Sur le front de la lutte contre le chômage endémique des jeunes et en milieu urbain, du chemin reste à faire. Au Maroc, la croissance économique, qui se singularise par son irrégularité, affiche une faible propension à créer des emplois, sachant que chaque année des centaines de milliers de nouveaux postulants arrivent sur le marché du travail.
“La croissance au Maroc n’est pas suffisamment pourvoyeuse d’emplois. Pour cause, celle-ci est essentiellement tirée par l’investissement public, qui génère peu de postes de travail». Ce constat édifiant, qui reflète partiellement la structuration de l’économie nationale, émane de Mohamed Boussaïd, argentier du Royaume, lors de sa sortie médiatique au Forum de l’Agence marocaine de presse (MAP). L’argumentaire du ministre de l’Economie et des Finances a été étayé par un exemple particulièrement didactique. «Un parc éolien peut mobiliser plusieurs millions de dirhams issus de l’investissement public, et pourtant, son entretien nécessite peu de personnes embauchées», ajoute-t-il dans la foulée. Contacté par nos soins, Azeddine Akesbi, économiste et professeur, a concédé qu’il souscrit parfaitement aux déclarations de Mohamed Boussaïd, avant d’ajouter: «Au Maroc, la croissance économique, qui brille par son irrégularité, demeure faible. Par point de PIB, celle-ci ne génère que 28.000 postes de travail», poursuit-il. Cette assertion est corroborée par le fait que la variation du taux de croissance peut passer du simple au double en l’espace d’une année. A ce stade, il est utile de rappeler qu’entre 150.000 et 160.000 nouveaux demandeurs d’emplois arrivent chaque année sur le marché du travail. L’une des conséquences fâcheuses de la faible propension de la croissance à créer des emplois est le chômage endémique au niveau urbain, avec un taux chômage qui culmine à 15,1% (troisième trimestre 2015). Les jeunes citadins constituent le ventre mou du marché du travail, notamment la tranche d’âge 24-35 ans, qui a enregistré un taux de chômage de 22,6% au troisième trimestre 2015. Rappelons tout de même que le taux de chômage à l’échelle nationale tournait autour de 10,1% pour la même période. Ce qui marque une aggravation par rapport à un an auparavant.
Des pertes d’emplois à la pelle
Si l’investissement public constitue la force motrice de la croissance, force est de constater qu’il constitue une variable d’ajustement par excellence. En période de vaches maigres (baisse des ressources publiques, déficit budgétaire proéminent, etc.), les autorités publiques n’hésitent pas à opérer des coupes dans les dépenses d’investissement. A l’évidence, une telle situation est susceptible d’impacter négativement le marché de l’emploi. Outre ce rappel, la récente étude du haut-commissariat au Plan (HCP) portant sur le rendement de l’investissement au Maroc donne une radiographie complète des branches destructrices de postes de travail, et ce en dépit des efforts d’investissement consentis. En effet, avec un taux d’investissement annuel moyen de 29,3% (entre 1998 et 2014), le secteur de l’industrie censé générer des postes de travail stables, a perdu près de 16.500 emplois par an entre 2008 et 2014. Même son de cloche pour le secteur agricole, qui a vu son taux d’investissement fléchir pour s’afficher à 7,3% entre 1998 et 2014. En effet, ce secteur primaire a perdu près de 23.900 emplois en moyenne annuelle au cours de la période 2008-2014. Au regard de ces quelques chiffres-clefs auxquels s’ajoutent d’autres paramètres (inadéquation entre marché du travail et formation, manque de qualification des jeunes, etc.), il est assez aisé de comprendre pourquoi la problématique du chômage se pose avec acuité au Maroc. Toutefois, il est judicieux de préciser que la branche des services, qui a enregistré le taux d’investissement moyen annuel le plus élevé entre 1998 et 2014 (45,6%), (voir page 25) a, quelque part, compensé les pertes d’emplois des secteurs précités par la création de près de 84.500 emplois en moyenne annuelle au cours de la période 1999-2014. Au-delà de ces données, Larabi Jaïdi, économiste et professeur, attire l’attention sur la qualité des emplois créés par la branche des services, gangrénée par l’informel, l’absence de protection sociale et les faibles revenus. En définitive, favoriser une croissance économique à même de créer suffisamment de postes de travail implique nécessairement une amélioration constante de la politique économique du pays, laquelle accorde une place de choix aux différentes stratégies sectorielles.
La situation risque de s’empirer
Pour l’année 2016, qui démarre sous de mauvais auspices, avec une faible pluviométrie, Larabi Jaïdi, qui a accordé récemment un entretien à F.N.H, tire la sonnette d’alarme sur les écueils susceptibles de détériorer le marché de l’emploi. «Pour cette année, la situation du marché du travail risque de pâtir de la croissance molle», prévient-t-il. Cela dit, nombreux sont les experts qui font le parallèle entre les dysfonctionnements du marché de l’emploi et le profil de la croissance du pays, largement tributaire du secteur agricole, sujet aux aléas climatiques. Ce qui remet légitimement en selle le sempiternel débat portant sur l’impératif de revisiter le modèle économique du pays.
Momar Diao