La sortie de crise, causée par la propagation du coronavirus au Maroc ne sera pas de tout repos. Le redressement économique devrait être long, difficile et coûteux.
Hammad Kassal, chef d’entreprise et économiste critique vertement le rôle joué par la CGEM au sein du Comité de veille économique.
Tout en livrant son appréciation sur la batterie de mesures prises en faveur des sociétés impactées par la propagation du coronavirus, il détaille les leçons à tirer de cette période dévastatrice à maints égards.
Propos recueillis par M. Diao
Finances news hebdo : En tant qu'ancien membre du patronat marocain, comment jugez-vous, le travail de la CGEM au sein du Comité de veille économique (CVE), très impliqué dans la mise en place des mesures économiques permettant au pays de faire face à la pandémie?
H.K: Le CVE a été mis en place pour apporter des réponses et des actions rapides aux problèmes économiques engendrées par le choc Corona. Et qui dit actions dit informations sur la situation des entreprises ( le nombre d’entreprises qui ont été obligées d’arrêter leur activité, le nombre de salariés touchés, les plans des entreprises pour faire face à cette situation…), et ses informations devaient, en principe, être disponibles chez la CGEM du fait qu’elle a des représentations au niveau de chaque fédération sectorielle et de chaque région.
Malheureusement l’équipe actuelle de la CGEM, qui manque de leaderships, est loin du terrain et de la réalité quotidienne, en particulier, des TPME principales victimes de cette crise.
J’ai l’impression que le rôle de la CGEM se limite à faire de doléances ( à pleurnicher) sans faire des propositions concrètes, en matière par exemple, du maintien d’emplois par les entreprises soutenues par l’Etat, des d’investissements que le secteur privé compte engager pour relancer l’économie afin de produire localement certaines importations et surtout l’accompagnement techniques aux TPME et pourquoi pas prendre en charge la formalisation du secteur informel à travers le statut auto-entrepreneur qui peut constituer une réelle révolution dans la modernisation de l’économie.
Si l’Etat a engagé des actions efficaces et avec rigueur pour sauver les vies humaines et soutenir le pouvoir d’achat des entreprises et de la population dans un contexte de confinement quasi-total où nous assistons à une chute aussi bien de la demande (confinement) que de l’offre (arrêt des activités des entreprises), la CGEM doit présenter un plan de relance détaillé, chiffré et doit mobiliser en partenariat constructif avec le Groupement professionnel des banques du Maroc (GPBM) les moyens financiers adéquats.
F.N.H : Plusieurs mesures en faveur des entreprises ont été prises (report des échéances fiscales, report des crédits bancaires, produits bancaires spécifiques, etc.). Cette batterie de dispositifs vous semble-t-il être suffisante pour aider les entreprises à traverser cette période difficile?
H.K : Bien sur ces mesures sont très importantes, mais il s’agit de mesures techniques, à court terme, afin d’amortir le choc des dégâts causés par le virus. Ces mesures ont conduit les pouvoirs publics à jouer le rôle d’assureur de l’ensemble de l’économie.
Comme vous le savez, nous sommes devant une situation inédite, jamais dans l’histoire économique moderne nous n’avons connu pareille crise, à la base ce n’est ni une crise économique, ni une crise financière, ni une guerre avec des armes, un virus invisibl a réussi à bouleverser et paralyser en 15 jours l’économie mondiale.
L’Etat, dans notre pays, a agi avec rigueur et mobilisation de tous les acteurs pour sauver les vies humaines, la propagation du virus doit être contenue quoi qu’il en coute. Mais quand on agit dans l’urgence et face à des attentes importantes, il y a un décalage qui naît comme c’est le cas pour le soutien des entreprises à travers la CNSS. La direction de cette institution a pris la décision d’arrêter le remboursement des sociétés qui ont déclaré l’arrêt du travail en attendant que le comité technique (un comité de plus), issu du CVE de fixe la définition de la notion d’entreprise en difficulté. Ce type d’action crée une confusion et devait être réglé avant même de lancer le processus de remboursement.
Le redressement économique sera long, difficile et coûteux. La sortie du confinement sera progressive, pendant longtemps, les activités seront nécessairement restreintes ce qui réduira l’investissement et la consommation. Des secteurs entiers et essentiels pour l’économie, comme le tourisme, mettront fort longtemps à se remettre de la situation.
