ENTRETIEN : «La société civile marginalisée»

ENTRETIEN : «La société civile marginalisée»

Kamal Lahbib

Contrairement aux attentes, la société civile n’a pas été impliquée comme il se doit dans l’organisation de la COP22 et n’a bénéficié que d’un intérêt limité de la part des responsables.

Aucun moyen financier ni logistique n’a été mis à sa disposition.

Kamal Lahbib, membre fondateur de la Coalition marocaine pour la justice climatique (CMJC), tire la sonnette d’alarme et dénonce l’absence de mesures concrètes institutionnalisées à ce jour pour concrétiser le slogan central de la COP22, à savoir l’Action.

Finances News Hebdo: Pour la première fois, la société civile marocaine a été très impliquée dans l'organisation d'un événement de taille qu'est la COP22. Êtes-vous satisfait du degré de votre implication ?  

Kamal Lahbib: Non, la société civile n’est pas satisfaite. En fait, elle a été marginalisée. Si l’on excepte les efforts du pôle société civile, globalement elle n’a bénéficié que d’un intérêt limité de la part des responsables.

Nous avons relevé qu’il y a une forte confusion dans l'organisation : une multitude d'interlocuteurs, des directives et procédures qui changent au fil du temps. Aussi, aucun moyen financier ni logistique n’a été mis à notre disposition. Celle des stands nus (l’habillage étant à la charge des associations) ne s’est pas faite rapidement en imposant un prestataire pour leur aménagement.

Nous sommes même inquiets, car à ce jour (NDLR : lundi), outre le problème structurel des moyens financiers, nous n'avons aucune visibilité sur :

• l’hébergement des participants de la société civile du fait de l’indisponibilité des lieux d’hébergement et de l’absence de moyens financiers;

• le transport des participants

• l'aménagement des stands mis à disposition;

• les conditions d'accès à la zone verte : les badges viennent à peine d’être remis dans une grande confusion et sans garantie de trouver le badge demandé;

• pour l’accès à la zone bleue, à peine 20 badges ont été mis à disposition de la Coalition, sachant que dans toutes les COP22, des badges d’accès à la zone bleue sont mis à la disposition de la société civile pour suivre les processus de négociations, pour la prise de contacts avec les représentants des Etats et pour avoir la possibilité d’infléchir certaines décisions.

• nous n’avons pas bénéficié d’un temps d’antenne dans les médias publics pour nous exprimer et faire part de nos propositions à l’opinion publique.

F.N.H.: Les parties non étatiques ont un rôle primordial à jouer dans la mise en application de l'Accord de Paris. Comment se traduit celui de la société civile marocaine dans l'aboutissement de ce but ?    

K. L.: Pour le moment, aucune mesure institutionnalisée n’est envisagée pour concrétiser le slogan central de la COP22 et en faire une COP de l’action. Il ne nous reste que le choix de nous mobiliser et de faire pression dans un mouvement de convergence des efforts au niveau national et international, sinon nous resterons limités dans les barrières que nous impose le véto des Etats pollueurs.

F.N.H.: Concrètement, qu'attend la société civile de cette COP22 ?    

K. L.: Beaucoup de choses. Aller au-delà d’une prise de conscience du danger imminent pour prendre des mesures conséquentes allant dans le sens des engagements pris à Paris, et surtout, passer à un degré supérieur en matière d’adaptation et mettre la justice au centre des préoccupations voire des décisions sur le plan financier.

Mais aussi, remettre sur la table la question du modèle de développement qui est à l’origine du réchauffement climatique (surproduction, surconsommation…) et qui met en péril les équilibres des écosystèmes, génère des disparités sociales, tarit les ressources naturelles et met en danger la souveraineté alimentaire et l’avenir des générations.

F.N.H.: Cette COP22 va-t-elle marquer un avant et un après relations entre la société civile marocaine et les autres composantes de la société, notamment les pouvoirs publics, le secteur privé, la communauté scientifique...?    

K. L.: C’est une grande question qui va au-delà de la COP. Nous pensions avoir franchi le cap avec la Constitution de 2011 qui a érigé la société en contre pouvoir. Or, tout semble aller dans le sens de vider la Constitution de son esprit et de ses dispositions tant au niveau des lois adoptées (pétition, initiative législative, code pénal, par exemple), qu’à celui de la non participation lorsqu’il s’agit d’élaborer des politiques publiques, qu’au niveau encore des instances de régulation qui n’ont pas vu le jour (Conseil de la vie associative, Conseil de la jeunesse, Conseil sur la parité…).

S’il y a une chose positive à enregistrer, c’est le degré de conscience de la population sur les changements climatiques, c’est aussi les espaces de concertation avec les élus locaux lors des Précop qui préludent d’un ancrage social de la justice climatique.

Propos recueillis par L. Boumahrou

L’Actu en continu

Hors-séries & Spéciaux