Entretien : Pourquoi des services de pointe créent peu de valeur ajoutée

Entretien : Pourquoi des services de pointe créent peu de valeur ajoutée

 

altMehdi Lahlou, professeur à l’Institut national de statistiques et d’économie appliquée de Rabat (INSEA), souscrit au constat dressé récemment par la Banque africaine de développement qui a pointé du doigt la prédominance des branches à faible valeur ajoutée dans le secteur des services. Le professeur rappelle les éléments factuels étant à l’origine de cette configuration. Il démontre par ailleurs que la structuration du marché du travail conforte parfaitement la prévalence des activités à faible valeur ajoutée dans la branche des services. 

 Finances News Hebdo : La prédominance des branches à faible valeur ajoutée dans le secteur des services constitue une forte contrainte pour la croissance marocaine, à en croire la Banque africaine de développement. Partagez-vous cette analyse ?

Mehdi Lahlou :  Parfaitement. D’ailleurs, tous les économistes marocains sérieux n’ont eu de cesse de répéter cela depuis de nombreuses années maintenant. En se basant sur les statistiques nationales, on constate que l’agriculture contribue entre 13 et 14% au PIB, l’industrie entre 12 et 16%, les services s’arrogent le reste, ce qui représente entre 65 à 70% du PIB. Cela dit, hormis le commerce, les télécoms, le transport, les assurances et l’activité bancaire, les autres activités sont des services à très faible valeur ajoutée. Cette structuration de l’économie marocaine perdure depuis des décennies. Tout cela pour vous dire que la BAD ne fait que confirmer un diagnostic qui était déjà dressé, comme cela a été dit précédemment. Par ailleurs, la prédominance des activités à faible valeur ajoutée dans les services est due au fait que les investissements productifs créateurs de valeur dans les secteurs de pointe sont rares. A cela s’ajoute que depuis l’indépendance notamment à partir des années 80 symbolisant la crise de la dette, le Maroc s’est spécialisé dans des secteurs peu générateurs de valeur ajoutée mais créateurs de beaucoup d’emplois. Les secteurs du textile, de la pêche et de l’agriculture sont des exemples édifiants à ce titre. Pour ce qui est du secteur des mines qui concerne les phosphates, l’OCP a très peu contribué à la création d’une chaîne de valeur industrielle permettant de contrôler aussi bien les instruments d’extraction que les produits finis exportés sur les marchés internationaux.

F.N.H. : L’essor des services à forte valeur ajoutée suppose préalablement la disponibilité d’une main-d’oeuvre qualifiée ayant l’expertise requise dans des domaines de pointes (banques, assurance, TIC). Ne pensez-vous pas que c’est à ce niveau que les efforts doivent être démultipliés ? 

M. L. : J’estime que ce qui a limité la création de valeur dans les services de pointe, c’est le système de formation qui brille par son manque de performance. Aujourd’hui, l’analphabétisme général oscille entre 35 à 45%. Autre chiffre-clef, près de 66% de la main-d’oeuvre active sont illettrés. Un tel niveau de formation et d’illettrisme justifie que le capital humain ne soit pas en mesure de générer suffisamment de richesse dans les domaines de l’agriculture, de l’industrie encore moins dans le secteur des services, qualifié à l’échelle mondiale, notamment par les pays développés, de branche du savoir. Je dois vous dire qu’au Maroc l’économie du savoir reste très peu développée. Même dans le domaine des services, c’est la main de d’oeuvre qui prédomine et non le savoir. Par ailleurs, en se penchant sur les classements de l’Unesco concernant le niveau éducatif (lecture, mathématiques, etc.), celui de la formation (acquisition du savoir), on constate que le Maroc occupe une position inconfortable par rapport aux autres pays émergents. Tous ces éléments font que les secteurs parasitaires (commerce informel, petits bazars) prennent le pas dans la branche des services qui devrait générer une valeur ajoutée substantielle. Il faut savoir qu’une bonne partie des habitants des alentours de la ville occupée de Sebta et de Darb Ghallef (Casablanca) est occupée par des activités de trafic qui sont des services. Le petit commerce que l’on retrouve un peu partout sur les trottoirs des villes marocaines génère évidemment peu de valeur, reflétant ainsi une économie peu productive. La situation décrite plus haut est par ailleurs corroborée par le marché du travail. En effet, le taux de chômage est très élevé parmi la population n’ayant aucun diplôme. Le taux d’activité culmine dans les catégories ne disposant pas de diplômes. En milieu rural, on relève un taux de chômage très faible, contrairement au milieu urbain où ce taux est très élevé. A cela, il faudrait ajouter que 27% de la population occupée ne perçoit pas de revenus. En d’autres termes, les personnes étant dans cette situation, travaillent pour rien avec une production inexistante. En somme, cette configuration démontre la faible productivité et la propension timorée de générer de la valeur ajoutée dans les services. 

F.N.H. : Qu’en est-il des profils retrouvés dans le secteur du tourisme et de l’hôtellerie qui fait partie des services ? Sachant que ce secteur représentait un peu plus de 8% du PIB en 2014. 

M. L. : Aujourd’hui, le staff des grands hôtels marocains est souvent composé de personnes étrangères, les chefs cuisinier et pâtissier, voire les animateurs, le sont aussi. Les Marocains occupent des postes générant peu de valeur ajoutée, source créatrice de richesse (caisse, service de chambre, etc.). Au-delà du secteur touristique et de l’hôtellerie, je dois attirer votre attention sur le fait que d’après la dernière étude du HCP sur le marché de l’emploi, les emplois générés par les services sont dominés par les postes de travail domestiques (employés de maison). En définitive, les activités économiques au Maroc sont principalement tirées par les secteurs primarisés et par les activités de services et de production qui ne nécessitent pas une main d’oeuvre qualifiée. 

 

Momar Diao

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