[Entretien] Banque Mondiale : «Le Maroc doit accélérer les réformes»

[Entretien] Banque Mondiale : «Le Maroc doit accélérer les réformes»

 

Selon Emanuel Pinto Moreira, économiste principal pour le Maroc auprès de la Banque mondiale, le rythme des réformes entreprises au Maroc semble soutenu, mais les résultats restent en deçà des attentes.

Renforcer la compétitivité économique est indispensable pour créer davantage de richesses et d’emplois.

 

 

Finances News Hebdo : Les perspectives de l’économie marocaine élaborées par la Banque mondiale tablent sur une croissance plutôt modérée à moyen terme (en 2019 et 2020). Quel commentaire faites-vous de cette croissance ?

Emanuel Pinto Moreira : À moyen terme, les perspectives économiques devraient s'améliorer sous l’hypothèse de l’évolution de la campagne agricole 2018-2019 et des nouvelles dispositions et mesures annoncées dans la Loi de Finances 2019. Le taux de croissance du PIB devrait s’accélérer en 2020 tandis que les déficits budgétaire et courant devraient diminuer ainsi que le ratio de la dette publique (Trésor) par rapport au PIB.

Sous l’hypothèse d’une production céréalière moyenne et d’une croissance modérée des activités hors agriculture, la croissance économique devrait ralentir en 2019. En l’absence de réformes structurelles plus décisives, la croissance du PIB non agricole devrait rester autour de 3,3% (un taux insuffisant pour atteindre des taux de croissance de l’ordre de 6%). Cependant, la création d'emplois restera faible dans les nouveaux secteurs industriels et services et ne pourra absorber les nouveaux entrants. La croissance devrait continuer à être soutenue en 2019 par la demande intérieure, avec cependant un rythme en léger retrait par rapport à 2018. En raison du faible niveau d’exportations à fort contenu technologique, la contribution de la demande extérieure à la croissance du PIB devrait rester cependant négative.

Les risques pesant sur la trajectoire budgétaire positive se sont concrétisés en 2018, le solde budgétaire étant estimé à -3,6% du PIB, contre un objectif indicatif de -3% dans la Loi de Finances de 2018. La réduction du déficit dépendra de mesures fiscales clés, notamment celles visant à augmenter les recettes de TVA et à réduire les exonérations fiscales et à consolider le régime d'imposition des sociétés.

Le gouvernement est également déterminé à réduire la masse salariale de la fonction publique, pour la ramener à 10,6% du PIB à moyen terme (y compris les cotisations sociales). Le déficit du compte courant a diminué, mais la dépendance vis-à-vis des importations d'énergie continue d’affecter négativement la balance commerciale. L’évolution incertaine des cours du pétrole reste également un facteur d’incertitude en 2019.

 

F.N.H. : Comment jugez-vous le rythme des réformes structurelles entreprises par le Maroc ? En particulier celles tendant à renforcer le climat des affaires ? 

E. P. M. : Le rythme des réformes entreprises semble soutenu mais les résultats qu’enregistre le Maroc en termes de développement économique, social et humain inclusif restent en deçà des attentes.

Pour se hisser parmi les économies les plus compétitives, le Maroc devra accélérer le programme de réformes afin de doper la compétitivité du pays, relever le niveau de formation de la population, assurer une meilleure adéquation formation-emploi et renforcer la cohérence des politiques publiques. En effet, renforcer la compétitivité économique est indispensable pour élargir et diversifier les marchés et créer davantage de richesses et d’emplois. Ceci appelle au renouvellement du modèle de développement, comme indiqué plus haut, pour générer des gains de productivité par le secteur privé et les exportations. Ce nouveau modèle devrait permettre la mise en œuvre de réformes qui lèveraient les obstacles au développement du secteur privé, notamment en réduisant le poids de l’Etat dans l’activité économique et le renforcement de partenariats public-privé (PPP) ainsi qu’un plus grand investissement dans le capital humain à travers les réformes de l’éducation, de la santé et de la petite enfance, sans oublier un développement territorial équitable et durable.

Une bonne gouvernance économique et la promotion d’une plus grande participation des femmes dans l’activité économique devraient aussi être au centre du nouveau modèle de développement.

 

F.N.H. : Le rapport «Perspectives économiques mondiales 2019» dresse un panorama assez sombre de l’économie mondiale. Jusqu’à quel point notre économie est-elle exposée aux risques globaux cités dans le rapport ?

E. P. M. : Comme la plupart des pays en développement, l’économie marocaine est exposée aux risques externes liés à l’évolution de l’économie mondiale. Les perspectives économiques mondiales moins favorables et singulièrement les incertitudes du commerce international dues à la guerre commerciale que se livrent les grandes puissances économiques et celles de l’environnement des politiques des marchés de capitaux peuvent créer une plus grande volatilité des marchés financiers et réduire la confiance des investisseurs internationaux et en conséquence l’investissement au Maroc.

En outre, la faiblesse de la croissance projetée dans la zone Euro peut affecter la croissance économique et par la suite les équilibres des comptes budgétaires et extérieurs du Maroc. Enfin, les risques géopolitiques dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord pourraient se traduire par une augmentation des prix du pétrole et des effets négatifs sur le tourisme et la confiance des investisseurs.

Cependant, l’économie marocaine a généralement montré une forte résilience aux chocs et risques extérieurs grâce à une gestion macroéconomique prudente et à un niveau de réserves relativement confortable. 

 

 

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