Informel-formel : une hybridation cachée, mais présente

Informel-formel : une hybridation cachée, mais présente

Les derniers chiffres du haut-commissariat au Plan révèlent une montée significative des échanges entre le secteur informel et les unités de production formelles au Maroc. Cette hybridation représenterait-elle un levier de transformation positive ou un risque pour l’économie marocaine ?

 

Par Désy M.

Le secteur informel marocain reste d’une ampleur considérable avec plus de 2 millions d’unités de production, représentant environ 33% de l’emploi non agricole. Mais une lecture attentive des dernières données du haut-commissariat au Plan (HCP) révèle une évolution moins visible : l’interpénétration croissante entre les sphères informelle et formelle. En 2023, 33,7% des approvisionnements des unités informelles provenaient d’entreprises formelles, contre 18,2% en 2014.

De même, les ventes du secteur informel au secteur formel, bien que modestes, ont quintuplé sur la même période, passant de 0,5% à 2,4%. «L’informel ne se limite donc plus à un marché de survie ou à un sous-système économique marginal. Il s’insère progressivement dans des chaînes de valeur partagées, à la fois fournisseur et sous-traitant discret, d’un secteur formel qui y trouve un levier de flexibilité, de réduction des coûts ou de proximité», déclare Hassan Edman, professeur d’économie et gestion à la faculté des sciences juridiques, économiques et sociales d’Agadir.

Dans le secteur du BTP, par exemple, cette hybridation est flagrante. Une entreprise formelle de second œuvre peut sous-traiter ponctuellement à des artisans informels pour des travaux de peinture ou d’électricité. Le constat est tout aussi réel dans celui du transport de marchandises, où des flottes de véhicules non immatriculés à titre professionnel sont mobilisées par des structures formelles, notamment dans les circuits courts urbains.

Le commerce de détail, souvent dominé par l’informel, devient également un canal de distribution pour des produits issus d’industries déclarées. Ce phénomène, à la frontière de la régularité, interroge. Car derrière cette coopération discrète, se cachent des distorsions majeures, à savoir une perte fiscale pour l’État, une précarité du travail, du dumping social, et une concurrence déséquilibrée pour les petites entreprises formelles.

La majorité des unités informelles échappe à toute couverture sociale, à la fiscalité professionnelle, et ne respecte ni les normes sanitaires ni les standards environnementaux. Ces unités sont devenues pourtant des maillons essentiels dans des filières structurées. La question se pose alors : fautil formaliser à tout prix ou reconnaître l’existence d’un entredeux économique, et adapter la régulation en conséquence ?

Les dispositifs actuels comme le statut d’auto-entrepreneur ou la contribution professionnelle unique peinent à capter la diversité des acteurs informels, notamment les plus petits, sans local fixe, souvent sans capital ni capacité d’enregistrement. Pour Edman, «le Maroc gagnerait à concevoir des mécanismes souples d’insertion partielle : un ‘statut d’activité occasionnelle’, une plateforme de contrats simplifiés entre entreprises formelles et prestataires informels, ou des incitations fiscales ciblées pour encourager l’enregistrement progressif.

Le risque, à terme, serait de laisser prospérer une économie duale, où coexistent deux régimes concurrents mais déséquilibrés». Car si l’informel continue de représenter près de 14% de la valeur ajoutée nationale hors agriculture, il ne bénéficie pas d’un cadre propice à sa montée en gamme. L’absence d’accès au crédit bancaire (97,9% des unités), aux infrastructures numériques, ou à la commande publique empêche toute consolidation. L’hybridation actuelle ne fait que masquer cette fragilité.

Le Maroc est donc face à un dilemme stratégique : ignorer ces zones grises, au risque d’enraciner les inégalités économiques, ou inventer un cadre innovant pour accompagner une transition progressive, différenciée selon les secteurs. 

 

 

 

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