la loi, il y a lieu de citer l’élargissement du périmètre aux collectivités territoriales, ainsi que le renforcement de la gouvernance des processus. A cela s’ajoutent l’intégration des petits projets, jusqu’ici exclus, et le recadrage de l’offre spontanée et la procédure négociée.
«Un arsenal juridique clair, gage de confiance pour les investisseurs nationaux et internationaux et un cadre contractuel standardisé et souple, constituent des éléments de nature à promouvoir le PPP», précise Mohamed Methqual. L’intervention de Najat Saher a particulièrement retenu l’attention de Zakaria Fahim, président de Hub Africa et de la commission TPE-PME, grandes entreprises-PME et auto-entrepreneur de la CGEM. «Les futurs amendements de la loi portant sur le PPP devraient mieux tenir compte des PME qui représentent 95% du tissu économique. Au Maroc, les projets de PPP doivent aussi être au service des PME», recommande-t-il, tout en affirmant que les projets de PPP devraient davantage profiter aux PME sur le continent. ■
Par Momar Diao