La baisse des prix décidée par le gouvernement touche pas moins de 169 médicaments. Près de 60% concerneront les maladies chroniques. Entretien avec Abdelmajid Belaïche, expert en industrie pharmaceutique, analyste des marchés pharmaceutiques et membre de la société marocaine de l’économie des produits de santé.
Propos recueillis par Ibtissam Z.
Finances News Hebdo : Quelle est l’évolution des prix des médicaments au Maroc et comment se manifestent les tendances mondiales dans ce domaine ?
Abdelmajid Belaïche : Tout d’abord, il faut rappeler que le contexte mondial des prix des médicaments est caractérisé par deux tendances lourdes mais antagonistes. Au Maroc, nous retrouvons pratiquement les mêmes tendances. D’une part, le ministère de la Santé procède régulièrement à des révisions des prix publics de vente (PPV), le plus souvent à la baisse et qui concernent principalement les médicaments princeps matures et des médicaments génériques. Ainsi, le nombre des bulletins officiels incluant de nouvelles listes de prix, publiés depuis avril 2014, ont atteint 60 B.O, incluant aussi les listes des prix des nouveaux médicaments lancés au Maroc. Malheureusement, ces baisses des prix censées profiter aux patients et aux caisses des organismes gestionnaires de l’assurance maladie, sont largement contrebalancées par les prix des nouveaux médicaments innovants. Ces derniers atteignent parfois plusieurs milliers, voire plusieurs dizaines de milliers de dirhams.
F.N.H. : Sur quel critère le ministère de la Santé et de la Protection sociale définit les nouveaux prix de vente ?
A. B. : Le ministère de la Santé et de la Protection sociale marocain fixe les prix de vente des médicaments sur la base d’une comparaison (Benchmark) des prix sortie usine, également appelés prix fabricants hors taxes (PFHT) dans 6 pays. Ce sont la France, la Belgique, l’Espagne, le Portugal, la Turquie et l’Arabie Saoudite, auxquels peut s’ajouter le prix dans le pays d’origine s’il ne fait pas partie des pays déjà cités. Le Maroc a choisi d’adopter le PFHT le plus bas dans ces pays pour les médicaments princeps. Quant aux médicaments génériques, leur PFHT est fixé par un décrochage de leurs prix à partir de celui de leurs princeps et qui peut atteindre jusqu’à 50%. Pour les médicaments importés, leurs PFHT benchmarkés sont majorés de 10% au titre de la marge des importateurs locaux. Pour rappel, les prix sont classés en 4 tranches. La 1ère correspond aux médicaments dont le PPV est inférieur ou égal à 278 DH HT, la 2ème tranche à ceux dont le PPV est supérieur à 278 DH HT et inférieur à 929 DH HT, la 3ème tranche à ceux dont le PPV est supérieur à 929 DH et inférieur ou égal à 2.101 DH, et la 4ème tranche à ceux dont le PPV est supérieur à 2.101 DH. A chaque tranche, il y a un mode de calcul du PPV différent et un facteur multiplicateur différent. Ce facteur correspond à l’ajout des marges des pharmaciens d’officine et à celles des grossistes-répartiteurs pharmaceutiques. Ensuite, une TVA de 7% est ajoutée aux prix des médicaments, sauf à ceux de la 3ème et de la 4ème tranche. Les vaccins, les médicaments cardiovasculaires, ceux du diabète, de l’asthme, des cancers, du VIH-sida, de l’hépatite, des antibiotiques injectables utilisés dans le traitement de la méningite et les médicaments de la fertilité sont également exonérés de TVA. Depuis début 2024, tous les médicaments ont été exonérés de TVA. Des mises à jour des prix sont effectuées régulièrement par le ministère de la Santé à partir d’une revue des prix dans les pays du benchmark.
F.N.H. : On parle d’une révision de 168 médicaments, notamment ceux prescrits pour les maladies chroniques. Qu’en est-il ?
A. B. : La dernière liste des PPV publiée dans le Bulletin officiel N°7344 du 17 octobre 2024 a concerné 168 médicaments, avec une baisse effective des prix pour 161 parmi eux. Dans ce même B.O, il a été également publié la liste des PPV de 19 nouveaux produits introduits récemment au Maroc. Les baisses de prix étaient en moyenne de l’ordre de 10% et les baisses les plus importantes ont atteint 59%. Les médicaments cardiovasculaires ont représenté 61% de la liste des PPV à la baisse. Ils sont suivis par les médicaments de l’insuffisance érectile (11%), par les médicaments anticancéreux (8%) et par les médicaments du sang (5%).