À cela s’ajoutera la perturbation de l’économie mondiale qui ralentira aussi la reprise, donc la demande des produits marocains. La stratégie d’urgence du gouvernement qui consiste à combler les manques causés par la situation sanitaire va donc bientôt être mise à rude épreuve.
Car ces manques ne vont pas disparaître avec la fin du confinement. Une question cruciale et qui est clairement évitée pour le moment sera donc de savoir à quel moment le gouvernement considérera que l’on est revenu à la normale et qu’il n’est plus nécessaire de tendre ce filet de sécurité. Si la crise s’inscrit dans la durée, l’action du gouvernement va prendre une autre forme. Il devra reconstruire l’économie détruite par l’épidémie et, donc, décider des contours de l’économie de demain.
Mais le passage entre plan de soutien qui remplace les revenus manquants et plan de relance qui pose de nouvelles priorités risque d’être délicat et le gouvernement doit faire preuve de beaucoup d’imagination pour ne pas pénaliser toujours les mêmes.
Faudra-t-il relancer tout en continuant à sauvegarder l’existant ou faire des choix ? Peut-on, du reste, sauvegarder l’existant dans une économie mondiale qui sera bouleversée avec sans aucun doute des relocalisations en masse vers les pays donneurs d’ordres (automobile, aéronautique, les médicaments,…) ?
Le gouvernement ne dit pas comment chiffrer la perte en Produit Intérieur Brut. Comment il va minimiser les effets de cette crise sur le moyen et long terme ? Comment sortir du confinement ? Comment repenser notre modèle économique ? La Commission qui se penche sur la mise en place d’un nouveau modèle économique, doit intégrer cette nouvelle donne dans ses hypothèses.
Le recours à la LPL est une ardente obligation, mais comment elle va être utilisée et quelles sont les contreparties demandées par le FMI ? Le gouvernement vient d’acter un plan d’austérité, est ce que nous allons vers une nouvelle copie du Plan d’ajustement structurel (PAS) au moment où les secteurs sociaux (santé, éducation, population vulnérable…) ont plus que jamais besoin de renforcer leur budget. Pour réussir toute politique de crise il faut de la transparence dans la manière de faire.
F.N.H : Plusieurs voix s'élèvent pour alerter sur les fâcheuses conséquences du risque de l'allongement des délais de paiement, dû au coronavirus, notamment pour le secteur privé. Quel est votre avis sur la question et comment inciter les entreprises à payer leurs fournisseurs à temps dans cette période de crise ?
H.K : Les délais de paiement paralysent l’économie. Si l’Etat (entreprises publiques et Collectivités territoriales) a fait des efforts ces derniers mois, les grandes entreprises privées continuent à faire des TPME leurs banquiers, la dette interentreprises privées représente plus de 450 Milliards de dirhams (25% du PIB) , dans une situation normale plus de 40% des faillites des TPME sont dues au retards des paiement, en cette situation de coma économique ,les dégâts seront dévastateurs.
L’une des actions de la CGEM, durant cette crise, est de réunir toutes les grandes entreprises membres, surtout les grandes surfaces, qui génèrent un cash important, et de les pousser par tous les moyens à payer les arriérés des TPME. C’est aussi une forme de solidarité dans cette phase délicate que traverse notre économie.
Tant que notre pays n’as pas pris cette problématique de délais de paiement avec la rigueur qu’elle mérite, on ne pourra ni lutter contre l’informel, ni encourager les jeunes à entreprendre.
F.N.H : Enfin en tant que chef d'entreprise, quels sont les enseignements à tirer de cette période de pandémie?
H.K : De cette crise dévastatrice et unique dans son genre, du fait qu’elle est exogène et touche tous les pays du monde en même temps, nous pouvons tirer quelques leçons.
La première, l’Etat reste l’ultime recours en cas de crise, le marché a montré encore une fois qu’il est incapable de réguler les déséquilibres.
La deuxième, là où le télétravail est possible, il fonctionne très bien, la productivité a augmenté et la technologie a humanisé les relations.
La troisième, on est passé à côté de l’essentiel. Illustration de cette évidence, on redécouvre que les corps de métiers les plus importants sont les personnels soignants (médecins, infirmiers, pharmaciens…), les agriculteurs, les livreurs, les éboueurs et l’épicerie du coin.
La quatrième, intégrer la résilience dans nos modèles économiques. Et je termine avec une phrase de l’auteur de La Peste, Albert Camus. : «Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse».