A Tanger, nous avons rencontré les jeunes cadres de l’Agence pour le développement des provinces du nord pour nous parler, sans langue de bois, de la question du cannabis. Nous sommes en face de brillants profils, enthousiastes, qui ne ménagent aucun effort pour sortir la région du sous-développement. L'avis de l’Agence pour le développement des provinces du nord (APDN) est primordial dans une enquête sur le cannabis. Et pour cause, cet organisme, qui travaille avec plusieurs partenaires publics ou privés, a une grande expérience en la matière, et pilote de nombreux projets de substitution au cannabis. L’APDN a notamment beaucoup appris de ces échecs. Ce qui l’a conduit à adopter désormais une nouvelle approche, basée sur la proximité et le développement local. Pour cela, l’organisme a fait appel à de nouveaux profils émanant du secteur privé et qui ont à leur actif des expériences réussies dans leur domaine. Il est utile de rappeler la mission de l’APDN, basée sur trois objectifs principaux, qui sont les trois problèmes historiques du nord, à savoir, la contrebande, l’immigration clandestine et la culture de cannabis. Depuis sa création en 1999, cet organisme a connu plusieurs évolutions. La dernière en date a concerné sa délocalisation de Rabat à Tanger, en août 2014, pour piloter efficacement les différents programmes de développement. Pour ce faire, l’APDN a fait appel à des profils pointus, jeunes et dynamiques présentant des CV riches et diversifiés. Cela nous rappelle une visite guidée de l’APDN en 2004, dans les provinces du Nord. A l’époque, tous les cadres rencontrés étaient issus de l’administration. La plupart d’entre eux étaient détachés d’autres ministères. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, et c’est tant mieux.
Khalid Benomar, directeur stratégie et planification à l’APDN, nous a accueilli tout sourire dans les locaux de l’agence, à Tanger. Il était à l’heure précise avec son staff pour nous rencontrer. Sans langue de bois, ces personnes ont répondu à nos questions, d’une façon claire et précise.
Benomar a, dès le départ, souligné qu’«il y a un déphasage de développement important entre le monde urbain et rural. A partir de 2009, les différents programmes lancés se sont focalisés en priorité sur le monde rural».
L’approche participative et locale est privilégiée
En effet, le revenu moyen des villes de Tanger ou Tétouan a atteint la moyenne nationale, alors que d’autres régions sont classées parmi les zones les plus pauvres du Royaume. C’est le cas des communes rurales proches de Taza, Guercif ou Taounate, qui ont le PIB par habitant parmi les plus faibles du Royaume. Il a fallu mettre à jour tous les programmes ruraux. «Auparavant, ils étaient faits dans le cadre d’une vision stratégique interministérielle. A partir de 2010, on a privilégié les approches participatives du terrain. Nous avons fait quatre ans de diagnostic rural participatif. A travers les plans communaux de développement, nous avons soutenu chaque commune pour lancer son propre plan de développement. Nous avons investi dans ce cadre 130 MDH sur quatre ans. Dans les communes enclavées, la présence de l’Etat est très faible. Il était donc question de remédier à cette lacune», rapporte Benomar.
Pour piloter tout le programme, l’APDN dispose d’une équipe de 25 personnes, au niveau central, et il y en a d’autres dans chaque province, qui font le diagnostic local pour proposer des solutions sur-mesure, en concertation avec les élus et les acteurs locaux. «Cela a créé une dynamique nouvelle et qui marquait une nette rupture avec l’ancienne méthode», souligne Benomar.
La nouvelle stratégie de l’APDN a mobilisé 2 Mds de DH sur la période 2013-2017. Cette enveloppe reste certes en deçà des besoins réels qui sont estimés à 30 Mds de DH, mais c’est déjà un pas de géant qui a été posé.
Lutte contre la culture du cannabis : un historique et des enseignements
Il y a eu trois phases en matière de traitement de la question du cannabis par l’APDN. De 2002 à 2005, c’était la phase de reconnaissance.
