Le développement économique et social du Maroc passe d’abord par un climat des affaires efficient et évolutif.
Les réformes effectuées démontrent que le Royaume a adopté une approche à long terme pour créer un environnement des affaires moderne.
Entretien avec Me Nesrine Roudane, avocate au barreau de Casablanca, présidente de la Commission startup et capital risque de l’Union internationale des avocats et associée responsable Roudane Law Firm, en collaboration avec Al Tamimi & Co.
Propos recueillis par Ibtissam Z.
Finances News Hebdo : Le Maroc s’est engagé depuis plusieurs années dans des réformes afin d’améliorer l’environnement des affaires dans lequel évoluent les opérateurs économiques. Quel état des lieux faites-vous du climat des affaires au Royaume ?
Me Nesrine Roudane : Au vu des réformes entreprises ces dernières années, le climat des affaires au Royaume du Maroc montre un engagement continu pour améliorer l’environnement économique dans lequel opèrent les entreprises. Les réformes majeures, telles que la loi relative aux établissements de crédit et organismes assimilés en 2014, la loi sur la liberté des prix et de la concurrence en 2014 avec ses modifications et refontes, et la réforme du livre 5 du code de commerce sur les difficultés de l’entreprise en 2018, ont contribué à créer un cadre plus propice aux investissements et aux activités économiques. Ces efforts se sont poursuivis avec l’adoption d’autres lois essentielles, notamment la loi sur les sociétés anonymes, la charte de la déconcentration, la loi sur les sûretés mobilières, la loi sur les partenariats public-privé, la loi sur la protection des données personnelles, les organismes de placement collectif en immobilier (OPCI), la loi sur la confiance numérique et la création du fonds Mohammed VI pour l’investissement. Ces réformes démontrent que le Maroc a adopté une approche à long terme pour créer un environnement des affaires moderne, en se conformant aux normes internationales dans certains domaines. La stratégie de refonte mise en place vise à attirer les investisseurs en leur offrant un environnement plus favorable. En mai 2021, le Comité national de l’environnement des affaires a adopté la politique nationale de l’environnement des affaires pour la période de 2021 à 2025. Cette politique repose sur trois axes essentiels :
• L’amélioration des conditions structurelles de l’environnement des affaires.
• La simplification de l’accès des entreprises aux ressources nécessaires.
• Le renforcement de la transparence, de l’inclusion et de la coopération entre les secteurs public et privé.
Pour atteindre ces objectifs, plusieurs chantiers de réforme ont été identifiés. Ils incluent la simplification des procédures administratives, l’amélioration du cadre juridique et réglementaire des affaires, la réduction des délais de paiement et l’accès facilité au financement, l’amélioration de l’infrastructure et des procédures de la commande publique, le renforcement des compétences du capital humain, l’amélioration des mécanismes d’accompagnement des entreprises et l’intégration du secteur informel. La nouvelle charte d’investissement joue également un rôle essentiel en offrant une vision globale et cohérente de l’offre marocaine pour les investisseurs étrangers. Cette approche holistique permet de mettre en valeur les avantages compétitifs du pays et de renforcer sa position en tant que destination attractive pour les investissements internationaux. En plus des réformes visant à améliorer l’environnement des affaires, le Royaume a également entrepris des efforts significatifs pour moderniser sa fiscalité et rendre le système fiscal plus attractif pour les entreprises et les investisseurs.
Des ajustements ont été apportés aux taux d’imposition pour les entreprises, et des incitations fiscales ont été introduites pour encourager certains secteurs clés et les investissements dans certaines régions du Maroc. Une autre mesure importante a été la mise en place de conventions fiscales internationales visant à éviter la double imposition et à faciliter les échanges commerciaux avec d’autres pays. Ces conventions offrent une sécurité juridique et fiscale aux investisseurs étrangers qui souhaitent s’implanter au Maroc ou collaborer avec des entreprises locales. Parallèlement, le Maroc a également renforcé ses dispositifs de lutte contre la fraude fiscale et l’évasion fiscale, ce qui contribue à créer un environnement plus transparent et équitable pour les entreprises. Dans l’ensemble, les efforts déployés par le Maroc pour améliorer son climat des affaires montrent une volonté politique forte et un engagement continu en faveur du développement économique et de l’attractivité du pays pour les entreprises et les investisseurs étrangers. Ces réformes et initiatives visent à créer un environnement plus propice à la croissance des entreprises, à l’innovation et à la création d’emplois, ce qui devrait contribuer à renforcer la position du Maroc sur la scène économique régionale et internationale.
F.N.H. : Quel rôle jouent la médiation et l’arbitrage dans l’amélioration du climat des affaires et des investissements plus généralement. Ces deux mécanismes sontils performants au Maroc ?
