Dépréciations monétaires : à la recherche de la demande perdue !

Dépréciations monétaires : à la recherche de la demande perdue !

lahrichi nezha

Les leçons de l’Histoire sont utiles mais ont leurs limites. Pour de nombreux économistes, la grande dépression des années 30 s’est produite parce que les Banques centrales n’avaient pas fait leur travail, autrement dit intervenir pour sauver les banques en difficulté et empêcher une restriction monétaire.

Les politiques dites non conventionnelles en l’occurrence la planche à billets, ont produit des effets pervers parce qu’elles ne sont pas la réponse adéquate au déficit de la demande, en berne depuis que la crise a remis en cause l’endettement comme modalité du maintien de la demande. Le monde vit une course aux dépréciations monétaires; une monnaie faible stimule les exportations et donc le PIB, sauf que tous les pays ne peuvent pas avoir une monnaie faible en même temps, l’affaiblissement de l’une se traduisant par le renchérissement d’une autre. En panne de croissance, les pays émergents ne sont plus, en tant que débouchés, catalyseurs de la demande. En dévaluant sa monnaie, la Chine a semé le doute sur le redressement de l’économie mondiale et nourri la menace d’une exacerbation de la guerre des monnaies. Comment interpréter la dévaluation du Yuan ? La Chine a adopté en 2005 le régime de flottement contrôlé de sa monnaie, avec une fourchette élargie de 1 à 2% en 2014; mais le cours central s’est éloigné du cours de marché à cause du ralen-tissement de l’économie chinoise. S’agit-il alors de l’usage d’un instrument de politique économique comme réponse au marasme chinois, ou d’une initiative qui s’inscrit dans une stratégie de contestation de la suprématie du Dollar ? 1- La croissance chinoise n’est plus que de 3 à 4%, selon de nombreux experts, malgré les politiques de relance, à travers notamment de gigantesques plans d’investissements publics, d’où la dévaluation pour relancer les exportations; et ce dans un contexte marqué par une série de dépréciations monétaires des pays concurrents de la Chine et inaugurées par la décision du Japon, déjà début 2013, de dévaluer le Yen. A cela, il faut ajouter des chan-gements déterminants pour l’évolution de la balance des paiements chinoise, soit la forte augmentation des dépenses touristiques et les sorties de dividendes impliquant une réduc-tion de l’excédent des paiements courants et des réserves en devises, qui restent toutefois conséquentes : autour de 3.000 milliards de dollars ! 2- La dévaluation du Yuan a réactivé les débats sur la remise en cause du statut privilégié du Dollar. La Chine, 2ème puissance mondiale, souhaite voir sa monnaie jouer un plus grand rôle dans le système monétaire et financier international, la domination d’une monnaie étant historiquement liée au leadership économique du pays qui l’émet. Plusieurs dispositions ont été prises pour stimuler l’usage du Yuan à l’international : règlement des échanges commer-ciaux bilatéraux en Asie et en Amérique latine, accords d’échange de devises (Swaps) avec plusieurs Banques centrales (Europe, Japon, Angleterre notamment), création d’un marché obligataire à Hong Kong, émission de titres en yuans par les banques de Hong Kong sont un premier pas vers la création d’un marché pour la monnaie chinoise offrant des opportunités d’investissement, condition nécessaire à toute velléité d’internationalisation d’une monnaie. Celle-ci constitue un saut considérable qui suppose convertibilité et libre circulation des capitaux pour remplir toutes les fonctions d’une devise internationale : monnaie de règlement des transactions commerciales et monnaie de réserve. Ces conditions ne sont pas encore remplies, l’ouverture du compte capital étant liée au développement des marchés financiers. En attendant ces évolutions, une moindre dépendance vis-à-vis du Dollar est souhaitée, à travers l’introduction de nouvelles monnaies dans le panier des Droits de tirage spéciaux (DTS), super monnaie du FMI, créée en 1970 dans la perspective de la réforme du système monétaire international, mais tombée dans l’oubli. Ces deux lectures ne sont pas exclusives l’une de l’autre, tout dépend de l’horizon temporel. La Chine cherche à réorienter sa croissance vers son marché intérieur, ce qui est étroite-ment lié à la question monétaire. En effet, il a été reproché à la Chine la manipulation de sa monnaie, dans le sens d’une sous-évaluation, pour développer ses exportations, impliquant des pressions pour une appréciation progressive du Yuan. Celle-ci a été lancée en 2005, suspendue pendant la crise entre 2008 et 2010 et reprise en 2010. Cette