Emergence : Le Maroc cherche encore sa voie

Emergence : Le Maroc cherche encore sa voie

benkirane

Le foisonnement des politiques dans les domaines socioéconomiques et en matière de développement durable ont sans aucun doute accéléré le processus de développement du Maroc, qui se pose des questions légitimes sur les voies à suivre pour intégrer le club sélect des nations émergentes, incarnées par les pays du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud).

 

Dans le domaine économique, le Colloque international sur le modèle de développement pour l’entrée du Maroc dans le concert des pays émergents, organisé récemment par l’Association des membres de l’Inspection des finances (Amif), est sans doute l’une des manifestations qui a le plus suscité d’engouement auprès des autorités publiques, des partis politiques, de la société civile et des opérateurs privés au cours des dernières semaines. Cette rencontre qui a été rehaussée par la présence d’experts internationaux, du Chef de gouvernement, Abdelilah Benkirane, et de plusieurs ministres, ainsi que de Miriem Bensalah Chaqroun, présidente de la CGEM, a permis de s’interroger sur les réalisations économiques et sociales du pays au cours des dernières décennies et du chemin à parcourir pour intégrer le peloton des pays émergents. Cela dit, selon Zouhair Chorfi, Directeur général de l'administration des Douanes et Impôts indirects, si le chemin parcouru par le Maroc est important, celui qui est devant lui, l’est tout aussi. L’intérêt de cette rencontre pour laquelle les opérateurs privés se sont fortement mobilisés, est à rechercher dans le fait que certains intervenants ont adopté une approche rétrospective, qui a mis en exergue les avancées du Royaume dans le domaine socioéconomique et en matière des droits de l’Homme. En effet, le progrès du Maroc a été accéléré par une série de réformes sociétales qui ont consolidé les droits de l’Homme (Code de la famille, réforme constitutionnelle de 2011, etc.).
A cela s’ajoute une kyrielle de politiques résolues ayant débouché, entre autres, sur les privatisations, la libéralisation de plusieurs secteurs, les stratégies sectorielles, l’ouverture économique et la stratégie de développement social (INDH, Ramed,etc.). Par ailleurs, c’est un truisme de préciser que le Maroc dispose de plusieurs atouts indéniables à même de mieux l’intégrer dans le club sélect des nations émergentes incarnées par les pays du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Parmi ces atouts, il y a lieu de citer la sécurité, la proximité géographique avec les principaux marchés porteurs (USA, UE). Sachant que 51 pays, soit un milliard de consommateurs, sont liés par des accords de libre-échange au Royaume. Le Souverain estime que le modèle de développement doit reposer sur trois principaux piliers à savoir, l’instauration d’un climat de sécurité et de stabilité, la mise à niveau du capital humain et la promotion d’une gouvernance efficace autour d’institutions fortes et compétentes. Au-delà des inombrables potentialités, il était aussi question d’identifier les lacunes ralentissant le processus d’émergence du pays.


Les principales faiblesses
Sous l’angle économique, la volatilité de la croissance, qui affiche une faible propension à générer des postes de travail pour les jeunes, est de nature à limiter les grandes ambitions économiques du pays. Les lacunes que cumulent l’administration, le système de santé, l’éducation nationale et l’enseignement supérieur, sont autant de freins pour l’édification d’un modèle de développement à même de conférer au Maroc le statut d’une nation émergente. Or, les principales caractéristiques des pays émergents sont une forte croissance économique, l’ouverture sur l’économie mondiale, une industrialisation accrue du tissu productif et la bonne qualité du capital humain. Par ailleurs, en dépit de la montée en puissance des métiers mondiaux du Maroc (MMM), pour ne citer que l’automobile, l’aéronautique, l’électronique, du côté de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), l’on juge que la complexité des produits industriels marocains est en deçà de ceux de certains pays comparables pour ne citer que la Tunisie, la Turquie et la Malaisie. «Il y a deux Maroc, l’un urbain dont le niveau de vie des habitants est comparable à celui des pays émergents, et l’autre Maroc rural similaire à celui d’un pays comme le Sénégal», assure Jan Rielander, chef de l’Unité examens multidimensionnels de l’OCDE. Et d’assurer : «Comparativement aux pays susmentionnés, le Maroc reste pénalisé par un faible niveau de productivité, dû en partie au manque d’innovation et au manque de qualification de la main d’oeuvre». Au regard des grandes ambitions d’émergence du pays, il est clair que le faible budget dédié à la R&D (0,8% du PIB), avec le peu d’effort fourni par le secteur privé, doit être revu à la hausse afin de promouvoir l’innovation, gage de compétitivité industrielle. Pour rappel, le Maroc n’a déposé que 32 brevets d’invention à l’international en 2015. L’autre grief est que malgré un important effort en matière d’investissement public, celui-ci n'a pas assuré son rôle de catalyseur de l’investissement public. La remarque du représentant de l’OCDE à laquelle s’est opposé Zouhair Chorfi, est l’incapacité du Maroc à réduire les inégalités sociales depuis 1998, et ce, en dépit de certaines mesures sociales (INDH, Ramed). «Depuis 1998, le coefficient de génie qui mesure les disparités sociales est resté inchangé au Maroc contrairement aux pays à développement similaire», clame Jan Rielander qui ne s’est pas fait que des amis lors du Colloque international. D’ailleurs, la pertinence de cette manifestation a résidé dans la contradiction des idées, car l’émergence passe aussi par la multiplication des espaces de débat. Cela dit, tout en rappelant la nécessité de combattre la corruption, l’informel, les taux d’intérêt bancaires encore élevés au Maroc, certains intervenants n’ont pas manqué de signaler qu’il n’existe pas de modèle de développement transposable en l’état. Partant, chaque pays, en fonction de ses spécificités, doit construire son propre modèle d’émergence. D’où le caractère crucial des dimensions culturelle et identitaire pour le succès de celui-ci.


