L’industrie des chevaux de course au Maroc connaît une croissance sans précédent. Les mesures incitatives de l’Etat commencent à porter leurs fruits, tirant vers le haut l’ensemble des métiers du cheval (éleveurs, naisseurs, entraîneurs, jockeys, vétérinaires, etc). Voyage au coeur d’une filière qui séduit de plus en plus les investisseurs, attirés par un rendement attractif, mais aussi par la passion, voire l’amour du cheval.
Nous sommes le vendredi 8 juillet 2016. L’ambiance est festive à l’hippodrome de Casablanca Anfa. C’est une journée de course, une «réunion» pour reprendre le jargon des initiés. Chaque vendredi, le doyen des hippodromes marocains (ils sont au nombre de six basés à Rabat, El Jadida, Khémisset, Settat, Meknès et, bientôt avant la fin de l’année, un septième ouvrira ses portes à Marrakech) accueille huit épreuves engageant à chaque départ 16 chevaux. Environ 300 personnes suivent depuis la tribune couverte le déroulement des courses. Certains énergumènes ne manquent pas d’encourager ou de houspiller les jockeys. A quelques mètres des gradins, plusieurs guichets sont mis à leur disposition pour miser et participer aux paris organisés à l’occasion. Ils peuvent aussi regarder la transmission de la course à travers des écrans installés à plusieurs endroits du champ de course.
Du haut d’une tour implantée en face de la ligne d’arrivée, Sif Edine Dounia, veille à ne rater aucun détail. Les habitués des courses hippiques connaissent bien sa voix. Elle parvient dans les tribunes aussi vite que les chevaux foulent la piste. C’est lui le speaker, ce journaliste qui a déjà fait ses preuves à Hit Radio. «Je n’étais pas familier au monde du cheval. J’ai dû tout apprendre : les races, le lexique des courses et des métiers de la filière équine, etc. J’ai d’ailleurs bénéficié d’une formation spécialisée, notamment en France», nous raconte, entre deux courses, S. Dounia. Avant de passer au Live, il prépare des fiches pour chaque épreuve, comme s’il s’agissait de commenter un match de foot ou un 400 mètres haies, quitte à entrer en contact avec les entraîneurs pour s’enquérir de l’état physique et mental des chevaux participants. En plein direct, il agit en coordination avec la régie technique, n’hésitant pas à demander un ralenti ou un zoom sur tel ou tel cheval joueur. Outre la distribution d’images destinées au grand public, aux jockeys, aux entraîneurs et aux propriétaires de chevaux, la régie technique mobilisée par la société gestionnaire des courses hippiques, en l’occurrence la Société royale d’encouragement du cheval (Sorec), fournit un deuxième flux d’images servant au «contrôle filmé» assuré par les commissaires de courses (arbitres) qui veillent au bon respect des règles du jeu. «Dans une réunion normale, nous travaillons avec six caméras. Nous avons également une caméra photo-finish qui sert à départager les chevaux. Mais nous renforçons davantage notre dispositif quand il s’agit de Grands Prix ou de courses internationales», précise Amine Benbahtane, le responsable de la production chez Sorec. Ainsi, la Coupe de Sheikha Fatima Bint Moubarak a été retransmise sur la chaîne émiratie Yas TV. Il en est de même pour le Grand Prix du Maghreb diffusé à travers Medi1 TV. Lors du meeting international des courses de purs-sang arabes et purs-sang anglais, organisé en novembre dernier à Casablanca, pas moins de 27 caméras ont été déployées autour de la piste d’Anfa, fait savoir A. Benbahtane. Mieux encore, la célèbre chaîne française du cheval, Equidia (très suivie à l’étranger, mais aussi dans les points de vente du pari mutuel urbain au Maroc- PMUM) a diffusé 22 courses organisées au Maroc en 2015, contre seulement 7 en 2013. Cela montre que le Maroc est entré de plain pied dans le club restreint des nations qui comptent sur la scène des courses hyppiques.