appréciation sert l’objectif d’un rééquilibrage de sa croissance dans la mesure où une monnaie forte est un rempart contre l’inflation, mais ce n’est pas un mécanisme suffisant. La hausse des salaires (14% en moyenne par an depuis près de deux décennies) complète le dispositif du dévelop-pement du marché intérieur. La réaction de la Chine pour relancer sa croissance à travers le Yuan ne signifie pas le retour à un modèle de croissance extraverti insuffisant pour servir son ambition de faire jouer à sa monnaie un rôle international. Au-delà des conditions essen-tielles susmentionnées pour acquérir le statut de monnaie de réserve, la Chine accumule des stocks d’or physique à travers sa propre production, de l’ordre de 400 tonnes par an et ses importations de près de 1.000 tonnes par an. A ce propos, un rappel historique prend toute sa signification : en 1945, les accords de Bretton Woods avaient fixé le cours du Dollar par rapport au métal jaune (35 dollars l’once), mais n’avaient pas imposé sa convertibilité en or. C’est par une décision unilatérale, en 1948, que les Etats-Unis ont annoncé la convertibilité du Dollar en or pour consacrer son attractivité. La suite est connue, une offre abondante de dollars qui a amené certains pays, la France en l’occurrence, à demander la convertibilité de ses réserves de dollars en or. Ne disposant pas de stocks d’or équivalents aux dollars émis, les Etats-Unis ont, en 1971, suspendu cette convertibilité et mis fin aux taux de change fixes des monnaies par rapport au Dollar, impliquant ainsi leur flottement. Mais le Yuan n’est pas le seul candidat à remettre en cause l’hégémonie du Dollar. L’Euro dispose d’un certain nombre d’atouts : poids économique et commercial de la zone euro, diversification des avoirs en devises de plusieurs Banques centrales. Ce qui est essentiel à une telle perspective, c’est le développement d’un marché des capitaux européen, avec des euro bonds en mesure d’inspirer la confiance qui caractérise le marché financier américain. Mais, surtout, ce qui est prioritaire en attendant l’approfondissement de la construction euro-péenne, c’est de pallier le manque de croissance dans la zone euro. Cet objectif s’est traduit par un assouplissement de la politique monétaire de la BCE et une dépréciation de l’Euro, à l’instar des politiques menées par les Etats-Unis, qui ont maintenu le Dollar à un niveau favo-risant la compétitivité américaine. Est-ce la généralisation du modèle extraverti qui porte sous ses plis l’introuvable moteur pérenne de la demande ? Il s’agit de l’augmentation des revenus, moteur et carburant d’une croissance durable ! À la 1ère crise de la globalisation financière, la réponse n’a été que financière et pas encore économique : les politiques d’austérité ne sont certainement pas la réponse. Cependant, une question reste en suspens : quel est le seuil de hausse du Dollar qui sera toléré par les Etats-Unis ? Même si on s’inscrit dans une stratégie coopérative américano-européenne de résolution de la crise ! Le Maroc n’échappe pas à ce diagnostic; sinon, comment expliquer les fragilités structu-relles de notre économie qui empêchent la politique monétaire de jouer son rôle de canal de transmission des actions entreprises par la Banque centrale. Concernant le taux de change, le Maroc a opté pour un rattachement plurimonétaire du Dirham, avec le souci de minimiser l’incidence des changements de parité. Le nouveau réaménagement du panier des devises, 60% pour l’Euro et 40% pour le Dollar, permet d’atténuer la volatilité du Dirham. La dépré-ciation de l’Euro, et donc l’appréciation du Dirham porte atteinte à la compétitivité de nos produits et services, même si l’effet de l’appréciation du Dollar est en mesure de compenser, dans une certaine mesure, les moins-values en termes de rentrées de devises. En outre, le Maroc a adopté le paiement en yuans des transactions commerciales avec la Chine, et s’est engagé à promouvoir le Yuan comme devise de référence dans les échanges sino-africains. En contrepartie, la Chine va favoriser l’utilisation de produits et services libellés en yuans. En définitive, face à la réduction des marges de manoeuvre de la politique budgétaire, les objectifs de la politique monétaire deviennent centraux et soulèvent des questions qui doivent transparaître dans les débats politiques. Les questions monétaires et financières ne sont pas l’apanage des seuls experts, mais concernent tous les citoyens impactés, sans s’émouvoir et susciter leurs réactions.

Nezha Lahrichi

Economiste et ex PDG de la SMAEX et du Conseil National du Commerce Extérieur

L’Actu en continu

Hors-séries & Spéciaux