Me N. R. : La médiation et l’arbitrage jouent un rôle essentiel dans l’amélioration du climat des affaires et des investissements au Maroc, offrant des avantages significatifs aux partenaires commerciaux, qu’ils soient nationaux ou étrangers. Ces modes alternatifs de règlement des conflits apportent une célérité de la procédure, une confidentialité et une maîtrise des coûts, ce qui représente une sécurité supplémentaire pour les patrimoines des entreprises et des investisseurs. En privilégiant la médiation et l’arbitrage, le Maroc crée un environnement favorable à l’investissement en permettant aux parties de résoudre leurs différends de manière rapide et confidentielle, sans engorger les juridictions étatiques. Cela renforce la confiance des acteurs économiques dans le système judiciaire du pays et encourage les investisseurs à s’engager dans des projets au Maroc, en sachant qu’en cas de litige, des solutions alternatives efficaces sont disponibles. La loi 95-17 relative à l’arbitrage et la médiation conventionnelle,
publiée au Bulletin officiel n°7099 du 13 juin 2022, est un pas important dans ce sens. Toutefois, malgré ces avancées, il est à souligner que ces mécanismes nécessitent un encadrement très strict, en raison de leur caractère extra-judiciaire et individuel. Leur mise en œuvre doit être suivie attentivement pour s’assurer de leur efficacité et de leur conformité aux normes internationales. Il est également noté que la nouvelle loi, bien qu’elle apporte des améliorations, reste relativement prudente quant à l’introduction de nouveautés innovantes dans le domaine de la médiation et de l’arbitrage. En conclusion, la médiation et l’arbitrage jouent un rôle crucial dans l’amélioration du climat des affaires au Maroc en offrant des solutions rapides et confidentielles pour résoudre les litiges commerciaux.
F.N.H. : Le cadre juridique des affaires et l’accès à l’information juridique s’avèrent souvent complexes et peu adaptés aux réalités des acteurs économiques opérant au Maroc. Comment peut-on dépasser cela ?
Me N. R. : Pour dépasser la complexité du cadre juridique des affaires et améliorer l’accès à l’information juridique au Maroc, il est essentiel que les services publics du pays adoptent une approche adaptative et évolutive, en prenant en compte les réalités des acteurs économiques qui opèrent sur le terrain. Une première mesure à envisager serait la mise en place d’une procédure de prospection continue auprès des opérateurs économiques. Cette démarche permettrait de recueillir en temps réel les besoins réels des entreprises et d’identifier les difficultés qu’elles rencontrent dans leur interaction avec le cadre juridique. Ces retours d’expérience pourraient servir de base pour développer des procédures judiciaires et administratives mieux adaptées aux besoins spécifiques des entreprises.
Par ailleurs, la création d’un comité consultatif constitué de représentants des entreprises et de juristes expérimentés pourrait être une initiative pertinente. Ce comité agirait comme un canal de communication et d’échange entre les pouvoirs publics et les personnes concernées par les lois et réglementations. Les acteurs économiques pourraient ainsi exprimer leurs préoccupations, faire part de leurs suggestions et contribuer à l’amélioration continue du cadre juridique des affaires. Il est également important d’encourager la transparence et la facilité d’accès à l’information juridique. Les lois, règlements et procédures devraient être disponibles en ligne et mis à jour régulièrement, de manière claire et compréhensible pour tous les acteurs économiques, qu’ils soient nationaux ou étrangers. Un portail d’information juridique centralisé et convivial faciliterait l’accès à ces informations essentielles, contribuant ainsi à une meilleure compréhension du cadre légal et réglementaire.
Enfin, une sensibilisation accrue à l’importance du respect du cadre juridique des affaires devrait être encouragée, tant du côté des entreprises que des autorités. Des campagnes de formation et de sensibilisation pourraient être organisées pour informer les acteurs économiques sur les dispositions légales et les obligations auxquelles ils doivent se conformer, ainsi que sur les conséquences en cas de non-respect. En résumé, pour dépasser la complexité du cadre juridique des affaires au Maroc et faciliter l’accès à l’information juridique, il est nécessaire d’adopter une approche proactive et consultative, en tenant compte des besoins réels des acteurs économiques. Une communication ouverte et transparente entre les pouvoirs publics et les entreprises, combinée à une mise à disposition claire et accessible de l’information juridique, contribuera à créer un environnement plus favorable au développement des activités économiques dans le pays.
F.N.H. : Le 15 mars 2023, le gouvernement a révélé sa nouvelle stratégie pour améliorer l’environnement des affaires à l’horizon 2026. Quelles sont les grandes lignes de cette nouvelle feuille de route et quel serait son impact ?
