L’entrée en vigueur de l’Accord de Paris avant la tenue de la COP22 est un signal politique fort. Malgré cela, l’engagement financier des 100 milliards de dollars ne sera tenu qu’à partir de 2020.
Pour Abdeladim Lhafi, commissaire du Comité de pilotage de la COP22, et hautcommissaire aux Eaux et Forêts et à la Lutte contre la désertification, la réussite de la COP22 dépendra de 4 critères : taux de participation, qualité des participants, signaux politiques ainsi que les output qui en découleront.
Finances News Hebdo: L’entrée en vigueur de l’Accord de Paris avant l'échéance impliquet-elle le déblocage des 100 milliards de dollars par an avant 2020 ?
Abdeladim Lhafi: L’engagement financier entre en vigueur à partir de 2020. La nouveauté est qu’il va falloir élaborer une feuille de route entre 2016 et 2020 pour s’assurer que les fonds seront réunis et pouvoir se situer à ce niveau minimum des 100 milliards de dollars. En plus de la mobilisation de ces fonds, il va falloir simplifier les procédures d’accès, unifier celles des différents fonds et définir les critères d’éligibilité des projets. La manne de 100 milliards de dollars sera réunie à partir de 2020, mais pour pouvoir l’utiliser de façon rationnelle, il faut travailler sur 5 axes : transfert des technologies, formation des capacités, adaptation, innovation… Je tiens à souligner que les 100 milliards de dollars sont des flux financiers qui seront attribués aux projets mûrs et éligibles.
F.N.H.: Vous avez parlé de feuille de route pour le financement du Fonds Vert d’adaptation. Durant cette COP22, va-t-on décider des pays qui vont financer ce fonds, quand et à hauteur de combien ?
A. L.: Une commission représentée par l’Angleterre et l’Australie travaille sur cette feuille de route pour qu’à Marrakech nous ayons une visibilité, la plus précise possible, sur quand arrivera cet argent. Cette visibilité montrera que les Etats développés se sont engagés effectivement pour mobiliser ces fonds nécessaires aux pays du Sud qui font face aux conséquences du changement climatique.
F.N.H.: Le Maroc figure parmi les pays demandeurs de l’aide financière aussi bien pour la mise en place de ses programmes d’adaptation que pour honorer ses engagements de réduction des émissions. Est-il en mesure aujourd’hui de mobiliser les 35 milliards de dollars dont il a besoin ?
A. L.: Chaque pays fait ses propositions de réduction de GES. Des pays comme le Maroc ont des taux d’émissions insignifiants. Donc, si l’on décide de réduire de 100% ses émissions, le signal politique est fort. Mais en réalité, en termes d’émissions, 100% d’un taux négligeable donnera une valeur négligeable. Par contre, ces fonds seront utilisés pour aller vers ce nouveau modèle de développement, notamment dans le secteur énergétique, avec le développement des énergies propres. D’ailleurs, les estimations qui sont faites en termes d’adaptation se basent sur cet aspect. En d’autres termes, pour pouvoir réaliser notre programme, il faut absolument mobiliser cet argent.
A noter également que le Maroc se positionne par secteur (énergie, agriculture…). Chaque département a suggéré un certain nombre de propositions, qui sont en phase d’être affinées. Certes, la proposition marocaine a énormément évolué mais il va falloir la traduire en politiques nationales, domestiques, faisables et concrètes. C’est un processus complexe pour qu’à Marrakech nous arrivons avec un cap stratégique à l’horizon 2050, date à laquelle le monde s’est engagé à atteindre la neutralité carbone. Les projets arrivent donc au fur et à mesure et ceux qui tombent à maturité seront ceux les plus éligibles à ces financements.
Actuellement, nous essayons d’évaluer le montant dont nous aurons besoin pour concrétiser nos engagements.
F.N.H.: Concrètement, est-ce que le Maroc dispose désormais de projets matures éligibles aux financements internationaux ?
A. L.: Nous avons beaucoup de projets qui sont matures, notamment dans certains secteurs comme celui de l’énergie. Cependant, d’autres secteurs nécessitent encore du travail, non pas par manque de ressources humaines ou institutionnelles, mais tout simplement parce que c’est plus complexe. La dernière réunion sur les métriques de l’adaptation était justement l’occasion d’échanger sur l’expertise internationale en matière de quantification des projets pour les rendre plus recevables et bancables.
F.N.H.: Est-ce que les métriques d’adaptation sont intégrées dans notre système bancaire comme c’est le cas au niveau international ?
A. L.: Il faut être réaliste quand on parle d’économie verte. Des secteurs vont attirer des fonds, notamment celui des énergies renouvelables qui donne aux investisseurs de la visibilité à moyen et long terme aussi bien sur le plan légal qu’en termes de rentabilité. Tandis que d’autres projets d’adaptation (exemple de la lutte contre les érosions) vont susciter moins d’intérêt pour les investisseurs. Il faudra alors trouver des combinaisons entre les fonds publics, le mécénat et les fonds privés dans un cadre innovant pour financer les projets non rentables. D’où l’importance du système innovant qui est en phase de se mettre en place, notamment celui de la Banque mondiale qui s’est engagée, dans le cadre des accords de prêt, à consacrer 40% des fonds pour les projets d’adaptation. Ces fonds peuvent jouer un rôle de levier pour l’investissement privé.
