Entre conglomérat et entreprise mono-produit, lequel de ces types d’entreprise est à même de créer le plus d’emplois ? C’est à cette question qu’a tenté de répondre le professeur Chang-Tai Hsieh de la Booth School of Business de l’Université de Chicago, lors de son récent passage à Rabat.
Par A. Diouf
Les 14 et 15 septembre derniers, Bank Al-Maghrib (BAM) et le bureau de l’économiste en chef de la Banque mondiale pour la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) ont organisé la 3ème conférence annuelle du réseau régional de recherche des Banques centrales de la région MENA à Rabat. L’évènement, axé sur le thème «Marchés du travail et transformation structurelle», comptait parmi ses invités d’honneur le professeur Chang-Tai Hsieh de la Booth School of Business de l’Université de Chicago.
L’auteur de plusieurs publications, issues de travaux de recherche sur la croissance et le développement, dont «Prix relatifs et prospérité relative», «Qu'est-ce qui explique la révolution industrielle en Asie de l'Est ?» «Preuves des marchés de facteurs» et «L'allocation des talents et la croissance économique américaine», était notamment chargé d’animer la première conférence principale sur «Echelle versus Envergure : essor et déclin (?) des conglomérats».
Il était ainsi invité à édifier l’assistance sur le type d’entreprise qui est la mieux outillée pour créer plus de productivité, d’emplois et de richesse. Chang-Tai Hsieh commence son exposé en révélant un secret de polichinelle, c’est-à-dire qu’«actuellement, ce sont les entreprises technologiques qui sont les plus rentables dans le monde». En effet, Apple, Microsoft, Google (Meta), Facebook, Amazone…, celles qui sont dénommées les GAFAM ne connaissent pas la crise et enregistrent année après année des taux de croissance fulgurante.
Les entreprises mono-produit sont plus productives
Ensuite, il poursuit en déclarant que parmi ces dernières, ce sont les grandes entreprises qui travaillent sur un seul produit qui sont les plus rentables. Et pour illustrer ses propos, il donne l’exemple comparatif entre Apple et Facebook. La première a réalisé un chiffre d’affaires de 2,9 trillions de dollars en 2022, tandis que la seconde, qui est un conglomérat de social média, n’a fait que 113,6 milliards de dollars la même année. Incomparable ? Pourtant, Facebook a des activités beaucoup plus diversifiées qu’Apple, qui ne fabrique que des IPhones. «Justement, c’est là où se situe toute la différence. Les équipes d’Apple sont exclusivement concentrées sur un seul et unique objectif qui est de produire un bon IPhone. Tandis que celles de Facebook sont dispersées sur tout ce que le réseau social permet à ses utilisateurs, à savoir publier des images, des photos, des vidéos, des fichiers et documents, échanger des messages, joindre et créer des groupes et utiliser une variété d'applications sur une variété d'appareils», relève Chang-Tai Hsieh.
Etant moins dispersées, les équipes d’Apple sont, du coup, beaucoup plus performantes. Elles réalisent des niveaux de productivité très élevés. Elles sont également capables d’innover plus rapidement que n’importe qui. Et pour répondre à la demande mondiale d’IPhones, l’entreprise embauche continuellement en masse plus que n’importe qui. Ainsi, Apple compte 1,7 million d’employés en Europe, alors que Facebook n’en a que quelques centaines. Pour l’expert chinois, il n’y a pas photo : «en matière de création d’emplois, ce sont les entreprises mono-produit qui sont les plus efficaces».
Pour autant, faut-il bannir les conglomérats qui constituent le modèle de grandes entreprises le plus courant dans le monde, y compris ici au Maroc ? «Oui et non», répond Chang-Tai Hsieh. Oui, si ces conglomérats subsistent juste en raison des privilèges qui leur sont accordés par les gouvernements successifs en place. Selon Chang-Tai Hsieh, ces privilèges doivent être mérités. Ils doivent être délivrés pour récompenser des performances vérifiées en termes de productivité, de création d’emplois, de création de richesse, d’export, de compétitivité, etc. Non, il ne faut pas bannir les conglomérats s’ils ne bénéficient d’aucun privilège et s’ils évoluent normalement dans un environnement concurrentiel bien encadré et assaini. Sauf que, même dans ce second cas de figure, ce type d’entreprise n’est pas vraiment productif. A cause de sa diversité d’activités, dont les unes n’ont généralement rien à voir avec les autres, le conglomérat est par nature contreproductif.
Les conglomérats de plus en plus lâchés par les marchés financiers
D’ailleurs, General Electric, Johnson & Johnson et Toshiba viennent d’annoncer qu’ils allaient se scinder en plusieurs sociétés distinctes. Leur choix est notamment imposé par les marchés financiers qui leur reprochent le manque de lisibilité de leur stratégie. Ainsi, pour entretenir la confiance des investisseurs, General Electric a décidé de se diviser en trois : une première société spécialisée dans l’énergie (son secteur historique), une deuxième dans la santé et une troisième dans l’aviation, qui représente un quart de son chiffre d’affaires. Johnson & Johnson va, elle, séparer les produits d’hygiène et les médicaments sans ordonnance (comme l’aspirine Tylenol, les crèmes pour la peau Neutrogena ou les pansements Band-Aid notamment) de sa très lucrative branche spécialisée dans le matériel pharmaceutique et les vaccins (par exemple contre le Covid, sous le nom de Janssen en Europe). Les deux entreprises seront cotées en Bourse. Enfin, pour ce qui est de Toshiba, elle va également se scinder en trois sociétés indépendantes. La première regroupera les infrastructures (énergie, transports); la deuxième les métiers de l’électronique, tandis que la dernière gérera la participation de 40% dans Kioxia, détenu par un consortium mené par le fonds américain Bain Capital.