Zakaria Soukri, directeur Corporate Banking BMCI, revient pour nous sur les fondamentaux du très disputé marché corporate.
Finances News Hebdo : Globalement, comment percevez-vous l'évolution du marché des crédits bancaires en 2023, en particulier face aux défis posés par la hausse des taux et l'inflation ? De manière générale, comment se comporte votre activité de crédit en 2023 dans un contexte marqué par la hausse du taux directeur ? Pouvez-vous nous expliquer les performances sur le segment des entreprises ?
Zakaria Soukri : L’activité de crédit de la BMCI sur le marché des Corporates en 2023 a été impactée par plusieurs évènements exogènes : (i) la hausse des taux d’intérêt et le maintien de l’inflation, (ii) la crise climatique, (iii) un séisme meurtrier. En contrepartie, le Maroc s’est montré en tête d’affiche de grands forums internationaux, comme l’Assemblée générale de la Banque mondiale de Marrakech, mais s’est surtout illustré par son rôle futur dans la dynamique globale des énergies renouvelables, accompagné par une confiance des partenaires et investisseurs étrangers qui voient le Maroc comme un hub de production et un potentiel de croissance. Le Maroc n’a pas eu à conjuguer depuis longtemps avec autant de facteurs dans la même année et se retrouve désormais en face d’une stratégie qui nécessite l’effort collectif, du public, des institutionnels et du secteur privé. Notre rôle de banque finançant l’économie locale et internationale, mais également les grands projets du Royaume, a pris encore plus de sens en 2023, et se renforcera dans les années futures. Si l’on regarde l’impact sur notre activité de crédit de 2023, il y a beaucoup de choses à dire :
• Une année scindée en 2 entre le premier et le second semestre. Durant le 1er semestre 2023, nous avons senti des entreprises timides, attentistes, se restructurant pour faire face à cette situation économique sans précédent, surtout celles exposées en monnaies étrangères.
• Nous avons également perçu de la part de nos clients plusieurs inquiétudes quant au resserrement des conditions d’octroi et tarifaires sur le volet crédit court terme, ce qui n’a pas été notre cas à la vue de notre croissance supérieure à celle du marché bancaire sur cet indicateur.
• Il faut rester réaliste, malgré la hausse des taux, le Maroc a gardé l’un des taux directeurs le plus bas du monde, et c’est un gage de confiance et de résilience envers l’économie. Preuve en est, le Royaume en 2023 a battu le record d’IDE Greenfield, avec plus de 34 milliards de dollars.
• Ce qui nous a marqué positivement, c’est le niveau d’agilité des entreprises qui ont toutefois été capables de faire preuve d’opportunisme commercial quand il le fallait et d’activer le levier prêt au bon moment pour des investissements ou bien l’optimisation de leur cycle d’exploitation.
• Le second semestre, lui, a montré beaucoup plus de dynamisme compte tenu de la normalisation des taux et de l’inflation, et un climat d’affaire propice. Globalement, 2023 fut une très belle année pour le Corporate banking de la BMCI, tant au niveau de notre PNB qu’au niveau de nos encours moyens de crédit. L’origine de cette performance vient d’une meilleure proximité avec nos clients, une stratégie différenciée par segment de clientèle, mais surtout des banquiers experts capables de conseiller nos clients Corporate sur chaque aspect de leur cycle de vie.
F.N.H. : Quelles sont les perspectives de la BMCI concernant la demande de financement dans le contexte des préparatifs pour la CAN 2025 et la Coupe du monde 2030, et comment la banque prévoit-elle d'accompagner les acteurs impliqués dans ces projets d'envergure ?
Z. S. : Tout d’abord, je tiens à souligner que le Maroc a en face de lui plusieurs chantiers, pas seulement la CAN 2025 ou la Coupe du monde 2030. Je reviendrai sur ces 2 échéances plus tard, mais je tiens à mentionner que le volet ESG revêt un caractère plus majeur et préoccupant selon nous, surtout compte tenu des engagements pris par le Royaume en termes de neutralité carbone, ou encore d’élévation sociale de sa population. Sur ce volet, notre accompagnement sera de premier ordre, et constitue la priorité première de notre stratégie. En effet, le Corporate banking de la BMCI a mis en place une roadmap ambitieuse, avec pour objectif de croître 2 fois plus vite nos encours de crédit ESG, que nos crédits classiques. C’est juste primordial pour accompagner la stratégie de transition énergétique et sociale de notre pays. Et sur ce volet, nos clients pourront bénéficier d’accompagnement de proximité, aussi bien en termes d’expertise qu’en termes de solutions de financements alternatives. Pour en revenir aux évènements sportifs, ils sont clairement un driver économique majeur. Toutes les banques auront un rôle à jouer, et chacun aura sa place. Il faut juste s’organiser en conséquence. Il faut garder à l’esprit que le montant de la facture globale nécessaire aux investissements autour de ces 2 évènements, ne pourra pas être financé totalement par le secteur bancaire. Il faudra l’accompagner d’autres mécanismes, notamment en provenance de l’étranger.
L’organisation de ces évènements nécessitera des investissements colossaux en infrastructures (routes, aéroports, ferroviaire, hôtels...), mais également en énergies (eau, électricité via le photovoltaïque ou l’éolien). L’écosystème est donc massif, et il faudra accompagner intelligemment les acteurs inhérents. La bonne nouvelle, c’est que le groupe BNP Paribas est reconnu mondialement pour ses solutions de financement et pionner sur les sujets à impact positif, surtout lorsqu’il s’agit de grands projets. La BMCI compte bien s’appuyer dessus. Vous ne financez pas des trains ou un aéroport, comme vous financez une acquisition d’entreprise. Ce sont des structurations très pointues, devant faire appel à de l’ingénierie financière et combinant à la fois risque de change et risque de taux. Evidemment, ces projets draineront des milliers d’acteurs, aussi bien PME et grandes entreprises qui auront besoin d’accompagnement. Ici aussi, la BMCI viendra soutenir les entreprises via les mécanismes de financements d’équipements, financements immobiliers, la mise en place de ligne de cautions marchés et de solutions d’optimisation du Working capital.
F.N.H. : Pensez-vous que l'année 2024 sera une bonne année pour le secteur et pour BMCI ?
Z. S. : Nous aurions aimé pouvoir prédire l’avenir, mais ces dernières années nous ont montré que cela relève de l’impossible. Beaucoup d’incertitudes et d’imprévus dans le monde. Si l’on se fixe sur le secteur bancaire, nous sommes persuadés que celui-ci sera robuste et connaitra une belle croissance. Il devra néanmoins faire preuve de plus de sélectivité dans le processus d’octroi, ou utiliser des mécanismes de réduction du coût du risque. Celuici risque d’évoluer de façon significative pour certains établissements bancaires, surtout ceux qui sont très exposés à la TPE. Pour la BMCI et son Corporate Banking, l’année 2024 sera une année clé visant à confirmer son élan de croissance connu en 2023. Pour y arriver, nous misons sur notre modèle intégré, qui fait la force de notre Groupe. Clairement, nous choisissons d’investir sur un accompagnement diversifié de toutes les composantes du tissu économique marocain (PME, Mid Cap, multinationales, grandes entreprises et institutionnels). Nous voulons avoir un effet disruptif sur le marché, en privilégiant le développement de solutions à forte valeur ajoutée pour nos clients, et en les accompagnant dans cette transition énergétique et climatique cruciale. Nous devons en 2024 servir de catalyseur pour l’économie marocaine, en accompagnant notamment nos entreprises vers ces échéances très visibles, très exposées, mais qui arrivent à grands pas.