F.N.H.: Qu’attendez-vous concrètement de cette COP, dite de l’action ?
A. L.: Je crois que la première question qui nous vient à l’esprit en parlant de la COP22 est la suivante : serat-elle une COP réussie ? Et quelles sont les critères de réussite ?
En fait, il y a quelques critères pour mesurer le taux de réussite. D’abord, il y a le degré de participation, non pas par rapport au nombre, mais pour savoir si l’engouement créé à la COP21 va se poursuivre et si les Etats et les parties sont toujours concernés par cette urgence d’agir. Deuxièmement, la qualité des participants qui montre s’il y a un engagement au plus haut niveau des Etats.
Troisièmement, les signaux politiques à donner, notamment celui éventuellement de la ratification de l’Accord, l’amendement du protocole de Montréal, l’engagement de l’aviation civile pour un cap 2020-2030… La concrétisation de ces actions peut donner encore de la dimension à cette COP. Quatrième critère, ce sont les output concrets qui doivent être perçus par tout le monde, à savoir la formation des capacités, l’adaptation, le financement, les initiatives portées par le Maroc notamment l’initiative pour l’Adaptation de l’agriculture africaine aux changements climatique (triple A), celle des oasis et probablement les SSS (Sustainable Services at Scale). En résumé, des actions arriveront à maturité lors de la COP22, d’autres seront à parfaire afin de les faire aboutir avant 2018.
F.N.H.: Ces critères sont-ils aujourd’hui réunis ?
A. L.: Nous avons fait le maximum pour répondre aux 4 critères de réussite. Le défi de la réalisation de ce grand village de négociation, en si peu de temps, témoigne des efforts déployés pour être au rendez-vous. D’ailleurs, cette réalisation entrera probablement dans le livre Guinness des records.
Le deuxième défi est le taux de participation. Aujourd’hui, toutes les parties signataires de l’Accord, à savoir 197 pays, prendront part à la COP22. Le nombre de participants a dépassé aussi nos prévisions avec 20.000 personnes accréditées par les Nations unies, qui auront accès à la zone bleue, ce qui place Marrakech à la 3ème position après Copenhague et Paris.
Concernant les output en termes de contenu sur les 4 axes de la présidence marocaine, je pense que si l’on doit en juger à travers les rencontres qui ont eu lieu début septembre à Skhirate sur les négociations informelles, la pré-COP22 à Marrakech…, l’ambiance est extrêmement bonne sur tout ce qui concerne les axes prioritaires, à savoir l’adaptation, le financement, le transfert technologique et la formation des capacités.
F.N.H.: Contrairement à Paris où 197 Chefs d’Etat ont pris part à la COP21, Marrakech n’accueillera, selon les dernières nouvelles, que 50 Chefs d’Etat, dont une trentaine sont africains. Comment expliquez-vous cela ?
A. L.: Il faut savoir que la configuration de Paris était particulière. Rappelons qu’à Copenhague en 2009, les Chefs d’Etat se sont mobilisés pour arracher un accord, ce qui n’a pas été possible compte tenu de la crise financière de 2008. Après plusieurs rencontres qui n’ont pas abouti, la communauté internationale s’est engagée à trouver un Accord pour remplacer le protocole de Kyoto au plus tard en 2015 pour une rentrée en action en 2020. Paris a donc été une rencontre exceptionnelle où même la configuration de COP a été inversée, puisque les Chefs d’Etat se sont réunis au début et non pas à la fin de la COP comme à l’accoutumée. Cette exception a permis de donner une décision politique forte au plus haut niveau des Etats.
A Marrakech, on revient à la configuration classique où les négociateurs vont se réunir en premier lieu et c’est vers la fin que les Chefs d’Etat prendront part à la COP22. A noter également qu’à la COP21, l’essentiel en termes d’émissions de gaz à effet de serre a été dit avec les engagements pris par les uns et les autres. La COP22 se tient en Afrique, il faut donc la juger par rapport aux pays qui sont directement concernés par l’adaptation, notamment les Etats africains et insulaires. A ce niveau, il y a une très forte participation des concernés. Quant aux autres pays comme la Chine et les Etats-Unis, ils se sont déjà engagés pour réduire leurs émissions en ratifiant l’Accord. Il ne manque que les feuilles de route, notamment celle du financement pour la mobilisation des 100 Mds de dollars. La COP de Marrakech est donc dans une configuration totalement différente de Copenhague et de Paris pour lesquelles il y avait un autre objectif, celui d’arracher un accord.
La COP22 est celle de l’application de l’Accord de Paris qui relève plus des experts financiers, des bailleurs de fonds, des ministres des Finances que des Chefs d’Etat qui ont déjà pris leur décision.
Propos recueillis par L. Boumahrou