◆ Avec la crise sanitaire, le Maroc a su se réinventer et a les cartes en main pour mettre l’expérience tirée de la gestion de la pandémie au profit de la phase post-corona.
◆ Certains révélateurs ont été mis en exergue et pourraient constituer les piliers du nouveau modèle de développement.
Par D. William
Poussé dans ses derniers retranchements, le Maroc a su formidablement réagir pour apporter des réponses pertinentes face à la pandémie du coronavirus.
Qu’elles relèvent d’ordre économique, financier, social ou culturel, les multiples décisions prises ont permis de faire découvrir une autre facette du Royaume : celle d’un Maroc créatif, réactif, agile... qui a été capable d’amortir les chocs induits par la crise sanitaire grâce à une forte mobilisation collective.
Etat d’urgence sanitaire, fermeture des frontières, fermeture des écoles, confinement total, couvre-feu partiel..., le Royaume a d’abord apporté une réponse sanitaire forte et sans complaisance pour circonscrire la propagation du coronavirus. Ce qui a permis, selon le ministre de la Santé, Khalid Ait Taleb, d’éviter 6.000 décès. Une sacrée réussite quand on sait que la Covid-19 a fait, au 20 mai à 10 H, 194 décès pour 7.048 cas confirmés.
Ensuite, la création d’un organe comme le Comité de veille économique (CVE) a permis d’agir avec célérité et diligence pour résoudre des questions économiques et sociales urgentes, s’affranchissant des procédures administratives complexes, mais également de toute arithmétique politicienne.
Le maître-mot de l’action du CVE est l’efficacité et le pragmatisme, lesquels ont d’ailleurs permis de pouvoir rapidement ériger les mécanismes permettant à des centaines de milliers de salariés et des millions de personnes opérant dans l’informel d’avoir accès à l’aide de l’Etat.
Parallèlement, à la suspension des cours au niveau de toutes les classes et de tous les cycles mi-mars, se sont substitués des cours à distance. Pour garantir la continuité pédagogique et la réussite de l’enseignement à distance, le portail électronique «TelmideTICE» a ainsi servi de lien entre les établissements d'enseignement, l'enseignant et l'élève à son domicile.
Dans la foulée, les trois sociétés de télécommunications opérant au Maroc ont décidé d'offrir temporairement, à titre gracieux, l'accès à tous les sites et plateformes de «l'enseignement et la formation à distance», mis en place par le ministère de l'Éducation nationale.
En outre, pour les familles qui ne disposent pas d’ordinateur et n'ont pas accès à Internet, les cours ont pu être suivis à travers des chaînes de télévision. Selon le dernier bilan établi 10 millions de personnes (élèves, étudiants et jeunes en formation professionnelle) ont pu bénéficier de l’enseignement à distance, qui s’est invité de force dans le système éducatif national pour compléter valablement l’enseignement conventionnel.
La réponse industrielle
A côté de cela, l’appareil productif national a su se montrer particulièrement agile. Plusieurs unités industrielles ont pu rapidement se reconvertir pour s’investir dans la fabrication de masques et autres matériels médicaux.
Le Royaume revendique actuellement une production journalière de 10 millions de masques en tissu non tissé dans près de 23 usines. Et dans ce contexte où les masques sont devenus une denrée rare, objet de convoitises à l’échelle mondiale, le Maroc s’est même positionné sur le marché de l’export et plusieurs pays ont d’emblée exprimé le souhait d’importer le masque «made in Morocco», après s’être assuré de sa conformité aux normes sanitaires.
De quoi, évidemment, réjouir le ministre de l'Industrie, du Commerce et de l'Economie verte et numérique, Moulay Hafid Elalamy, qui assure que le Maroc a décidé d'exporter une partie de ses masques à l'étranger après avoir atteint l'autosuffisance, et en ayant préparé un stock stratégique de 50 millions de masques en tissu pour l'après-confinement.
Le Royaume, qui n’exclut pas d’exporter des dispositifs médicaux et accélère la cadence de production de respirateurs artificiels, a pu en outre reconstruire l’unique usine marocaine de production d’éthanol en pas moins d’une semaine, en collaboration avec le ministère de l’Intérieur. Cette usine lui permet d’être autosuffisant en éthanol, un produit essentiel pour la fabrication de produits désinfectants. Pour Moulay Hafid Elalamy, «la pandémie du coronavirus a ainsi démontré que le Maroc est un pays capable de s'industrialiser et dispose d'ingénieurs de haut niveau».
Propos au demeurant corroborés par l’inventivité et la capacité d’innovation dont ont fait preuve les Marocains, qui se sont illustrés dans la fabrication de drones, respirateurs et autres outils technologiques visant à aider à lutter contre le coronavirus.
