Discipline budgétaire: un jeu d’équilibriste complexe pour le gouvernement

Discipline budgétaire: un jeu d’équilibriste complexe pour le gouvernement

Le déficit du compte courant devrait s’aggraver en 2021 sur fond de crise ukrainienne.

La hausse des prix des matières premières pourrait coûter au Maroc entre 1% et 2% du revenu national cette année.

Malgré une explosion de la charge de compensation, le déficit budgétaire devrait évoluer en ligne avec les prévisions de la Loi de Finances, selon la Banque centrale.

 

Y. Seddik

Décidément, le début d'année est sans répit pour le gouvernement qui doit gérer plusieurs dossiers à haut risque. Avec des ressources financières limitées et accusant un important déficit budgétaire, le Royaume doit faire face à la fois à la flambée des prix des matières premières et à la sècheresse. Un véritable casse-tête.

L’État, qui place la préservation du pouvoir d'achat des citoyens à la tête des orientations de la Loi de Finances en 2022, a en effet consacré une enveloppe de 16 milliards de DH pour garantir la stabilité des prix  des produits subventionnés (gaz, sucre et farine de blé tendre) à travers la Caisse de compensation. Mais force est de constater que cette dotation est loin d'être suffisante pour amortir le choc de la hausse des prix. Sur le seul mois de février, la charge de compensation a augmenté de 80%.

Pour rappel, le Budget 2022 a été préparé sur la base des hypothèses d'une récolte céréalière de 80 millions de quintaux et d'un prix moyen du gaz butane de 450 dollars/tonne. Aujourd'hui, la tonne du gaz butane s'échange à 856 dollars, renchérie par la guerre en Ukraine. D'ailleurs, le Maroc figure parmi les pays africains les plus exposés à la crise actuelle. Lui qui importe plus de 90% de son énergie et la moitié de ses besoins en céréales.

«Le Maroc est la grande économie africaine la plus susceptible de subir un choc négatif important de la guerre en Ukraine», a alerté Policy Center for the New South. Les raisons avancées : les importations marocaines de pétrole, de gaz et de charbon équivalaient à 6,4% du PIB en 2019, soit environ le double des parts de l'Égypte et de l'Afrique du Sud. Plus encore, le Maroc est également un gros importateur de céréales. Le coût des céréales importées en pourcentage du PIB était de 1,4% en 2019. Actuellement, en raison de la mauvaise récolte attendue en 2022, les importations pourraient être 50% plus importantes, soit trois fois plus importantes que les importations de 2021. En somme, «cela signifie que l'effet combiné de la hausse des prix du pétrole et des céréales, s'il se prolonge, pourrait coûter au Maroc entre 1% et 2% du revenu national cette année».

Sous l’effet essentiellement de la flambée des cours des matières premières, Bank Al-Maghrib estime que «le déficit du compte courant se creuserait à 5,5% du PIB en 2022 (vs une prévision de 2,5% en décembre dernier  : ndlr) après 2,6% en 2021, avant de revenir à 3,7% en 2023. Les importations progresseraient en effet de 14,9% en 2022, en lien avec l’alourdissement de la facture énergétique et l’augmentation des acquisitions des produits agricoles et alimentaires et des biens de consommation»

Outre l'impact sur la balance extérieure du Maroc, la flambée des prix du pétrole et des denrées alimentaires s'ajoutera au déficit budgétaire déjà élevé, estimé à 6,5% du PIB cette année, pense le think tank. Toutefois, pour Bank Al-Maghrib, «en dépit de l’accroissement important des dépenses de compensation du gaz butane et du blé, le déficit budgétaire devrait quasiment se stabiliser à 6,3% du PIB en 2022, en ligne avec la Loi de Finances, à la faveur d’une mobilisation exceptionnelle des ressources à travers notamment les mécanismes de financement spécifiques et les recettes de monopole».

Comment financer la rallonge budgétaire annoncée ?

Pour atténuer les effets des crises sur les citoyens dont le pouvoir d'achat est laminé et éviter la naissance d’une grogne populaire, le gouvernement, par la voix de son ministre du Budget, Fouzi Lekjaa, a annoncé devoir mobiliser  15 milliards de DH, dont 2 milliards de DH destinés au secteur du tourisme. Ceci sans prendre en compte la subvention dédiée aux professionnels du transport.

Lekjaa, qui veut à tout prix conserver les équilibres macroéconomiques, ne veut ni réduire l’investissement (bien que permis par la loi), ni aller vers une Loi de Finances rectificative. Comment compte-t-il donc financer ce trou additionnel dans le budget, dont le déficit pour 2022 devrait dépasser les 72 milliards de DH ?

Traditionnellement, l’État a une palette de possibilités pour financer son déficit budgétaire. Les plus classiques étant le recours au marché de la dette domestique ou international. La deuxième option est aujourd’hui peu indiquée puisque les conditions sur le marché international sont devenues plus corsées. On note que sur le marché intérieur, le Trésor a déjà levé 42 milliards de DH à fin février. Il y a également les recettes des monopole et participations étatiques ou encore le recours au mécanisme des financements innovants, essentiellement via une monétisation des actifs de l’État qui peuvent valoir des dizaines de milliards de dirhams. Rappelons qu’à travers ce mécanisme, 12 milliards de DH seront levés pour contribuer au budget général 2022.

Lors de la conférence post-Conseil de Bank Al-Maghrib tenue mardi, Abdellatif Jouahri, le wali, a apporté quelques précisions sur comment le gouvernement va financer son programme de soutien des prix des produits de base. «Du côté des recettes, deux éléments jouent de façon importante eu faveur du gouvernement. Il y a d’abord les financements innovants qui étaient de 12 milliards de DH dans la LF 2022. Ils seront portés à 20 milliards de DH, soit 8 milliards de DH de recettes supplémentaires. Parallèlement, au titre des monopoles, le ministère a ajouté 4 milliards de DH (aux 13 milliards de DH de recettes déjà budgétisées : ndlr) notamment à travers l’OCP. Ces deux éléments lui permettront d’agir au niveau de la compensation et de faire face à sa politique de soutien», indique-t-il.

Par conséquent, il estime «qu’il n’a pas besoin de Loi de Finances rectificative. Ce sont d’ailleurs les éléments qui ont été apportés au Conseil de BAM pour son appréciation du déficit public»En définitive, avec une marge de manœuvre limitée, le gouvernement est tiraillé entre les impératifs de discipline budgétaire et une volonté de réduire les effets de l’envolée des prix des matières premières sur les citoyens. Un jeu d'équilibriste complexe.

 

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