Economie marocaine: quand la gouvernance devient un obstacle à l’émergence

Economie marocaine: quand la gouvernance devient un obstacle à l’émergence

La croissance faible et volatile, les indicateurs humains et les données liées à la pauvreté sont autant d’éléments qui prouvent que le Maroc a une économie sous plafond de verre.

Au regard d’une trajectoire de plusieurs décennies et de l’analyse de bon nombre de résultats et d’indicateurs, il s’avère que les choix opérés ont été mauvais et infructueux sur le plan économique.

C’est l’avis de Najib Akesbi, économiste, auteur d’un nouvel ouvrage économique intitulé «Maroc : une économie sous plafond de verre. Des origines à la crise Covid-19».

 

Propos recueillis par M. Diao

Finances News Hebdo : Vous avez publié récemment un nouvel ouvrage intitulé «Maroc : une économie sous plafond de verre. Des origines à la crise Covid-19». Quels sont les éléments tangibles qui vous amènent au constat selon lequel le Maroc a une économie sous plafond de verre ?

Najib Akesbi : Plusieurs indicateurs montrent que le Maroc a une économie sous plafond de verre. Je démontre cela dans l’ouvrage à travers des chiffres et des statistiques qui couvrent une longue période, entre 20 et 40 ans. Cette méthodologie permet de livrer une analyse qui ne tient pas compte uniquement de la conjoncture. La croissance faible et volatile, les indicateurs humains et les données liées à la pauvreté sont autant d’éléments qui confortent l’intitulé de l’ouvrage. Je suis assez fier d’avoir utilisé les récents résultats de la première enquête du HCP portant sur les revenus et qui m’ont permis de démontrer, dans le livre, l’ampleur et l’accroissement des inégalités au Maroc. Nous nous sommes basés sur les indicateurs du commerce extérieur afin de prouver les effets contreproductifs de l’ouverture que l’économie nationale subit. Les déficits commerciaux sont de plus en plus abyssaux. L’endettement public s’alourdit. Le Maroc a fini par bâtir une économie d’importation au cours des dernières décennies.

Le sujet du financement appuie la thèse d’une économie sous plafond de verre, et donc dans l’incapacité d’opérer le saut qualitatif ouvrant la voie à l’émergence. L’économie nationale est toujours incapable de générer des moyens de financement sains. Le constat qui précède, a été une invitation à la réflexion portant sur le pourquoi du comment. En effet, nous avons fait le choix sur les cinquante dernières années de l’intégration à l’économie mondiale et celui de la construction d’une économie de marché, en pariant sur le secteur privé comme moteur du développement. Au regard d’une trajectoire de plusieurs décennies et de l’analyse de bon nombre de résultats, consacrée aux deux derniers chapitres du livre, l’on se rend compte que les choix opérés ont été mauvais et infructueux. J’étais soucieux, lors de la rédaction de l’ouvrage, de revenir à l’origine des situations et d’apporter un éclairage afin d’édifier au mieux les journalistes, les chercheurs et les étudiants sur les échecs de plusieurs paris économiques. La conclusion de l’ouvrage, faite sur 30 pages, aborde l’articulation entre le politique et l’économie. Nous nous sommes attelés à expliquer comment au Maroc la gouvernance est devenue un obstacle à l’émergence. Malheureusement, ceux qui revendiquent la stature d’entrepreneur ou de capitaine d’industrie ne sont pas en réalité ce qu’ils prétendent être. J’ai essayé de puiser dans la sociologie politique des éléments de compréhension de la relation contreproductive entre l’Etat et l’élite économique.

 

F.N.H. : Selon les derniers chiffres du HCP, le Maroc a enregistré un taux moyen d’inflation de 5,5% durant la période janvier-juillet 2022. Que pensez-vous des poussées inflationnistes enregistrées ces derniers mois ?

N. A. : Il est clair que l’inflation enregistrée au Maroc provient de la hausse des coûts, en bonne partie, importée. Toujours est-il que les poussées inflationnistes enregistrées au Maroc sont le tribut d’une ouverture économique mal maîtrisée. Nous avons bâti sur plusieurs années une économie d’importation, avec un taux de pénétration élevé, supérieur à 40%. Cette donne fait que l’impact de la hausse des prix sur le marché international est plus perceptible sur l’économie nationale. Ceci dit, le secteur des hydrocarbures est édifiant. Par exemple, l’on constate actuellement sur le marché international que les variations à la hausse ou à la baisse des prix du pétrole brut sont plutôt faibles. Le prix du baril est inférieur à 100 dollars, et pourtant ceux du litre d’essence ou de gazoil dans les stations-service continuent toujours d’être anormalement élevés. Le dernier rapport du Conseil de la concurrence portant sur le secteur des hydrocarbures peut être assimilé à une forme de reconnaissance officielle de l’existence de lobbies et de groupes d’intérêt qui contrôlent le secteur via l’entente pour la fixation des prix, lesquels sont totalement décolérés de la réalité des cours internationaux. D’ailleurs, le Conseil de la concurrence a mentionné l’exemple de 2020.