Il faut néanmoins noter que toutes les actions initiées dans le cadre de la gestion de cette pandémie ont eu pour socle le digital. L’Administration, en général, a fait un formidable bond en avant dans l’usage des nouvelles technologies.
Et grâce à tout cela, le Maroc a su valablement se réinventer et a les cartes en main pour mettre l’expérience tirée de la gestion de la pandémie au profit de la phase post-corona.
Le Maroc post-Covid
A-t-on involontairement, et par la force des choses, d’ores et déjà posé les fondements de ce que sera le Maroc post-confinement ? Quels leviers actionner pour la relance économique ?
Tous les révélateurs précédemment cités vont-ils constituer les piliers du nouveau modèle de développement ? S’achemine-t-on vers un changement radical de paradigmes ?
Beaucoup de questions se posent sur ce que sera le Maroc de demain. Car ce Maroc d’il y a à peine deux mois, relativement statique, procédurier, asphyxié par les dogmes économiques, miné par les querelles politiciennes... les citoyens n’en veulent plus, maintenant qu’il leur a été donné de voir ce que le Royaume pouvait faire.
Toutes ces décisions prises dans l’urgence et la contrainte doivent nourrir la réflexion et servir de piliers à la relance économique. Mais au-delà de la relance et des mesures ponctuelles qui seront prises, la réflexion doit davantage être orientée vers le long terme, au regard de l’émergence économique auquel aspire le Royaume.
Une émergence qui ne saurait avoir lieu sans la redéfinition en profondeur du système de santé, mais également la résolution de l’épineuse problématique de l’informel. Une émergence qui exigera du Maroc, tout autant, d’être moins dépendant de l’extérieur et de renforcer sa souveraineté économique. Ce qui requiert, évidemment, une industrie forte.
Le Royaume a pu donner un bel exemple en la matière avec la production et l’exportation de masques de protection. Il peut le faire dans d’autres activités pour rattraper son retard industriel, à commencer par celles où il était auparavant présent. «Le secteur textile était dans un processus d’intégration, il n’y a plus que des usines de confection. Dans le passé, on fabriquait des pneus, aujourd’hui nous sommes dépendants des seules importations», se désole l’industriel Nourreddine Nour (www.fnh.ma).
«Dans le passé, le Maroc produisait ses propres chauffe-eaux électriques au travers de trois entreprises. La suppression de toute barrière à l’import a fait qu’il n’y en a plus qu’une seule qui commercialise des articles en partie produits à l’étranger.... Si nous lui assurons une protection normative et douanière, c’est 100.000 chauffe-eaux qui ne seraient plus importés, sauvegardant ainsi des devises, mais créant a minima, dans un premier temps, une centaine d’emplois», poursuit-il.
Aujourd’hui, c’est peu dire que cette crise sanitaire et économique doit pousser le Royaume à prendre en main son avenir industriel. Un défi majeur à l’heure où les grandes puissances économiques ne parlent plus mondialisation et où les grands principes du libre-échange sont fortement remis en cause. Car, désormais, on parle relocalisation.
Et c’est à la lumière de ces changements majeurs qu’il faudra s’inspirer pour construire le nouveau modèle de développement. «L’objectif d’une politique de relance ne devra pas être simplement de retrouver le niveau de morosité économique de l’avant-Covid-19, mais de servir de point de départ et de rampe de lance- ment à un nouveau modèle de développement», nous confiait récemment Rachid Achachi, enseignant en Sciences de gestion et Docteur en sciences économiques à l’Université Ibn Tofail de Kénitra, précisant que «les deux piliers d’une politique de relance s’inscrivant dans le cadre d’un nouveau modèle de développement devront être le rattrapage technologique et l’émergence d’une classe moyenne solide et dynamique» (www.fnh.ma). ◆
Gouvernement-citoyens : Des rapports beaucoup plus apaisés |
Le Maroc a globalement bien réussi la gestion de la pandémie de la Covid-19, au point d’être cité en exemple à l’international. Cela tient essentiellement à trois facteurs : la célérité et l’efficacité des décisions prises, la transparence dont font preuve les autorités et une forte cohésion sociale. Nous ne sommes plus en effet dans cette atmosphère délétère où toutes les initiatives gouvernementales faisaient l’objet de diatribes sévères, parfois à tort, sur fond de dégénérescence de la parole publique. Les rapports Gouvernements-Citoyens se sont apaisés, en cette période de crise sanitaire qui aura été, au contraire, marquée par une adhésion collective de la population à toutes les actions initiées, contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays. La gestion du coronavirus n’a ainsi souffert d’aucune polémique au Maroc. Les citoyens ont fait confiance en l’Etat. Mais cette «trêve» durera-t-elle au-delà de la crise sanitaire ? La balle est dans le camp de nos gouvernants qui doivent être exclusivement au service de la collectivité, comme ils l’ont fait durant cette crise. |