Congrès de la SMEPS : «Les patients impliqués se sentent plus autonomes et responsables»

Congrès de la SMEPS : «Les patients impliqués se sentent plus autonomes et responsables»

La Société marocaine de l’économie des produits de santé a organisé à Salé son 10ème Congrès national, le 3ème au niveau africain. La place du patient dans les systèmes de santé était au cœur du débat. Entretien avec le Pr Samir Ahid, président de la SMEPS.

 

Propos recueillis par Ibtissam Z.

Finances News Hebdo : Tout d’abord, parleznous de l’apport de la Société marocaine de l’économie des produits de Santé (SMEPS) dans l’écosystème sanitaire ? Et quel bilan en faites-vous depuis sa création ?

Pr Samir Ahid : La Société marocaine de l’économie des produits de santé (SMEPS) a significativement contribué à l'écosystème sanitaire marocain depuis sa création en 2013. En promouvant la formation continue et en organisant des manifestations scientifiques, elle renforce les compétences des professionnels de la santé. La SMEPS coordonne également des recherches en pharmacoéconomie et pharmacoépidémiologie, traitant des questions liées aux politiques de santé, ce qui nous permet de ressortir avec des recommandations basées sur des preuves. Les congrès annuels organisés par la SMEPS abordent des thématiques évolutives, telles que l’évaluation des technologies de santé, l'accès aux médicaments innovants et la couverture sanitaire universelle, reflétant les préoccupations actuelles du secteur de la santé. En établissant des partenariats avec des organismes internationaux, la SMEPS soutient des recherches publiées dans des revues scientifiques reconnues, et apporte des contributions significatives à la science de l'économie de la santé et à l'évaluation des technologies de santé. De cette façon, la SMEPS joue un rôle clé dans l'amélioration de la qualité des soins et l'optimisation des ressources dans le secteur de la santé au Maroc.

 

F.N.H. : Le thème central du 10ème Congrès national a porté sur la place du patient dans les systèmes de santé. Pourquoi ce choix ? Et quelle importance revêt-il ?

Pr S. A. : La SMEPS a choisi, sous l’égide du ministère de la Santé et de la Protection sociale, le thème de la voix du patient pour son 10ème Congrès national et le 3ème Congrès africain de pharmacoépidémiologie et pharmacoéconomie, pour plusieurs raisons essentielles. Traditionnellement, les décisions de santé étaient prises principalement par les professionnels de santé et les décideurs, avec une implication limitée des patients. Mais il y a une reconnaissance croissante de l'importance d'inclure les perspectives des patients pour améliorer l'efficacité et la personnalisation des traitements. L'intégration des patients dans la prise de décision permet de créer des stratégies de soins plus inclusives, améliore l'adhésion aux traitements et enrichit les décisions cliniques grâce aux perspectives uniques des patients. Avec les réformes récentes, comme la généralisation de l'Assurance maladie obligatoire (AMO) et la refonte du système de santé, le Maroc a l'opportunité d'intégrer de nouveaux outils d'aide à la décision favorisant l’implication des patients.

L'objectif du congrès est de créer un dialogue constructif entre les patients, les professionnels de santé, les décideurs et les autres acteurs pour explorer les meilleures pratiques et développer des stratégies qui encouragent une approche de soins plus inclusive. En adaptant les législations et les politiques de santé, la SMEPS vise à formaliser l'engagement des patients par des mécanismes, tels que les conseils consultatifs de patients au sein des établissements de santé. C’est pour cette raison que ce thème est essentiel pour transformer le système de santé marocain en un système plus centré sur le patient. Notre congrès a bénéficié de l’appui et du grand soutien du ministre de la Santé et de la Protection sociale que je remercie, et je remercie également l’ensemble des acteurs du système de santé et les experts nationaux et internationaux.

 

F.N.H. : A quoi peut-on s'attendre en intégrant les patients dans le processus décisionnel et en les impliquant activement dans leurs soins ?

Pr S. A. : Intégrer les patients dans le processus décisionnel et les impliquer activement dans leurs soins offre de nombreux avantages significatifs pour le système de santé. D'abord, cela améliore la qualité des soins en personnalisant les traitements, en prenant en considération les besoins et les préférences des patients, ce qui conduit à une meilleure adhésion aux traitements et à des résultats cliniques optimisés. En favorisant une communication ouverte et continue, l'implication des patients renforce la transparence et la confiance entre les patients et les professionnels de santé, résolvant ainsi les malentendus et augmentant la satisfaction des patients. De plus, en intégrant les patients dans les comités consultatifs et les processus décisionnels, les politiques de santé deviennent plus pertinentes et efficaces, car elles sont élaborées en tenant compte des besoins réels des patients. L'implication des patients dans la recherche clinique permet de développer des traitements plus pertinents et efficaces, améliorant la conception et la mise en œuvre des essais cliniques. Enfin, les patients impliqués se sentent plus autonomes et responsables, ce qui augmente leur engagement et leur satisfaction globale vis-à-vis du système de santé. Cette approche permet également de mieux identifier et répondre aux besoins psychosociaux des patients, offrant un soutien plus complet et holistique. En somme, cette intégration conduit à un système de santé plus centré sur le patient et plus efficace.

 

F.N.H. : Quelles sont, selon vous, les principales lacunes du système de santé actuel en termes de prise en compte de la voix du patient et comment les politiques de santé peuvent-elles évoluer pour soutenir une approche plus centrée sur le patient ?

Pr S. A. : Selon mon point de vue, les principales lacunes et évolutions pour une approche centrée sur le patient sont l’implication insuffisante des patients. En effet, les patients sont souvent exclus des décisions clés en santé, ce qui ne reflète pas leurs besoins et préférences spécifiques. La deuxième chose est le manque de formation et de ressources des associations de patients pour participer efficacement. En troisième lieu, l’absence de mécanismes formels de participation, notamment les structures formelles pour intégrer les patients dans les comités consultatifs et instances décisionnelles, et enfin la communication inadéquate et insuffisante entre les parties prenantes. De point de vue des évolutions nécessaires, il est important de commencer d’abord par l’institutionnalisation des conseils consultatifs des patients en créant des conseils consultatifs pour assurer que la voix des patients soit systématiquement prise en compte. Il faut également renforcer les capacités des associations de patients en fournissant des formations continues et des ressources pour permettre leur participation efficace. Ajoutez à cela le développement de politiques de santé inclusives en adaptant les législations pour formaliser l'engagement des patients, incluant des consultations publiques régulières. Et enfin, l’amélioration de la communication et de la transparence en vue d’établir des canaux de communication clairs et assurer la transparence des informations de santé.

 

F.N.H. : Au Maroc, une étape importante a été franchie avec le lancement de la réforme de la protection sociale. Ainsi, le financement de la santé et le rôle de l’évaluation de la technologie de santé sont plus que jamais au cœur du débat. Qu’en estil ?

Pr S. A. : Effectivement, le lancement de la réforme de la protection sociale au Maroc, sous les orientations Royales, marque une avancée significative vers une couverture sanitaire universelle, visant à généraliser l'Assurance maladie obligatoire (AMO) à tous les citoyens. Le financement de cette réforme est crucial. Il faut augmenter les budgets de santé pour soutenir le système, optimiser la gestion des ressources pour maximiser l'impact des investissements et encourager la production locale de médicaments pour réduire les coûts et garantir l'approvisionnement. De même, il est crucial d'intégrer pleinement l’évaluation des technologies de santé (ETS) dans le processus décisionnel. En tant qu'expert, je crois que c’est essentiel pour s'assurer que les nouvelles technologies et traitements sont à la fois efficaces et rentables. L’ETS permet de prendre des décisions informées sur l'introduction de nouvelles technologies, optimiser l'allocation des ressources, améliorer la qualité des soins en adoptant les technologies les plus bénéfiques et engager les patients et les professionnels de santé dans le processus décisionnel. 

 

 

Les recommandations de la SMEPS
À l’issue des travaux, et suite à l’échange entre conférenciers, modérateurs et différents participants à cette manifestation, 8 recommandations phares ont été élaborées.
1- Renforcer l’arsenal juridique quant à l’implication des patients dans les politiques de santé selon les différents niveaux de la gouvernance du système de santé auprès des instances supra-gouvernementales, des décideurs et du régulateur, organismes gestionnaires de l’AMO et les mutuelles.
2- Prendre en considération la résolution de l'OMS sur la participation sociale pour la couverture de santé universelle du 28 mai 2024 (A77/A/CONF/3) à travers la mise en œuvre de plusieurs actions. Il s’agit de la création des comités consultatifs de patients et familles, et l’éducation et l’autonomisation des patients en leur fournissant des informations claires et accessibles sur leurs conditions de santé et les options thérapeutiques disponibles.
3- Promouvoir l’engagement et la participation des patients avec la mise en place d’un plan de formation adéquat pour accroître sa capacitation en termes d’éducation, de coordination des soins et de plaidoyer. :
4- Développer le concept de patients-partenaires comme relais entre le patient et le professionnel de santé pour impliquer sa voix dans le système de santé par moult actions telles que : • Assurer le soutien financier aux associations de patients pour renforcer leur capacité à participer activement; • Responsabiliser les associations de patients pour qu’elles puissent jouer pleinement leur rôle d’acteur fondamental dans l’accompagnement du patient; • Impliquer les patients experts pour les guider à travers le système de soins de santé et leur assurer un soutien psychosocial.
5- Utiliser différents canaux pour renforcer la collecte de l’information et asseoir les préalables à l’implication du patient dans la prise de décision à travers l’accès à l’information, l’éducation thérapeutique, le dialogue, le partage des valeurs, le suivi et l’usage optimale de la technologie.
6- Etablir des normes qui incitent les institutions de santé à inclure les patients dans les processus de prise de décision (évaluation des technologies de santé) et leur participation comme critère dans l’évaluation des performances des établissements de santé (accréditation).
7- Promouvoir la recherche et le développement pour la génération des preuves intégrant les expériences et les résultats rapportés par les patients. 8- Lancer l’appel à la création d’un comité de patients africains pour renforcer la collaboration entre les différents pays africains dans le cadre de la collaboration sud-sud.

 

 

 

 

 

 

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