Cliniques privées: une myriade de dysfonctionnements soulevés par le Conseil de la concurrence

Cliniques privées: une myriade de dysfonctionnements soulevés par le Conseil de la concurrence

Ces dysfonctionnements fragilisent le secteur et sont source de concurrence déloyale.

Sur un total de 384 cliniques dénombrées en 2021, 79% sont concentrées dans cinq régions du Royaume.

 

Par M. Ait Ouaanna

Les cliniques privées sont un atout indéniable pour le système national de santé. Le meilleur argument pour le démontrer est la pandémie du Covid-19 durant laquelle ces établissements se sont montrés à la hauteur dans la lutte contre la maladie. Selon la carte sanitaire disponible sur le portail du ministère de la Santé, le Royaume comptait, en 2021, 384 cliniques privées avec une capacité globale de 12.534 lits. Bien que le secteur des cliniques privées offre une contribution essentielle au système marocain de santé, il présente plusieurs lacunes qui affectent sa qualité ainsi que son efficacité.

 

Une disproportion criante

Rendu public en décembre 2022, un avis du Conseil de la concurrence (CC) lève le voile sur les différents dysfonctionnements que connaissent les cliniques privées du pays. Tout d’abord, le document pointe du doigt une répartition géographique inégale et déséquilibrée de ces établissements entre les différentes régions du Royaume. Dans le détail, 79% des cliniques privées et 82% des lits de l’offre en hospitalisation privée sont concentrés dans cinq régions du Royaume. Il s’agit de Casablanca-Settat, Rabat-Salé-Kénitra, Tanger-Tétouan Al-Hoceïma, FèsMeknès et Marrakech-Safi. Au niveau de ces régions, le secteur privé héberge entre 25 et 50% de la capacité litière du territoire. En revanche, les régions du Sud et du Sud-Est demeurent, de leur côté, quasiment dépourvues de ces structures de soins. De plus, le rapport met la lumière sur la sous-capitalisation de la majorité des cliniques privées.

«Le Royaume dispose de cliniques de petite taille et qui sont pour la plupart sous-capitalisées. Pratiquement, 9 cliniques sur 10 ont un capital social inférieur à 10 MDH. 43% des cliniques ont un capital social de moins d’un million de dirhams et 43% ont un capital variant entre 1 et 10 MDH. Ce n’est que dans 13% des cas que le capital est supérieur à 10 MDH, alors qu’il s’agit de structures qui nécessitent de gros investissements», confirme Dr. Tayeb Hamdi, médecin, chercheur en systèmes et politiques de santé et vice-président de la Fédération nationale de la santé.

Outre cela, le Conseil de la concurrence a dévoilé plusieurs autres failles, notamment la persistance de pratiques frauduleuses, la pénurie des ressources humaines, l’absence de cadre juridique dédié aux cliniques privées, en plus de la désuétude des textes législatifs et réglementaires les régissant, puis la maintenance de barrières à l’entrée du marché des soins dispensés par ces établissements.

 

Des problèmes structurels …

Réagissant à ces différents constats, Dr. Tayeb Hamdi relève que «ces irrégularités ne constituent qu’une partie infime du problème des cliniques privées». Soulignant que ces dysfonctionnements amènent à la fragilité du secteur, la multiplication de pratiques illégales, une concurrence déloyale ainsi qu’à l’empoisonnement de la relation entre le système de santé et le patient, le praticien explique que plusieurs problèmes structurels sont à l’origine de cette situation. Dans ce sens, il cite une insuffisance de la capacité litière. «60% des cliniques privées du Royaume ont moins de 30 lits, avec une moyenne de 19 lits par clinique. 35% des cliniques ont entre 30 et 99 lits avec une moyenne de 45 lits et 5% seulement des cliniques au Maroc ont plus de 100 lits et la moyenne est de 167 lits par clinique. En résumé, 95% des cliniques ont moins de 100 lits».

Et de noter que le pays compte moins de 400 cliniques, dont une grande partie est composée de cliniques à but non lucratif, notamment les cliniques du croissant rouge ainsi que les polycliniques de la CNSS. Dans le même ordre d’idées, Tayeb Hamdi précise que «les cliniques privées marocaines offrent le tiers de la capacité litière existant dans le pays, alors qu’elles peuvent mieux faire. L’offre hospitalière devrait être plus importante dans le privé et ce n’est pas encore le cas». Concernant la pénurie des professionnels de santé, le praticien souligne que celle-ci représente une barrière à l’investissement, particulièrement au niveau des zones éloignées, notant ainsi que plusieurs cliniques font appel au personnel du secteur public pour combler leur déficit. La révision de la TNR, une urgence ! Un autre problème structurel identifié par Dr. Hamdi est celui de la tarification nationale de référence (TNR).

«La TNR n’a pas été révisée depuis 2006, alors qu’elle devrait être renouvelée tous les 3 ans. Par conséquent, il s’agit d’une tarification caduque et cela pose problème puisque les cliniques facturent leurs prestations au prix du marché actuel, alors que le remboursement des patients se fait sur une base TNR de 2006. Ce sont donc les assurés qui assument le reste à charge, qui est énorme. La révision de la TNR est donc une urgence», insiste-t-il. Par ailleurs, ce chercheur en systèmes et politiques de santé a mis en exergue une série de pratiques illégales, notamment «les accords de captation entre certaines cliniques privées et les transporteurs, les ristournes accordées aux médecins qui envoient leurs patients vers des cliniques privées, les chèques de garantie, les paiements au noir, la surfacturation des soins, la multiplicité des examens imposés au patient, ainsi que les admissions à l’hospitalisation ou en réanimation injustifiées».

Pour éliminer ces anomalies, Tayeb Hamdi estime qu’il est important d’encourager l’investissement. «Pour cela, il faut assainir la situation en révisant tout d’abord la TNR. Un capital privé national ou étranger ne peut pas investir avec une tarification nationale qui date de 2006. En plus, il est indispensable de former plus de professionnels de santé et de réguler la relation entre le privé et le public. Aussi, il faut changer la législation pour combattre les fraudes», insiste-t-il. Dans ce sens, le praticien soulève l'importance de connecter les cliniques aux Caisses d’assurance pour éviter le problème du chèque de garantie. Et de conclure : «Il est également essentiel d’encourager la télémédecine pour démocratiser l’accès aux soins de toutes les couches sociales et des régions éloignées. En outre, il faut instaurer des incitations fiscales, immobilières ou autres, pour pousser les cliniques privées à s’implanter dans des régions sous-médicalisées et mettre en place des institutions dépendant du ministère de la Santé ou d’autres ministères, chargées de la régulation, du suivi et de l’évaluation». 

 

Principales recommandations du Conseil de la concurrence
• Mettre en place de nouvelles modalités d’exercice au sein des cliniques privées.
• Réviser et actualiser la nomenclature générale des actes professionnels et la tarification nationale de référence en tenant compte des coûts réels des prestations des soins.
• Renforcer le contrôle des cliniques privées, notamment à travers le recours à des prestataires agréés.
• Appliquer les dispositions légales afférentes aux règles d’affichage des tarifs des prestations des cliniques privées et prévoir des sanctions dissuasives à l’encontre des contrevenants.
• Imposer une facturation claire et détaillée des soins et des médicaments consommés.
• Développer et améliorer l’offre hospitalière publique dans l’optique d’augmenter la concurrence sur le marché des soins médicaux.
• Instaurer un système national d’information sanitaire basé sur les nouvelles technologies de l’information.

 

 

 

 

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