Il était une fois, la charte de l'investissement…

Il était une fois, la charte de l'investissement…

L’actualité nationale (pandémie, sécheresse) et internationale (conflit Ukraine /Russie) a quelque peu écrasé la problématique d'une nouvelle charte de l'investissement. Un dossier en instance depuis… plus d'un quart de siècle - la précédente date en effet de 1995. Cinq cabinets se sont pourtant succédé sans qu'une avancée significative n’ait été vraiment enregistrée à cet égard : loin de là. Il faut faire crédit au gouvernement Akhannouch d'avoir inscrit ce dossier dans son programme d'investiture en octobre dernier et de paraître s'y atteler aujourd'hui. Il faut dire qu'une ferme orientation a été donnée par le Souverain. A preuve, la séance de travail qu'il a présidée le 16 février dernier.

Nouveaux avantages

Jusqu'à présent, la charte de l'investissement encore en vigueur était limitée à une série de mesures fiscales et à d'autres intéressant le foncier – pas plus. Il fallait bien mettre de l'ordre en donnant davantage de cohérence et de globalité à ce dispositif. Un département dédié, confié à Mohcine Jazouli, a été ainsi créé dans le nouvel exécutif, avec un ministre délégué chargé de l'Investissement, de la Convergence et de l'Evaluation des politiques publiques. Quel est l'objectif ? Porter la part de l'investissement privé dans l'investissement total d'un tiers seulement aux deux tiers, et ce à l'horizon 2035. Dans cette perspective, les axes retenus sont les suivants : création d'emplois, promotion d'un développement équitable des territoires, priorisation des secteurs porteurs pour l'économie nationale.

Dans le détail, la déclinaison doit se faire suivant des régimes particuliers : celui d'un dispositif de soutien principal avec des primes communes éligibles aux objectifs du nouveau modèle de développement et aux priorités fixées par le gouvernement; celui, additionnel celui-là, profitant à l'encouragement de l'investissement dans les provinces et préfectures les moins favorisées (Al Hoceima, Berkane, Boujdour, Chefchaouen, Es-Smara, Guelmim, Laayoune, Larache, Nador, Oued Eddahab, Oujda Angad, Tanger -Assilah Fahs-Bni-Makada, Tan-Tan, Taounate, Taourirt, Tata, Taza, Tétouan); celui, aussi, d'une prime sectorielle en direction de secteurs porteurs; celui encore prévu sur la base de mesures d'appui exclusives pour les projets à caractère stratégique (industries de la défense et industrie pharmaceutique); enfin, celui des PME et des TPME. Il faut y ajouter un dispositif pour le développement des investissements étrangers à l'étranger. Dans le détail, un premier lot d'avantages est lié à la phase de création : droits d'enregistrement, droits de douane, TVA, suppression de la taxe variable, impôt sur les sociétés (IS) à 0% pour les industries en création pendant 5 ans. Le second, lui, couvre des avantages additionnels : prise en charge de certaines dépenses (acquisition de terrain, infrastructures externes, formation professionnelle, Fonds de promotion des investissements, réserve foncière ,...). D'autres incitations sont examinées, notamment au moins une zone franche par région, octroi d'un statut de zone franche : le développement aux grandes industries exportatrices hors zone franche, statut exportateur indirect aux sous-traitants.

Interrogations

Cela dit, bien des interrogations subsistent quant à l'optimisation attendue de la nouvelle charte. En premier lieu, que fait-on pour le secteur informel qui réalise plus de 30% du PIB ? Il ne peut être aidé que si l'on opère sa restructuration. Et à cette fin, une réflexion novatrice doit être faite. Cette évolution vers une intégration progressive dans l'économie formelle ne se décrète pas; elle doit pouvoir modifier des comportements et surmonter des rigidités pour arriver à pousser le monde du travail informel dans cette direction. De la communication. De la sensibilisation aussi pour que ces travailleurs soient amenés à sauter le pas... Ils doivent y adhérer en étant convaincus qu'ils ne peuvent qu'y gagner. En deuxième lieu, est-il prévu un régime spécifique pour les start-up marocaines ? Ce qui est en cause, pour commencer, c'est que les grandes entreprises et les institutions publiques s'ouvrent à des partenariats avec des start-up. Celles-ci sont un moyen et un vecteur de la relance économique.

