Les entreprises concernées par la régularisation des opérations de concentration économique non notifiées ont jusqu’au 31 décembre pour se conformer à la loi sur la liberté des prix et de la concurrence.
Entre le 1er janvier et le 30 novembre 2022, le nombre de décisions rendues concernant les projets de concentration économique est de 127.
Par D. William
Depuis que Ahmed Rahhou a pris les rênes du Conseil de la concurrence (CC), suite à sa nomination par le Roi le 22 mars 2021, cette institution a pris de l’envergure. Très présente sur le radar des affaires, elle tend même à effrayer quelque peu les opérateurs économiques. Profitant du coma profond dans lequel était plongé le CC avant mars 2021 (www.fnh.ma), certains d’entre eux avaient en effet pris quelques libertés en s’affranchissant sciemment ou non des règles qui régissent le monde des affaires, comme la loi sur la liberté des prix et de la concurrence. De fait, concernant particulièrement les opérations de concentration économique, plusieurs d’entre elles ont été opérées en dehors des règles et de tout contrôle. Depuis sa prise de fonction, Rahhou tente donc de remettre de l’ordre dans la fourmilière.
D’ailleurs, le contrôle des concentrations économiques occupe la première place en termes de production décisionnelle du Conseil avec 121 décisions rendues en 2021, représentant 84,6% du total des décisions et avis rendus, contre 15,4% pour les activités contentieuses et consultatives, qui se sont concrétisées par 16 décisions et 6 avis. Et entre le 1er janvier et le 30 novembre 2022, le nombre de décisions rendues concernant les projets de concentration économique est de 127.
Actuellement, toute opération de concentration doit être notifiée au CC par les entreprises et les parties concernées, avant sa réalisation. Selon le Conseil, cette obligation s’applique lorsqu’une des trois conditions suivantes est réalisée :
• Le chiffre d’affaires total mondial, hors taxes, de l’ensemble des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales parties à la concentration est égal ou supérieur à 750 millions de dirhams;
• Le chiffre d’affaires total, hors taxes, réalisé au Maroc par deux au moins des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales concernés est égal ou supérieur à 250 millions de dirhams;
• Les entreprises qui sont parties à l’acte, ou qui en sont l’objet, ou qui lui sont économiquement liées ont réalisé ensemble, durant l’année civile précédente, plus de 40% des ventes, achats ou autres transactions sur un marché national de biens, produits ou services de même nature ou substituables, ou sur une partie substantielle de celui-ci.
A travers l’encadrement strict de telles opérations, l’objectif du président du CC est clair : «sécuriser les investisseurs et les acteurs et, par conséquent, les protéger contre les pratiques qui mettent à mal leurs investissements (…)». Car, poursuitil, «notre rôle est celui de la régulation par rapport aux lois relatives à la protection du consommateur, à la fixation des prix et à la concentration».
Le CC manie le bâton…
Dès juin dernier, le président du CC a commencé à montrer les crocs. Dans le cadre de la régularisation de la situation légale des entreprises ayant effectué des opérations de concentration économique sans les notifier, le Conseil a préconisé une procédure spéciale à travers laquelle l'amende à l'encontre de ces entreprises ayant violé la loi sera fixée à un taux de 1% de leur chiffre d'affaires réalisé au Maroc au titre du dernier exercice comptable clôturé, sans calculer les frais. S'y ajoute, le cas échéant, le chiffre d'affaires réalisé au Maroc au cours de la même période par la partie qui détenait l'entreprise.
Cette disposition a été complétée par la décision émise le 31 août 2022, qui prévoit que les entreprises qui ont violé l'obligation de notifier des opérations de concentration économique mais n'ayant pas encore réalisé un chiffre d'affaires annuel, écopent d'une amende forfaitaire de 500.000 dirhams. L'obligation de notification est portée par les personnes physiques ou morales qui contrôlent l'ensemble ou une partie de l'entreprise.