Auparavant, il y avait une insuffisance de données chiffrées. Au cours de la même période, l’APDN a lancé une enquête sociologique sur le cannabis, notamment le mode vie des exploitants, leur revenu, et l’impact positif ou négatif sur la population. A partir de 2006, un programme pilote a été lancé dans les provinces de Larache et Taounate qui ne se sont mises que récemment à la culture de cannabis. Les zones de culture du kif ont été divisées en trois catégories. Il y a les zones historiques, en l’occurrence Ketama, où le kif a une présence de plusieurs siècles, et où les exploitants sont en possession d’un dahir autorisant cette activité. Il y a des zones qui ont à leur actif moins de 50 ans d’activité dans le kif. En enfin, il y a les zones nouvelles qui ont moins de 20 ans. Il était donc urgent de bloquer la propagation des cultures, car le kif menace les autres filières agricoles ou le domaine forestier. En 2005, on rapporte que le kif s’approchait de Moulay Bousselham, c’est-à-dire à moins d’une heure et demi de la capitale administrative. L’APDN a ainsi lancé une étude, en partenariat avec la CDG, qui présente des businessplans pour une vingtaine de filières comme l’arboriculture ou le petit élevage. Il s’agit de proposer des cultures alternatives au kif ; des cultures à forte valeur ajoutée, pouvant intéresser les agriculteurs. «Ce plan de cultures alternatives était très intéressant, mais sa mise en oeuvre n’a pas abouti, pour plusieurs considérations. Il était plus politique pour justifier l’éradication du kif», souligne Benomar. Un autre programme intégré a vu le jour, et il concerne la période 2009-2011. Il a nécessité la contribution de dix départements ministériels ou administrations. Il a mobilisé 1 milliard de DH pour 600 projets ciblant quatre axes : les activités génératrices de revenu, l‘environnement, l’infrastructure et le soutien socioéducatif.
L’évaluation des anciens programmes a poussé l’APDN a changé complètement d’approche. «Nous avons remarqué que toutes les approches initiées auparavant étaient verticales, ce qui voue à l’échec toutes les tentatives de reconversion. Il est difficile d’imposer par le haut le remplacement du cannabis par une culture vivrière», explique Benomar. La nouvelle approche de l’APDN se base désormais sur les filières porteurs au nord, en se basant notamment sur deux logiques : l’approche participative et la formulation locale des projets. L’initiative de la reconversion doit émaner des populations elles-mêmes. Les plans de développement provinciaux, arrêtés en concertation avec les autorités locales, notamment les gouverneurs, sont aujourd’hui opérationnels dans 11 provinces. Les résultats positifs mettront du temps à se dessiner, mais c’est le prix à payer pour aboutir à des solutions durables pour les paysans, qui ne demandent qu’une seule chose : vivre dans la dignité.
Priorisation des projets les plus urgents
Pour plus d’efficacité, l’Agence a eu besoin de rationaliser ses choix budgétaires et de prioriser les projets. Pour répondre aux besoins, l’APDN a sollicité les partenaires. Ce qui lui a permis de mobiliser 11 Mds de DH et de couvrir des objectifs encore plus ambitieux, conformément aux besoins de la population locale. Mais pour proposer des solutions, il est primordial de diagnostiquer les problèmes.
A cet égard, l’APDN a dégagé trois problématiques essentielles qui perturbent le développement du Rif. Il y a d’abord des zones qui ont besoin d’un désenclavement prioritaire. Cela concerne 17 communes rurales, comme celle de Béni Mansour, dans la province de Chaouen, qui ne dispose d’aucune route bitumée, ou Bouiblane, dans la région de Taza, qui est inaccessible et ne dispose ni d’eau ni d’électricité. «Nous avons lancé le programme de mise à niveau territorial prioritaire qui traite exclusivement le désenclavement de ces zones ; un programme qui concerne essentiellement le recensement des besoins en matière d’infrastructures de base comme les routes, les dispensaires ou les écoles. La part de l’agence dans ce programme est de 500 MDH; celle des partenaires s’élève à 1,5 Md de DH», souligne Benomar.
L’APDN a également remarqué qu’il y a des déficits sectoriels qui varient d’une province à l’autre. A Taza, par exemple, le retard se situe au niveau des écoles, notamment du fait que le terrain est accidenté. Dans cette région, la déperdition scolaire atteint des niveaux alarmants. Par ailleurs, les lacunes au niveau de la santé sont criantes. L’hôpital provincial de Taounate n’arrive pas à répondre à tous les besoins des habitants de la région. Il ne dispose pas de toutes les spécialités. Les habitants doivent se déplacer vers Al-Hoceima ou Fès pour se soigner, avec parfois des trajets de 200 km. Dès lors, l’agence s’efforce de rattraper le déficit pour se rapprocher de la moyenne nationale, en mobilisant 2 Mds de DH pour ce programme.