ENTRETIEN : «La dynamique que nous observons n’est pas un effet de mode»

ENTRETIEN : «La dynamique que nous observons n’est pas un effet de mode»

Omar Benaicha1

Si l'entreprise marocaine n'entreprend pas de façon volontaire d'intégrer les actions pour l'environnement dans ses choix et ses stratégies, on l'obligera à le faire.

L’adoption d’un cadre législatif de base pour la préservation et la protection de l'environnement a donné un coup de pouce à la prise de conscience quant aux enjeux et défis des questions climatiques.

Omar Benaicha, Directeur général de Bureau Veritas, insiste sur l’urgence de sortir les textes d'application relatifs à la fiscalité verte et mettre en place les leviers pour opérationnaliser le dispositif vers un développement durable.

Finances News Hebdo: L’organisation de la COP22 par notre pays a créé un engouement autour des questions environnementales et climatiques auprès de tous les acteurs. Pensez-vous que cette mobilisation, notamment du secteur privé, est juste un effet de mode ou une réelle prise de conscience quant à la nécessité d’intégrer la composante environnementale dans le businessplan ?  

Omar Benaicha: Je ne pense pas que la dynamique que nous observons soit un effet de mode. D'abord, les initiatives des entreprises ne datent pas d'aujourd'hui. Depuis plus de 20 ans, le secteur privé travaille sur le sujet. Une trentaine d'entreprises sont certifiées ISO 14001, plusieurs autres ont investi en faveur de la réduction de leurs externalités négatives : dans des stations d'épuration, le traitement et la valorisation de leurs déchets industriels et dans l'efficacité énergétique. Il faut dire que le gouvernement d'alternance en adoptant le cadre législatif de base pour la préservation et la protection de l'environnement a donné un coup de pouce. Par ailleurs, les bailleurs de fonds ont été très attentifs aux aspects sociaux et environnementaux de tous les projets qu'ils ont financés et dont beaucoup ont été réalisés par le privé.

F.N.H.: Dans le contexte actuel, les entreprises marocaines ont-elles vraiment le choix quant à l’intégration de cette composante dans leur stratégie de développement ?    

O. B.: Au-delà de savoir si les entreprises ont le choix ou non, la question du climat nous interpelle aujourd'hui plus que jamais en tant qu'êtres humains, puisque nous ne pouvons continuer à vivre sur la planète terre en faisant fi des questions climatiques et de développement en général. Les ressources s'épuisent et ne se renouvellent pas et le réchauffement climatique va être un danger imminent pour toutes les entreprises et les industries. Si l'entreprise n'entreprend pas de façon volontaire d'intégrer les actions pour l'environnement dans ses choix et ses stratégies, on l'obligera à le faire. Les entreprises aujourd'hui sont interpellées par les parties prenantes directes, dont celles qui leur fournissent des ressources stratégiques. Elles font face à des restrictions de financement et demain c'est l'accès au marché qui ne sera plus garanti. Les boycotts vont se multiplier et les législations vont être renforcées en faveur de l'action pour le climat. Donc, autant prévenir tout cela, voire se positionner sur les opportunités de l'économie verte pour en tirer un avantage compétitif durable.

F.N.H.: Bureau Veritas accompagne les entreprises dans leur démarche environnementale. Quelles sont les principales contraintes auxquelles elles font face ?      

O. B.: Les entreprises font face à 3 principales contraintes : d'abord le financement, les lignes de financement destinées à l'économie verte restent limitées. Ensuite, l'application peu effective du cadre légal réglementaire qui devrait mettre sur le même pied d'égalité toutes les entreprises. Les bons élèves continuent d'affronter des mauvais élèves qui agissent parfois en toute impunité. La 3ème contrainte enfin est la disponibilité des compétences et de l'expertise technique, sociale et financière pour opérationnaliser les projets de développement durable.

F.N.H.: Quel est le rôle que doivent jouer aussi bien les pouvoirs publics, les banques, les assurances…, pour accompagner les entreprises marocaines à s'inscrire dans cette démarche d'adaptation et d'atténuation ?    

O. B.: Les pouvoirs publics jouent un rôle clé dans les pays en développement pour la promotion des questions du climat et du développement durable (DD). Un de leurs rôles est la mise en œuvre d'un cadre institutionnel incitatif pour promouvoir cette nouvelle économie. Comme je l'ai expliqué ci-dessus, le système financier est aussi un acteur majeur de toute stratégie de DD. La finance verte reste à développer que ce soit pour financer les projets d'atténuation ou d'adaptation. Rappelons que les modèles économiques et les typologies de projets sont particuliers et la finance conventionnelle n'est pas adaptée à ces projets.

F.N.H. : Qu’en est-il du cadre réglementaire et fiscal, encourage-t-il les entreprises à fédérer à ce processus ?    

O. B. : Absolument, le secteur privé a besoin d'une réglementation efficace et d'incitations fiscales. Rappelons que la loi cadre 12-99 portant Charte nationale du développement durable a institué les fondements d'une fiscalité verte. Il faut maintenant sortir les textes d'application rapidement et mettre en place les leviers pour opérationnaliser tout ce dispositif. Le Maroc a bel et bien un cadre favorable qui n'a rien à envier à celui des pays développés mais il faut le rendre attrayant et accélérer sa mise en œuvre.

Propos recueillis par L. Boumahrou

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