Et en cas de fusion ou d'entreprise partagée, toutes les personnes concernées doivent faire la notification conjointement. Les opérations de concentration économique non notifiée concernées doivent être réalisées avant le 31 décembre 2021 et la déclaration de la concentration par les parties concernées par les opérations mentionnées doivent se faire au plus tard le 31 décembre 2022, précise le CC. C’est donc la dernière ligne droite pour régulariser les opérations de concentration économique non notifiée. Les entreprises concernées n’ont ainsi plus qu’un mois pour se mettre dans les clous et se conformer à la loi sur la liberté des prix et de la concurrence.
Du côté de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), on a bien pris la mesure des règles mises en place par le CC. C’est pourquoi «suite à la décision du Conseil de la concurrence rendue publique en septembre 2022, la CGEM a alerté ses membres au sujet des articles 11 et 12 de la loi 104-12 relative à la liberté des prix et de la concurrence, qui soumettent toute opération de concentration à une obligation de notification au Conseil de la concurrence, attirant l’attention de ses entreprises membres sur le non-respect de cette mesure et les invitant à s’inscrire dans le cadre du programme volontaire de régularisation proposé par le Conseil, arrivant à échéance le 31 décembre 2022», confie la DG du patronat, Samia Terhzaz.
… Et la carotte
L’objectif du CC n’est pas de sanctionner à tout-va. Rahhou est davantage dans la pédagogie. Il part du principe que «pour une économie aussi ouverte que celle du Maroc, notre rôle est de veiller à ce qu’il y ait une égalité des chances des acteurs et une bonne protection des consommateurs. Ce qui se fera, entre autres, par la pédagogie». Raison pour laquelle le président du CC a multiplié les actions de sensibilisation et de formation pour permettre aux acteurs économiques d’éviter de commettre des infractions aux normes juridiques qui s’appliquent à eux. Dans ce cadre, il a été procédé à la signature de plusieurs conventions avec les secteurs régulés, ou encore l’organisation de cessions d’information sur le droit à la concurrence.
De même, le Conseil a publié un guide exhaustif qui oriente «les entreprises et les organisations professionnelles pour se doter d’un programme de conformité au droit de la concurrence, que ce soit sur une base autonome ou en l’intégrant à une politique plus globale de conformité aux règles et normes en vigueur (corruption, financement d’activités illicites, blanchiment d’argent, protection des données personnelles, etc.)». Dans ce cadre, «la CGEM a organisé, en janvier 2022, une rencontre en présence du président du Conseil de la concurrence, des Fédérations sectorielles et représentations régionales, qui a été l’occasion de présenter les grandes lignes du guide de conformité au droit de la concurrence, et d’échanger sur les bonnes pratiques à mettre en place en faveur d’un marché libre et novateur, renforçant la compétitivité des entreprises», informe Samia Terhzaz.
Non sans préciser que «suite à cette première rencontre, et dans une démarche pédagogique et de proximité avec le monde de l’entreprise, le Conseil de la concurrence a également reçu en avril dernier le Groupe Maroc Industrie, ainsi que la Fédération du commerce et services, afin d’échanger sur les spécificités sectorielles de ces opérateurs, ayant trait à la concurrence». Précisons que ce guide édité par le CC est d’autant plus précieux qu’il permet aux opérateurs de mieux évaluer les risques en matière de concurrence.
Il s’agit notamment des risques potentiels liés à des pratiques anticoncurrentielles (ententes illicites, abus de position dominante…) et des risques potentiels liés justement aux concentrations économiques (mise en œuvre de pratiques anticoncurrentielles par l’une des parties à la concentration, absence de notification d’une concentration au CC, réalisation de la concentration avant l’intervention de la décision du CC, omission ou déclaration de données inexactes au niveau du dossier de notification, réalisation de la concentration en contravention avec les termes de la décision du Conseil…).
Le CC considère à ce titre comme concentration économique, toute opération de croissance externe d’une entreprise qui induit un changement durable dans son contrôle (acquisition de parts dans le capital social, de titres, de fonds de commerce ou d’actif ou d’activité, fusion, création d’une entreprise commune, passage d’un contrôle conjoint à un contrôle exclusif ou inversement…).