La pandémie Covid-19, depuis deux ans, a contribué à ce que les entreprises revoient leur organisation et leurs processus internes dans un souci d'agilité, dans un contexte en changement permanent. Les start-up maîtrisent en effet les nouvelles technologies; elles savent capitaliser sur la data pour proposer des enjeux opérationnels; elles ont ainsi un impact potentiel en déployant des solutions innovantes dans la gestion à distance. Il est utile que la nouvelle charte se préoccupe d'élargir les ponts entre les centres de recherche et l'écosystème startup, tant il est vrai que les synergies sont importantes. C'est dire que des mesures incitatives dans ce domaine sont à prévoir (cadre réglementaire approprié, régime fiscal avantageux...). La Caisse centrale de garantie s'est engagée dans cette voie dans le cadre de son programme Innov Invest; il doit être sensiblement élargi à des secteurs comme la fintech, l'agritech, la mobilité et l'inclusion. Sans oublier la projection et le déploiement de cette politique dans le continent où s'offrent de grandes opportunités.

Productivité

En dernier lieu, l'équation partenariat public-privé : comment l'élargir et la consolider ? Il est question aujourd'hui d'un recentrage de l'Etat autour de secteurs régaliens et de grands travaux. Le budget d'investissement tourne autour de 240 milliards de DH - c'est un taux parmi les plus élevés dans le monde. Et pourtant, il ne génère ni une forte croissance ni tellement d'emplois. Que faire ? Impliquer davantage le secteur privé qui ne peut être dynamisé que si des conditions favorables lui sont offertes - telle est l'économie de marché avec ses lois fondées sur la recherche maximale du profit. La nouvelle charte a pris en compte cette préoccupation avec des mesures diverses d'incitation. Il reste à identifier et à implémenter les voies d'une capillarité entre le public et le privé : l'investissement dans le premier peut - et doit - être un catalyseur pour le second. Créer de la valeur ajoutée : voilà le crédo. Et dans ce processus, l'emploi aura toute sa place. En 1995, la vision était surtout fiscale et limitée d'ailleurs; en 2022, il s'agit d'autre chose : reprioriser l'investissement, dans tous les secteurs et à travers les territoires, de manière modulée aussi. Ce sont désormais des offres claires qui sont proposées, avec des mesures phares de nature à accroître l'attractivité du Maroc et permettre à l'appareil productif de saisir davantage d'opportunités.

Tout cela ne peut évacuer la question de la productivité dans un nouveau cadre incitatif. Ce qui renvoie à un ancrage réussi de l'économie aux circuits internationaux. Dans cette perspective, comment ne pas évoquer la refonte de la stratégie digitale  ? Un programme Maroc Digital 2020 a été appliqué, avec une agence dédiée et la politique e-gouvernement. Ce basculement tourné vers l'accélération de la transformation numérique doit être poursuivi. Combien de PME, et surtout de TPME, y ont accès aujourd'hui ? Un médiocre taux, dans une fourchette de 10 /20% au plus... Il faut donc s'insérer davantage dans l'économie mondialisée, ce qui ne peut qu'avantager les investisseurs et leur offrir plus d'opportunités économiques. Le numérique, en dernière analyse ?

Un véritable levier de croissance inclusive. Il permet de faciliter les démarches administrativesdes citoyens comme des opérateurs économiques - ; de réduire la fracture numérique qui pèse sur la cohésion sociale; de positionner enfin le Maroc en hub régional, et même en premier hub numérique d'Afrique. Une nouvelle charte de l'investissement donc qu'il faut saluer. Elle s'inscrit dans le cadre des axes du nouveau modèle de développement; elle s'ajoute à la loi-cadre de la fiscalité du 26 juillet 2021, publiée plus de deux ans après les IIIèmes assises de la fiscalité de mai 2019. Cette charte sera-t-elle finalisée, elle aussi, en loi-cadre? Quand, le cas échéant ? Et qu'en sera-t-il des décrets d'application ? De la diligence, donc. A la charge du gouvernement... 

 

 

Par Mustapha SEHIMI

Professeur de droit, Politologue

 

 

 

 

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