IDE : «Les impacts à court, moyen et long terme pourraient être significatifs»

IDE : «Les impacts à court, moyen et long terme pourraient être significatifs»

L’économiste Said Tahiri examine les opportunités qui peuvent être générées par la CAN et le Mondial, en mettant en lumière les investissements directs étrangers, leur potentiel d’attraction et leur contribution au développement économique du Maroc. Entretien.

Finances News Hebdo : Quels type d’investissements directs étrangers (IDE) le Maroc pourrait-il attirer en tant qu’hôte de la CAN 2025 et du Mondial 2030 ? A votre avis, quels secteurs devraient bénéficier le plus des IDE ?

Said Tahiri : L’organisation de ces événements majeurs positionne le Maroc comme une destination attractive pour les investisseurs étrangers. Elle permet le développement et la modernisation des infrastructures : stades, réseaux routiers, gares, aéroports, équipements urbains et hospitaliers; la construction de nouveaux hôtels, centres de congrès et infrastructures touristiques; une amélioration des réseaux de télécommunications, l’intégration de solutions durables, des opportunités pour les investissements dans les secteurs culturels et de loisirs. Tout cela renforce l’image du Maroc comme hub économique, culturel et sportif et aura un effet bénéfique sur le développement économique et social de notre pays.

 

F. N. H. : Quelles sont les mesures ou incitations que le gouvernement pourrait mettre en place pour attirer davantage d’IDE dans le contexte de ces événements d’envergure ?

S. T. : Ce qui est certain, c’est qu’il y a une conviction à tous les niveaux de décision, d’encourager les investisseurs pour maximiser l’attractivité des IDE. Notre gouvernement pourrait envisager:

• Des avantages fiscaux à travers la réduction temporaire d’impôts pour les entreprises étrangères impliquées dans des projets liés à la CAN et au Mondial, ou l’exemption douanière pour les importations d’équipements sportifs.

• La facilitation administrative à travers la simplification des processus d’autorisation pour les investissements dans des secteurs stratégiques.

• La création de zones économiques spéciales dédiées aux infrastructures sportives et touristiques, avec des avantages règlementaires. Une zone dédiée à Casablanca ou Tanger pourrait attirer des investissements étrangers directs de 10 à 15 milliards de dirhams sur cinq ans.

• Des partenariats stratégiques, en collaborant avec des multinationales pour assurer la qualité et le financement des projets.

• Et enfin, l’intégration d’une politique de communication forte pour promouvoir ces incitations serait essentielle pour attirer l’attention des investisseurs internationaux.

Cette campagne de promotion ciblant des marchés clés comme l’Europe et le Moyen-Orient pourrait impliquer aussi bien l’AMDIE que l’ONMT, qui pourraient développer en synergie leurs moyens en faveur de la marque Maroc.

 

F. N. H. : Selon vous, quel serait l’impact à long terme de ces IDE sur l’économie nationale et le développement local ?

S. T. : Les impacts à court, moyen et long terme pourraient être significatifs. D’abord, pour l’économie nationale puisqu’il est prévu d’avoir une accélération de la croissance économique grâce à des secteurs comme le tourisme, l’immobilier et les services. Les infrastructures modernes attireront également d’autres investisseurs. • Le développement local à travers la création d’emplois directs et indirects dans les régions hôtes; amélioration des compétences locales grâce aux transferts de savoir-faire. • Et le renforcement de la marque «Maroc» à travers une meilleure visibilité internationale qui pourrait positionner le pays comme une plaque tournante pour d’autres événements sportifs et économiques. Selon des études comparables avec de précédentes éditions, le Mondial 2030 pourrait générer des recettes économiques de 50 à 70 milliards de dirhams grâce au tourisme, à la billetterie et aux droits TV. À long terme, ces IDE pourraient augmenter le PIB annuel du Maroc de 1 à 2%, une création estimée à 150.000 emplois directs et 500.000 indirects dans des secteurs liés aux événements. De plus, le développement régional pourrait voir une amélioration des infrastructures dans les zones rurales, augmentant ainsi leur attractivité économique de 30 à 50%. Cependant, ces bénéfices dépendront de notre capacité à maintenir ces infrastructures et à les intégrer dans un plan de développement durable. Pour ceux qui se posent encore la question du retour sur investissement prévu après cet effort colossal et qui rappellent le modèle brésilien ou grec, je souligne que le Maroc a alloué environ 15 milliards de dirhams à des projets d’infrastructure pour soutenir la CAN 2025 et les qualifications au Mondial (3,6 milliards d’USD pour le cas de l’Afrique du Sud à titre d’exemple).

La capacité hôtelière actuelle (250.000 lits au Maroc en 2023) devra augmenter de près de 20 à 30% pour répondre aux pics de fréquentation, générant des IDE estimés à 5 milliards de dirhams dans ce secteur. Les nouvelles technologies et télécommunications ne sont pas en reste, puisque la transition vers une couverture 5G complète dans les grandes villes pourrait nécessiter des investissements à hauteur de 2 à 3 milliards de dirhams. Je rappelle aussi que le tourisme sportif contribue indirectement à d’autres secteurs économiques, générant un effet multiplicateur sur l’économie locale qui peut s’étaler sur plusieurs années et créer une dynamique vertueuse pour le développement économique et social du pays. A noter que le marché mondial du tourisme sportif était évalué à environ 600 milliards USD en 2022 et devrait croître autour de 16,5% par an, pour atteindre près de 1.800 milliards USD d’ici 2032. Les événements comme les Jeux olympiques ou les Coupes du monde attirent, à eux seuls, des millions de visiteurs internationaux. Par exemple, la Coupe du monde 2018 en Russie a attiré plus de 3 millions de visiteurs, générant des recettes touristiques directes significatives. L’Afrique du Sud est un exemple phare avec le Mondial 2010, qui a généré environ 4 milliards USD de retombées économiques. Avec des événements comme la CAN 2025 et le Mondial 2030, le Maroc vise à renforcer sa position en tant que destination clé pour le tourisme sportif. Cela se traduirait par une augmentation des arrivées touristiques potentielles de 3 à 5 millions de visiteurs supplémentaires. Je pense surtout que le retour économique et social global qui devrait découler de ces investissements est indéniable.