Transformer l’essai
Au-delà de la remarque de Tarun Basu qui a particulièrement retenu l’attention, celle d’intégrer le Maroc dans le club des pays émergents à l’avenir, Noureddine Mouaddib, président de l'Université internationale de Rabat, reste convaincu qu’une transformation profonde du pays viendra de l’intérêt accru pour l’économie de la connaissance, en misant sur le développement des clusters, moyen de promouvoir un important tissu d’entreprises innovantes. Toujours selon lui, tout en se positionnant comme un hub régional du savoir afin d’attirer plus d’étudiants étrangers, le Royaume doit valoriser davantage son énorme potentiel culturel. A ce titre, il est judicieux de rappeler qu’en France, la valeur ajoutée générée par l’économie des arts et de la culture s’est chiffrée à 53 milliards d’euros en 2015, dépassant ainsi celle des nouvelles technologies, par exemple. Par ailleurs, Abdelali Benamour, président du Conseil de la concurrence, estime qu’il est crucial que le pays détermine encore plus sa stratégie de développement sur le long terme en creusant les questions de valeur et de modèle de développement économique et social (système de protection sociale, moteur du développement économique, etc.). S’il ne fait pas de doute que le choix volontariste de l’Etat dans le domaine des énergies renouvelables sera payant, il n’en demeure pas moins que des efforts doivent être multipliés pour améliorer le taux d’activité des femmes, qui est de l’ordre de 25%. A l’évidence, ce handicap ne permet pas au Maroc de tirer pleinement profit de tout son capital humain. Dans le même ordre d’idées, Nicolas Blancher, chef de mission Maroc du Fonds monétaire international (FMI) estime que l’important est de garder à l’esprit que l’émergence n’est pas une fin en soi. Bien au contraire, elle constitue une étape vers l’atteinte de revenus plus importants à l’instar de ceux des pays développés. L’autre situation qui freine le Royaume dans son élan de développement économique est la panne de l’intégration économique au niveau du Maghreb. Ceci étant rappelé, dans le contexte de régionalisation avancée, c’est un truisme d’affirmer qu’un modèle de développement économique n’a de sens que s’il intègre la dimension régionale, en positionnant les différentes régions du Royaume comme les principaux leviers de l’émergence. De l’avis de certains intervenants, pour ne citer que Abdelali El Berria, inspecteur général des Finances, la société civile et les communes devraient jouer un rôle autrement plus important dans les futurs schémas de développement économique du pays. En définitive, la question du modèle de développement porteur de progrès se singularise par sa complexité vu le large éventail de paramètres à prendre en compte.

L’Inde, un exemple à suivre ?
Au moment où le Royaume se pose des questions légitimes sur les voies à suivre à même de lui conférer le statut de pays émergent, le modèle de développement de certains pays du BRICS s’essouffle. Parmi ce groupe d’Etats, seule l’Inde arrive à tirer son épingle du jeu actuellement. Tandis que les autres nations émergentes pâtissent de la perte de vitesse de leur activité économique, comme en témoigne le net repli de leur taux de croissance. A en croire Tarun Basu, président de Society for policy studies (Inde), le chemin parcouru par ce pays qui compte plus de 1,3 milliard de personnes est à la fois long et atypique. En effet, d’une économie portée par l’agriculture, l’Inde a su basculer vers le secteur tertiaire notamment l’économie de la connaissance (IT), sans pour autant passer par l’industrialisation ayant caractérisé les modèles de développement occidentaux. De ce point de vue, il est utile de préciser que l’agriculture et l’industrie représentent respectivement moins de 20% du PIB indien. De plus, au cours des 25 dernières années, l’économie indienne a été principalement tirée par le secteur tertiaire caractérisé par une forte valeur ajoutée. Cet Etat asiatique qui peut servir de relais de croissance au Maroc dans les domaines des nouvelles technologies et du tourisme, a aussi l’avantage d’avoir un gigantesque marché domestique. «L’Inde considère le Maroc comme un partenaire stratégique en raison de sa position géographique et de son ouverture économique», martèle Tarun Basu. En définitive, l’Inde doit son émergence à l’importance, entre autres de sa classe moyenne, du niveau de l’investissement élevé dans les domaines de l’agriculture (modernisation), des nouvelles technologies et de la valorisation du capital humain (formation). A cela faudrait-il ajouter l’implication de la diaspora indienne dans le processus de développement de l’économie de la connaissance de leur pays.

Des résultats probants
Au sujet du manque de productivité de l’économie nationale et de l’ouverture économique peu concluante selon certains experts internationaux, Mohamed Chafiki, directeur de la Direction des études et des prévisions financières (DEPF), a apporté des éclaircissements qui méritent d’être mis en relief. Au cours de ces dernières années, la productivité globale du pays est passée de -0,7% à 1,7%. D’où l’amélioration substantielle des gains de productivité de l’économie nationale. Au registre de l’ouverture économique, même si la balance commerciale penche en faveur des pays avec lesquels le Royaume a conclu un accord de libre-échange (ALE), il n’en demeure pas moins que le pays enregistre avec la France un excédent commercial. Toujours selon Mohamed Chafiki, au cours des dernières années, le déficit commercial avec l’Espagne aurait tendance à se réduire. Dans un autre registre, l’autre facteur ayant fortement contribué au développement économique du Maroc au cours de ces dernières années a été sa capacité de s’ouvrir sur ses différents territoires. Cette orientation a permis la multiplication des pôles d’activité régionaux.

Momar Diao

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