◆ Interdiction et/ou limitation des importations, surtaxation douanière, préférence nationale…, sont autant d’outils brandis aujourd’hui comme moyen pour protéger les entreprises nationales.
◆ Des entreprises fragilisées qui ont besoin, plus que jamais, d’un Etat protecteur.
Par D. William
La crise économique induite par la pandémie du coronavirus a fait changer bien des dogmes. Pour faire face valablement aux répercussions de cette crise inédite, partout les gouvernants ont fait un franc bras d’honneur à l’orthodoxie budgétaire, alors que naissent, parallèlement, des discours protectionnistes frisant un nationalisme presque populiste, et qui ont un écho favorable auprès de l’opinion publique.
Il se produit ce qui était inimaginable il y a juste deux mois : c’est désormais du «Mon pays first», ce que l’on reprochait avec véhémence à un certain Donald Trump à une certaine époque, à cause de son slogan «America first». L’on a ainsi pu remarquer, en pleine crise, les dispositions prises par plusieurs Etats pour restreindre, voire interdire l’exportation de plusieurs médicaments et appareils médicaux, privilégiant ainsi l’approvisionnement interne d’abord.
La Banque mondiale s’en était alarmée, estimant que «les mesures de restriction imposées par les pays exportateurs réduisent l'offre mondiale, entraînant une hausse des prix. Ce qui provoque la mise en place de nouvelles restrictions à l'exportation pour protéger les marchés intérieurs, générant un «effet multiplicateur» sur les prix mondiaux».
Mais le protectionnisme, qui apparaissait comme une incongruité dans l’univers multidimensionnel de la mondialisation, semble désormais devenir un levier incontournable à activer dans le cadre des plans de relance économique. Le Maroc n’échappe pas à ce «phénomène» qui a une portée mondiale. Et ce discours est d’autant plus accentué ici que le tissu économique est constitué à 95% de petites et moyennes entreprises qui ont été très sérieusement secouées par la crise.
Rappelons, à ce titre, que de l’enquête réalisée par la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), il ressort que 63% des entreprises questionnées ont demandé au moins un report d’échéance (bancaire, fiscale, sociale), tandis que 23% des répondants ont demandé 3 reports en même temps. De même, les entreprises sondées craignent également la perte de près de 56% de leurs effectifs. El les propos tenus la semaine dernière par Amine Baakili, président du Conseil national de l'Ordre des experts-comptables (CNOEC), lors d’un webinaire, sont sans équivoque. «Il faut se préparer durant les mois à venir à une vague sans précédent de défaillances des entreprises (…) De nombreuses entreprises auront du mal à reprendre leurs activités», a-t-il fait savoir.
Cette situation particulière impose, de fait, d’instaurer un environnement des affaires beaucoup plus favorable aux entreprises locales, à travers des mesures étatiques fortes. D’ailleurs, les 25 plans de relance soumis par les fédérations professionnelles à la CGEM, ont pour la plupart ceci de commun qu’ils contiennent différentes mesures de protection des entreprises et de l’industrie locale.
Ainsi, l’Association marocaine des industries du textile et de l'habillement (Amith) demande, entre autres, d’accélérer le traitement des requêtes de défense commerciale déposées auprès des services du ministère de l'Industrie, de relever le droit de douane commun à l'importation sur les produits finis textile (habillement, textile d'ameublement, tapis et couvertures) à 40% ou encore de durcir les barrières non tarifaires à l’importation des produits finis textile au Maroc (normes, étiquetage ... ).
Quant à la Fédération de l’automobile, on demande aux constructeurs automobiles de s’approvisionner en pièces de rechange «Made in Morocco», à la Fédération du commerce et des services, on veut la règle de «préférence nationale» dans tous les marchés publics. Même son de cloche au niveau de la Fédération des industries du cuir qui souhaite une limitation significative des importations de cuir destiné à la fabrication de produits pour le marché local en instaurant des licences d’importation. Interdiction et/ou limitation des importations, surtaxation douanière, préférence nationale…, sont autant d’outils brandis aujourd’hui comme moyens de desserrer l’étau autour des entreprises marocaines.
La bonne méthode ?
Ce regain de protectionnisme estil cependant la bonne méthode pour relancer l’économie ? Dans ce contexte de crise inédite, les avis des observateurs semblent converger, comme le montre la teneur des interviews qu’ils nous ont accordées (www.fnh.ma). Pour Rachid Achachi, enseignant en Sciences de gestion et Docteur en sciences économiques de l’Université Ibn Tofail de Kénitra, «une politique de relance a des prérequis.
Parmi ces derniers, figure un degré minimum de protectionnisme afin d’éviter que les dépenses publiques n’aillent financer les PIB d’autres pays par le canal des importations». Dans un contexte où, ailleurs, les mesures protectionnistes prises par les pays partenaires impacteront les exportations du Maroc, il s’agira, selon l’économiste et ancien ministre, Abdeslam Seddiki, «de faire de cette crise une opportunité pour donner la priorité au marché local, à notre production nationale, en favorisant le «made in Morocco» et en apprenant à vivre essentiellement en fonction de nos moyens».
«Le patriotisme économique, la cohésion et la solidarité sociales doivent être les piliers de cette phase de reprise et de relance économique. Une relance conditionnée par la capacité de nos unités de production à fournir une offre suffisante en quantité et respectueuse des attentes des consommateurs en qualité-prix. C’est l’occasion de réconcilier les Marocaines et Marocains avec la production de biens et services de leur patrie», renchérit, de son côté, Abdellatif Mazouz, ancien ministre, expert en stratégies de développement et président de l’Alliance des économistes istiqlaliens.
Clairement, l’Etat devra changer de fusil d’épaule dans sa politique économique. Le protectionnisme sera un socle sur lequel il devra s’appuyer pour la rectifier afin qu’elle soit en phase avec les donnes actuelles. Avec cette crise sanitaire, il faudra nécessairement, comme le dit Abdeslam Seddiki, «un Etat fort, stratège, régulateur, mais démocratique».