Une année marquée par la forte baisse des cours mondiaux des produits pétroliers que les groupes pétroliers ont peu répercutée sur le marché national, notamment sur les prix à la pompe. Cette pratique a aidé les acteurs concernés à dégager des marges considérables, voire scandaleuses. Les exemples peuvent être multipliés dans d’autres secteurs (agroalimentaire, industrie, etc.) qui comptent aussi des groupes d’intérêt et des lobbies. Ces derniers profitent souvent d’une impulsion inflationniste externe pour fixer des niveaux de prix reflétant davantage des phénomènes d’entente d’opérateurs et de domination du marché que la hausse des prix à l’international. Aujourd’hui, le tourbillon inflationniste qui existe est lié davantage aux dysfonctionnements de l’économie de marché qu’à autre chose. La libéralisation n’a pas tenu ses promesses au Maroc. Elle était censée instaurer la multiplicité des acteurs, garantir la concurrence et tirer les prix à la baisse. Aujourd’hui, c’est le contraire qui se produit avec la hausse généralisée des prix. Nous n’avons une économie de marché que de nom, car les ressorts de celui-ci sont inexistants.

 

F.N.H. : BAM a décidé de resserrer sa politique monétaire en augmentant le taux directeur de 50 points de base dans l’optique de tempérer les poussées inflationnistes. Selon vous, cette décision est-elle opportune au regard de la situation économique qui prévaut ?

N. A. : Dans le meilleur des cas, la mesure dont vous faites allusion est un coup d’épée dans l’eau. Au pire des cas, celle-ci sera préjudiciable aux TPME. La hausse du taux directeur est d’autant plus inopportune que l’économie marocaine n’est pas en surchauffe. Bien au contraire, celle-ci devrait enregistrer un faible taux de croissance qui risque d’être inférieur à 1% du PIB en 2022. Concrètement, l’économie nationale affiche tous les signes d’une situation de stagflation, laquelle se caractérise par un taux d’inflation élevé, couplé à une croissance molle, en ralentissement. Dans le schéma classique, une Banque centrale utilise la hausse des taux afin de refroidir l’économie en surchauffe. Dans le cas de figure actuel où l’économie nationale est déjà froide, est-il recommandable de la refroidir davantage par le truchement de la politique monétaire ?

A l’évidence, la réponse est non. Je pense que BAM se trompe de diagnostic et prend une décision inappropriée pour régler le problème. Comme précisé plus haut, dans le meilleur des cas, la hausse du taux directeur est un coup d’épée dans l’eau, car les mécanismes de transmission de la hausse ou de la baisse des taux d’intérêt entre BAM et les banques ne fonctionnement pas comme il se doit. Il est peu plausible que les banques répercutent la hausse du taux directeur, puisqu’elles ne sont pas assaillies de demandes de crédit. Dans le cas de figure d’une répercussion de la hausse du taux directeur, il est clair que ce sont les TPME déjà fragilisées par le contexte économique défavorable, qui feront les frais du renchérissement du crédit bancaire. Pour leur part, les grandes entreprises ont l’assise financière leur permettant de négocier leurs taux de crédit bancaire. En fin de compte, BAM est engluée dans la logique de la doxa financière internationale. A partir du moment où la FED et la BCE ont décidé d’augmenter leurs taux d’intérêt, nous avons l’impression que BAM s’est sentie obligée d’adopter par mimétisme les mêmes décisions, alors que la réalité économique du Maroc est totalement différente.

 

F.N.H. : Le haut-commissariat au Plan (HCP) a révélé récemment dans une note qu'environ 3,2 millions de personnes supplémentaires ont basculé dans la pauvreté (1,15 million) ou dans la vulnérabilité (2,05 millions) sous les effets combinés de la crise sanitaire liée au covid19 et de l'inflation. Que pensezvous de ces nouveaux chiffres ?

N. A. : Cette étude du HCP est d’autant plus intéressante qu’elle montre que l’impact de l’inflation entre janvier et juillet 2022 a été plus fort sur la détérioration de la pauvreté et de la vulnérabilité (autour de 55%) que celui des effets de la Covid-19 (45%). Ces chiffres confortent l’accélération de la dégradation du niveau de vie de la population. L’autre intérêt de la nouvelle publication du HCP tient au fait que celle-ci mesure à la fois la baisse du niveau de vie, l’aggravation des inégalités et l’accroissement de la pauvreté et de la vulnérabilité. Il ressort entre autres du document du HCP que le monde rural a subi davantage la baisse du niveau de vie que le milieu urbain. A cela, il faudrait ajouter que le quintile inférieur, c’est-à-dire les 20% de la population ayant les revenus les plus faibles ont subi une baisse plus forte du niveau de vie et du pouvoir d’achat que les 20% possédant les revenus les plus élevés. En clair, les quelques progrès réalisés au cours des dernières années, notamment depuis 2014, ont été gommés par le basculement de 3,2 millions de personnes supplémentaires dans la pauvreté ou dans la vulnérabilité. Ce qui signifie quelque part un retour en arrière sur le front social. Au-delà du constat, il est urgent d’aller au fond des choses afin de comprendre pourquoi l’inflation dégrade à ce point le niveau de vie de la population. D’où la nécessité d’organiser des débats publics à même de faciliter la compréhension de l’origine du problème. En définitive, plusieurs actions prouvent que le gouvernement est plus attentif aux doléances du patronat qu’aux préoccupations du consommateur. L’exécutif est insensible et passif depuis des mois face à la hausse des prix des carburants. Or, tout le monde sait que l’inexistence d’une structure de raffinage, notamment la Samir, contribue à la cherté du litre de carburant (autour de 3 à 4 DH de plus). Nous avons affaire à un gouvernement du patronat. Ce dernier a le plus bénéficié des mesures prises dans le cadre de la LF 2022. 

 

 

 

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