Entretien. Retard de la charte de l’investissement: «Un mal pour un bien»

Entretien. Retard de la charte de l’investissement: «Un mal pour un bien»

Remaniée à plusieurs reprises, elle devrait être une solution pour relancer l’économie et encourager les investissements, notamment étrangers, malgré le contexte sanitaire actuel.

Elle sera un outil pour attirer l’investissement qui s’alignerait sur les priorités définies dans le cadre des stratégies sectorielles.

Entretien avec Taoufiq Boudchiche, économiste et ancien fonctionnaire international.

 

Propos recueillis par Ibtissam Z.

 

Finances News Hebdo : La charte de l’investissement a pris un sérieux retard pour son élaboration. Ce texte répond-il aux aspirations des opérateurs ?

Touafiq Boudchiche : Le projet d’une nouvelle charte de l’investissement avait été annoncé par le ministre de l’Industrie en juillet 2016, dans le cadre d’une rencontre présidée par le Roi au cours de laquelle fut présenté l’avancement du plan d’accélération industrielle. Depuis, elle aurait fait l’objet de nombreux allers-retours vers le secrétariat général du gouvernement (SGG). Il semblerait qu’elle serait à sa 48ème version. Des retards qui pourraient s’expliquer, d’une part, par les pressions diplomatiques de l’Union européenne sur le Maroc pour lutter contre les paradis fiscaux susceptibles d’être générés par les zones franches existantes ou prévues. Comme cette charte accordait une place importante à la création des nouvelles zones, il fallait probablement répondre à un agenda de négociations avec l’UE sur cette question. D’autre part, la crise sanitaire liée à la Covid-19 est passée par là; c’est une cause importante du retard. Elle est en tout cas très attendue par les milieux d’affaires qui ont contribué à son contenu et n’ont pas manqué de la médiatiser. Bien que son contenu ne soit pas encore dévoilé au public, quelques grandes lignes ont été reprises par la presse et lors de rencontres d’affaires. Je me permets d’en reproduire quelques-uns des principes généraux et mesures formulées par le biais de la presse. Une approche globale dynamique et évolutive du cadre d’investissement, selon les principes généraux suivants :

• Des offres «tronc commun» génériques à tous les secteurs;

• Des offres sectorielles spécifiques développées pour soutenir les divers secteurs de l’économie (industrie, numérique, commerce, services, agroindustrie, tourisme…), selon une stratégie coordonnée;

• Des offres territoriales conçues pour favoriser l’émergence de nouveaux pôles économiques régionaux (chacune des 12 régions du Royaume se verra doter d’un écosystème industriel et d’une zone franche). Des mesures phares destinées à accroître l’attractivité de l’investissement

• L’impôt sur les sociétés à 0% pour les industries en création, pendant 5 ans;

• Le développement d’au moins une zone franche par région;

• L’octroi d’un statut zone franche (ensemble d’avantages offerts par une zone franche) aux grandes industries exportatrices se trouvant hors zone franche;

• L’octroi du statut exportateur indirect aux sous-traitants;

• La mise en place d’appuis diversifiés au profit des régions les moins favorisées pour stimuler l’investissement industriel et favoriser un développement territorial équilibré.

De manière générale, la nouvelle charte devrait répondre au souci d’équité de traitement, notamment au niveau territorial, en incitant à l’investissement dans les régions en marge des grands pôles économiques et industriels du pays. De même, il est dit que des mesures seront prises pour promouvoir l’entrepreneuriat et améliorer l’accompagnement des projets. Un autre aspect qui me semble essentiel à la nouvelle charte est la priorité désormais accordée aux projets à caractère industriel et à l’harmonisation avec les stratégies sectorielles.

 

F.N.H. : Quels sont ses atouts pour assurer une relance de l’économie ? 

T. B. : Le retard pris à l’adoption de la nouvelle charte sera en quelque sorte «un mal pour un bien» pour tenir compte des nouvelles données et enjeux structurants de l’économie à ce moment précis de la vie du Royaume. Il y a un nouveau gouvernement qui va s’installer dans les prochains jours, s’appuyant sur une nouvelle majorité qui a fait beaucoup de promesses pendant la campagne électorale en matière économique et sociale. D’autre part, il y a les attentes en matière de «nouveau modèle de développement» où il est énoncé la nécessité de rehausser la croissance économique à un taux de 6% pour assurer le décollage économique et dégager les ressources nécessaires pour financer les secteurs sociaux (protection sociale, éducation, santé, chômage…). Il y a donc là des nouveaux défis, et non des moindres, auxquels un outil comme la nouvelle charte de l’investissement devra contribuer à faciliter les solutions par le biais d’une meilleure attractivité de l’investissement international, national et régional, et son orientation vers l’investissement productif pour contrecarrer l’économie de rente. Cette économie de rente qui, par exemple, rend le coût du foncier très cher et réduit la compétitivité des entreprises marocaines, comme elle rebute l’investissement étranger. A mon avis, le principal atout de la nouvelle charte, au-delà des détails de son contenu, est qu’elle tomberait à point pour s’adapter à ces nouveaux enjeux de la relance économique, ceux du «nouveau modèle de développement» ainsi que de l’impérieuse nécessité de la sortie de crise sanitaire.

 

F.N.H. : Quel serait son impact sur la politique fiscale du Maroc ? 

T. B. : On entend parler d’une exonération fiscale pendant 5 années successives des entreprises nouvellement créées. C’est une forte incitation fiscale. Elle sera également un outil fiscal pour attirer l’investissement qui s’alignerait sur les priorités définies dans le cadre des stratégies sectorielles. Au plan fiscal, des incitations seront apportées, en outre, aux entreprises qui décident de contribuer au développement des territoires situés en dehors du «Mainstreaming», à savoir l’axe «Tanger-Rabat- CasablancaAgadir». Par exemple, une région que je connais bien, comme l’Oriental, qui souffre d’attractivité en raison d’une frontière fermée à l’Est, pourrait être dotée de nouveaux outils fiscaux pour attirer des «locomotives industrielles» (automobile, aéronautique, énergies renouvelables, numériques…).

La région possède tous les atouts et les compétences pour cela, encore faut-il qu’elle puisse bénéficier, au plan fiscal, d’une incitation à attirer le secteur privé national et international. D’autant plus que dans peu de temps, le port Nador-West Med, une infrastructure de classe mondiale, va s’établir dans la Région. Un grand port qui a l’ambition de s’ériger en complexe industriel complémentaire à TangerMed. Une fiscalité adaptée à ce territoire permettra de fructifier les nombreuses réalisations socioéconomiques de mise à niveau supervisées personnellement par Sa Majesté le Roi, dans le cadre de l’initiative Royale pour le développement de l’Oriental énoncée lors d’un discours royal historique en 2004 à Oujda. Grâce à cette initiative (et une volonté royale), aujourd’hui, la région est parfaitement dotée d’infrastructures d’accueil industrielles, touristiques et agricoles aux meilleurs standards internationaux. Il faudrait maintenant que le secteur privé puisse jouer son rôle. Pour cela, il faut espérer que la nouvelle charte donnera les moyens, notamment au plan fiscal qui reste un outil fondamental d’attractivité, pour que les responsables régionaux prennent leur «bâton de pèlerin» et aillent convaincre les investisseurs de s’y implanter. 

 

 

 

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