F.N.H. : Ces révisions des prix des médicaments ontelles un impact sur l’accès aux produits ?
A. B. : Il y a indiscutablement un impact positif sur les budgets des organismes gestionnaires de l’assurance maladie, mais il faudrait relativiser cet impact par le fait que les baisses des prix des médicaments les plus utilisés sont malheureusement contrebalancées par l’arrivée de médicaments innovants de plus en plus coûteux et qui représentent l’essentiel des dépenses de l’assurance maladie. Pour ce qui est de l’impact des baisses de prix sur l’accès des patients aux médicaments, c’est une réalité, mais il faudrait toutefois la relativiser si l’on considère la structure des prix des médicaments au Maroc et des niveaux des prix. En effet, si l’on considère les médicaments de la 4ème tranche qui dépassent les 2.101 dirhams, nous trouvons qu’une bonne partie de ces médicaments coûte plusieurs milliers, voire plusieurs dizaines de milliers de dirhams. Ils restent donc hors de portée de la majorité des Marocains, même avec des baisses à des taux importants. La solution pour un meilleur accès aux médicaments pour les patients se trouve plutôt dans une couverture effective par une assurance maladie, doublée par un système de tiers payant et un taux de remboursement de 100% dans les affections de longue durée (ALD), et surtout dans les affections lourdes et coûteuses (ALC). Cette démarche va permettre aux patients les plus démunis d’éviter d’avancer des sommes importantes qu’ils n’ont pas en attendant un remboursement d’une partie des montants avancés. Les ALD et les ALC représentent un véritable défi pour les patients au Maroc.
F.N.H. : Que pensez-vous du système de fixation des prix des médicaments au Maroc ?
A. B. : Bien que le nouveau système de fixation des prix des médicaments fabriqués localement ou importés introduit par le décret éponyme n°2-13-852 du 14 Safar 1435 (18 décembre 2013) et mis en application dès juin 2014 ait constitué une avancée majeure par rapport à l’ancien système en termes de transparence, il présente malheureusement un certain nombre de failles et de dispositions problématiques. Les pays choisis pour le Benchmark des prix (France, Belgique, Espagne, Portugal, Turquie, Arabie Saoudite), à l’exception du Portugal, ont des systèmes de santé bien plus robustes que celui du Maroc; leurs marchés pharmaceutiques sont beaucoup plus importants que le nôtre. La difficulté est que notre marché pharmaceutique étant étroit, ne permet de réaliser des économies d’échelle liées à des volumes importants que pour une poignée de produits. Or, ces économies d’échelle permettent de baisser les prix des médicaments sans mettre en danger leur rentabilité. La liste des pays du benchmark doit logiquement être adaptée à notre pays. Ce décret a introduit une marge de 10% accordée sur les produits importés aux importateurs locaux par le biais d’une majoration de 10% du prix fabricant hors taxes.
Or, ce prix est à la base du calcul du prix de vente (PPV) et, de ce fait, ce dernier se trouve majoré et ce sont les patients et les organismes gestionnaires de l’AMO qui paient cette majoration. Le fait qu’un operateur décide de diminuer son prix pose une problématique majeure. Du coup, les opérateurs arrivant sur le marché avec de nouveaux produits se trouvent dans l’obligation de s’aligner sur le prix qui a baissé. Ceci est le cas notamment de certains qui disposent par exemple d’un princeps et de son générique. Les opérateurs pourront ainsi baisser considérablement les prix de leurs génériques sur lesquels ils gagnent peu pour mettre en difficulté les nouveaux génériques et protéger ainsi leur princeps contre la concurrence des génériques. Cela constitue ainsi une barrière à l’entrée du marché. Pour rappel, ce décret n’a pas été examiné par le Conseil de la concurrence avant sa publication, et ce à cause d’un vice de forme. En effet, ce décret constitue une violation de la loi sur la liberté des prix et de la concurrence. Le décret de fixation doit être réexaminé, corrigé et adapté au nouveau contexte mondial caractérisé par la multiplication des pénuries sur les médicaments et de la nécessité de tenir compte de certaines qui sont locales ou internationales. Il doit, entre autres, introduire la possibilité d’indexer les PFHT sur les prix des intrants, et notamment des matières premières pharmaceutiques mais aussi des coûts logistiques. Ces deux dernières ayant connu une envolée des prix suite à la pandémie de la Covid-19 et de la guerre russo-ukrainienne. Cette indexation des prix permettra alors de protéger notre pays contre le danger de pénuries de médicaments.