Pas moins de 2.300 courses se disputent chaque année à l’échelle nationale, dont près de 600 réservées aux purs-sang arabes, faisant ainsi du Maroc le deuxième pays au monde en nombre d’épreuves de cette race, certes rarissime, mais connue pour ses performances exceptionnelles, aux côtés du pur-sang anglais. Le cheptel équin national est estimé à 130.000 têtes, dominé par l’arabe-barbe, une race locale qu’on trouve souvent dans les festivités (tbourida). Le nombre de chevaux de course, ceux inscrits à l’entraînement (pur-sang anglais, pur-sang arabe et anglo-arabe) reste limité à 4.645, selon les chiffres qui nous ont été communiqués par la Sorec.
3.000 courses à l’horizon 2020
Placée sous la tutelle du ministère de l’Agriculture, la Sorec est chargée, entre autres, de l’organisation et du développement des sports hippiques. Nommé à sa tête en 2009, Omar Skalli a fait de la professionnalisation de l’activité «course» son cheval de bataille. Il a mis la barre un peu plus haut en se fixant un objectif de 3.000 courses à l’horizon 2020, toutes races confondues. Cet ancien dirigeant de la société de crédit Salafin a eu l’ingénieuse idée de miser sur la filière et non pas sur l’entreprise. Une feuille de route a été annoncée par le ministre Aziz Akhannouch en marge du Salon du cheval à El Jadida en 2011, et ce dans le cadre du Plan Maroc Vert, affichant l’ambition de porter la contribution de la filière équine de 4,7 milliards de DH (0,5% du PIB) en 2009 à 7 milliards de DH en 2020. Un pari osé mais pas impossible! Le patron de la Sorec a compris que l’atteinte de cet objectif passe par le renforcement des sports hippiques. Et qui dit plus de courses, dit forcément plus de chevaux. Voilà pourquoi le cheval est mis au centre de toutes les actions. L’Etat est décidé à lui redonner une place de choix et d’en faire un véritable levier de développement socioéconomique, notamment en milieu rural. De nouvelles infrastructures ont ainsi vu le jour (hippodromes, centres de naissance, centres d’entraînement). Un vaste programme de rénovation a touché les haras nationaux, en particulier ceux de Meknès, El Jadida et Bouznika. Tous les moyens sont mobilisés pour attirer de nouveaux investisseurs et les aider à se familiariser avec l’industrie du cheval, à toutes les étapes de la filière, de l’élevage à la course.
Pour investir dans les chevaux de course, il ne suffit pas d’avoir de l’argent, même s’il s’agit d’une activité fortement capitalistique. Il faut être passionné et avoir beaucoup de patience. Car pour former un crack, c’est un travail de longue haleine où chaque détail a son importance : le premier mois de vie, le premier entraînement. L’Etat, à travers la Sorec, accorde un intérêt particulier à la reproduction, n’hésitant pas à offrir aux éleveurs une prime de 15.000 DH à chaque naissance, communément appelée «zroura». Cela dit, ne devient pas cheval de course n’importe quel étalon. Le rôle de l’éleveur est décisif en ce sens qu’il doit choisir le bon étalon avant de décider de faire saillir la jument. L’idéal est de trouver un cheval reproducteur qui aligne des performances régulières, issu d’une famille de gagnants. La Sorec, au même titre que certains richissimes propriétaires, participe aux ventes aux enchères les plus prestigieuses du monde (dont le plus célèbre rendez-vous d’Arqana à Deauville), cherchant la perle rare qui va booster la qualité du patrimoine génétique du cheptel marocain. Près de 300 étalons sont gérés au niveau des cinq haras nationaux (El Jadida, Bouznika, Oujda, Marrakech et Meknès) et mis à la disposition des éleveurs. Ils permettent de saillir, chaque année, plus de 13.000 juments (lire l’entretien du Dr Malak Benamar, directeur du Haras national de Bouznika, qui abrite le Cniaeb, le premier centre d’insémination artificielle équine d’Afrique du Nord à permettre la production de semence congelée). Le Cniaeb dispose d’une banque de spermes d’une valeur inestimable, proposant une gamme variée de semences, dont le prix peut atteindre 35.000 DH pour certaines semences importées. De leur côté, les gros éleveurs se livrent à une concurrence acharnée pour importer la semence des étalons placés en tête du palmarès mondial. Haras Al Boraq, propriété de la famille Jamai, aurait dépensé 400.000 DH pour s’offrir une carte de saillie de Amer, soit le meilleur étalon des purs-sang arabes des temps modernes. Son fils, du nom de Dahess, le Cniaeb le propose aux éleveurs à 35.000 DH.