 

F. N. H. : Quel rôle les institutions financières marocaines pourraient-elles jouer dans le financement des infrastructures nécessaires pour accueillir la CAN et la Coupe du monde ?

S. T. : Il est juste fondamental. Les institutions financières marocaines sont partie prenante indispensable de cette dynamique. Il est prévu d’émettre des obligations vertes afin de financer des infrastructures durables, structurer des financements innovants (prêts syndiqués pour des projets de grande envergure), accompagner les partenariats public-privé (PPP) en fournissant une expertise financière pour structurer et gérer ces partenariats, et enfin investir dans des fonds spécialisés dédiés au développement d’infrastructures sportives et touristiques. Ces institutions pourraient également jouer un rôle de conseil en accompagnant des projets d’investissement pour des partenaires internationaux.

 

F. N. H. : Le partenariat public-privé est essentiel pour mener à bien ces projets. Qu’en pensez-vous ?

S. T. : Le PPP est effectivement un levier essentiel, car il permet de répartir les risques entre les secteurs public et privé, rendant les projets plus viables financièrement; mobiliser des fonds importants tout en réduisant la pression sur le budget de l’État; et garantir l’efficacité en s’appuyant sur l’expertise et les ressources des deux secteurs. Cependant, le succès des PPP dépend de la transparence, d’un cadre réglementaire clair et d’un équilibre dans la répartition des bénéfices entre les partenaires. A titre d’exemple, le Qatar, pour la Coupe du monde 2022, a investi 220 milliards USD, dont une partie importante en PPP pour des infrastructures comme le métro et les stades. Inspiré de ce modèle, le Maroc pourrait structurer des PPP représentant 30 à 40% des besoins financiers estimés à 50 milliards de dirhams pour ces événements. Par ailleurs, selon des études de viabilité, en mobilisant les PPP, le Maroc pourrait réduire la charge publique de 15 à 20 milliards de dirhams.

 

F. N. H. : Quels obstacles les institutions financières marocaines pourraient-elles rencontrer dans ce type de financement ?

S. T. : Les principaux défis consistent au manque de liquidités pour des projets de grande envergure. Rappelez-vous que beaucoup de banques locales ont des ratios de fonds propres trop faibles pour financer des projets massifs, limitant ainsi leurs engagements. Il y a aussi le risque de surendettement pour des projets non rentables à court terme. Le poids de la dette publique (près de 69% du PIB en 2023) pourrait freiner l’accès à des financements internationaux compétitifs. Il y a la complexité des montages financiers, puisque les PPP nécessitent des expertises spécifiques et les projets d’infrastructure à grande échelle nécessitent des compétences spécifiques en ingénierie financière, des fois malheureusement indisponibles localement. Il y a enfin les incertitudes économiques par rapport à la rentabilité de ces projets et à la stabilité macroéconomique cruciale pour rassurer les investisseurs. C’est pour cela qu’un accompagnement technique et une collaboration avec des institutions internationales devraient aider à surmonter ces obstacles.

 

F. N. H. : Pensez-vous que l’accueil de la CAN et du Mondial pourrait avoir un effet positif sur la capitalisation boursière des entreprises marocaines ?

S. T. : Effectivement, cela pourrait stimuler la Bourse certainement, puisqu’il y a d’abord un effet d’entraînement qui serait produit sur les entreprises cotées et faisant partie des secteurs liés à l’organisation de ces événements. Ces derniers entrainent aussi la confiance des investisseurs, puisque ces événements renforcent l’image du Maroc comme un pays stable et dynamique, attirant ainsi des investisseurs étrangers. La Bourse pourrait enfin refléter la vitalité économique des secteurs en lien avec les événements sportifs et générer de la croissance économique. Il pourrait y avoir donc un impact direct, puisque les entreprises cotées dans les secteurs du BTP, des télécoms et de l’hôtellerie pourraient voir leurs capitalisations augmenter de 10 à 20%, selon des tendances observées dans d’autres pays. Mais aussi un impact indirect lié à l’augmentation globale de la confiance des investisseurs, qui pourrait entraîner une croissance de l’indice MASI de 5 à 10% sur les années entourant ces événements. A titre d’exemple, après la Coupe du monde 2010, l’Afrique du Sud a enregistré une hausse de 12% de la valorisation des entreprises liées au secteur touristique et hôtelier. Cependant, force est de souligner que cet effet dépendra certainement de la gestion efficace des projets et de la capacité des entreprises à capitaliser sur ces opportunités.

 

 

 

 

Articles qui pourraient vous intéresser

Samedi 11 Janvier 2025

Réforme des retraites : une course contre le temps

Samedi 11 Janvier 2025

Institutions financières : leviers stratégiques pour le financement des grands projets sportifs

L’Actu en continu

Hors-séries & Spéciaux