Une machine à cash
Une fois le poulain bien grand (deux ans d’âge), l’entraîneur le fera travailler tous les jours pour avoir la musculature d’un cheval de course, de sorte à ce que son dressage soit approprié à sa future activité. Il faut compter un minimum de quatre à six mois d’entraînement avant la première course, avec un régime alimentaire personnalisé, adapté au mode de conduite de chaque cheval. Le poste nutrition prévoit trois à quatre repas par jour, soit une dépense minimale de l’ordre de 100 DH (granulés, fourrages, orge, maïs). Cela sans compter les frais vétérinaires qui peuvent grimper en cas de problème de santé. «La filière équine nous a poussés à développer nos connaissances et à nous équiper en matériel sophistiqué. Comme en Formule 1 pour les voitures, les recherches vétérinaires les plus poussées se font dans le cadre des courses hyppiques», nous confie un vétérinaire installé à El Jadida. Ce n’est donc pas un hasard si l’on recense plus de vétérinaires dans les régions marquées par une forte concentration d’éleveurs.
Pour prétendre aux gains, le cheval doit se placer parmi les premiers arrivants. Pour les courses au galop, ce sont généralement les cinq premiers qui touchent une rémunération (50% pour le premier, 20% pour le second, 15% pour le troisième, 10% pour le quatrième et 5% pour le cinquième). L’éleveur, considéré, quant à lui, comme étant un naisseur à vie du cheval, touchera une prime à chaque fois que le cheval se placera en course. Chaque personne intervenant dans la vie d’un cheval de course touche une part des gains. Les entraîneurs et les propriétaires sont les mieux rémunérés, mais le jockey reçoit également une part pouvant atteindre 5 à 10% des gains. Le montant des allocations varie selon l’importance ou le prestige de chaque compétition. Au Maroc, les épreuves les plus rémunératrices sont celles adossées aux Grands Prix nationaux : le Grand Prix SM le Roi Mohammed VI (1,2 million de DH), le Grand Prix SAR le Prince héritier Moulay El Hassan (800.000 DH), le Grand Prix SAR le Prince Moulay Rachid (700.000 DH).
Pour l’année 2016, la Sorec a programmé un montant total d’allocations de l’ordre de 115 millions de DH pour l’ensemble des courses. Nous sommes loin des 10 millions de dollars US de «Dubaï World Cup», la course de plat la mieux dotée au monde, qui se dispute chaque année sur l’hippodrome de Meydan à Dubaï.
Encore faut-il préciser que les 115 millions de DH d’allocations sont destinés exclusivement aux professionnels du cheval (du naisseur au jockey, en passant par l’entraîneur et le propriétaire). Ce montant n’inclut pas les sommes relativement colossales collectées auprès des parieurs locaux. En effet, les Marocains dépensent chaque année environ 5 milliards de DH dans les paris hippiques, englobant à la fois les courses marocaines (PMUM) et celles organisées à l’étranger (en particulier celles très suivies du PMU français). Mais contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce trésor dont on parle peu, bénéficie d’abord aux parieurs gagnants (70% de ce montant leur sont distribués), puis à l’Etat (20% sous forme de TVA), et dans une moindre mesure à la Sorec qui n’en reçoit pas plus de 10%, soit environ 500 millions de DH, et dont l’essentiel est investi dans les différents chaînons de la filière équine.