Me N. R. : La nouvelle stratégie pour améliorer l’environnement des affaires au Maroc d’ici 2026 repose sur quatre piliers clés. Le premier pilier consiste à améliorer les conditions structurelles de l’investissement et de l’entrepreneuriat en renforçant le cadre juridique des affaires, en optimisant les procédures administratives grâce à la digitalisation et à la déconcentration, et en améliorant la coordination et la surveillance de l’environnement des affaires. Le deuxième pilier se concentre sur le renforcement de la compétitivité nationale. Cela implique la mobilisation de financements pour stimuler la relance économique, l’amélioration de l’accès aux énergies renouvelables et la décarbonation industrielle, le renforcement de l’accès au foncier et l’amélioration de la compétitivité logistique. Le troisième pilier vise à créer un environnement favorable à l’entrepreneuriat et à l’innovation. Pour cela, des dispositifs de soutien seront développés pour les petites et moyennes entreprises (PME) et les startups. On encouragera également l’innovation, la recherche et développement (R&D), ainsi que la culture entrepreneuriale.
En parallèle, des efforts seront déployés pour renforcer l’offre de formation et améliorer la performance du capital humain. Le quatrième pilier, transversal, mettra l’accent sur le renforcement de l’éthique, de l’intégrité et de la prévention de la corruption dans le milieu des affaires. Cela vise à créer un climat de confiance pour les entreprises et les investisseurs, renforçant ainsi la crédibilité du Maroc en tant que destination d’investissement. L’impact prévisionnel de cette nouvelle feuille de route serait une amélioration globale de l’environnement des affaires au Maroc. En simplifiant les procédures administratives et en renforçant la compétitivité économique, cela pourrait stimuler l’investissement et favoriser la création d’emplois. Les mesures visant à soutenir les petites entreprises et les startups pourraient encourager l’innovation et promouvoir le dynamisme entrepreneurial dans le pays. En parallèle, l’accent mis sur l’éthique et l’intégrité contribuerait à instaurer un climat de confiance pour les acteurs économiques, renforçant ainsi la position du Maroc sur la scène économique internationale. Toutefois, la réussite de cette stratégie dépendra de la mise en œuvre efficace des mesures prévues dans chaque pilier et d’une coordination cohérente entre les différents acteurs impliqués dans son déploiement
F.N.H. : Comment peut-on dynamiser l’investissement productif au Maroc ?
Me N. R. : Pour dynamiser l’investissement productif au Maroc, plusieurs approches peuvent être envisagées. Tout d’abord, la mise en place d’avantages fiscaux spécifiques pour certaines activités à forte production d’emplois pourrait être un levier efficace. Des incitations fiscales telles que des réductions d’impôts, des crédits d’impôt ou des exemptions fiscales pourraient encourager les entreprises à investir dans des secteurs stratégiques pour l’économie marocaine, favorisant ainsi la création d’emplois et stimulant la croissance économique. En outre, pour certains secteurs clés, il pourrait être pertinent de créer des procédures judiciaires ou d’encadrer plus étroitement les mécanismes extrajudiciaires. Cela permettrait de sécuriser davantage les investissements, de réduire les risques et d’améliorer la confiance des entreprises dans le climat des affaires au Maroc.
Une meilleure sécurité juridique encouragerait les entreprises à investir à long terme dans des projets productifs. Le développement d’accords et de partenariats avec d’autres pays ou entités économiques représente également une opportunité pour dynamiser l’investissement productif. Cela contribuerait à renforcer la compétitivité de l’économie marocaine et à favoriser la diversification des investissements. Enfin, un cadre réglementaire clair, transparent et stable est essentiel pour attirer l’investissement productif avec la simplification des procédures administratives, la réduction de la bureaucratie et l’application cohérente des réglementations. Une telle approche renforcerait l’attractivité du Maroc en tant que destination d’investissement, en mettant l’accent sur les opportunités d’affaires et la facilité de faire des affaires dans le pays.
F.N.H. : Le Comite national de l’environnement des affaires est au cœur de cette feuille de route. Dans ce nouveau déploiement, quel sera son apport en matière de dialogue entre les operateurs du secteur public-privé ?
Me N. R. : Le Comité national de l’environnement des affaires (CNEA) joue un rôle central dans la mise en œuvre de la feuille de route pour améliorer l’environnement des affaires au Maroc. Son apport en matière de dialogue entre les opérateurs du secteur public-privé est essentiel pour favoriser la concertation et la collaboration entre les différentes parties prenantes. Conformément au décret n° 2-10-259 publié au bulletin officiel le 2 décembre 2010, le CNEA a pour mission principale de proposer au gouvernement des mesures visant à améliorer l’environnement et le cadre juridique des affaires. Pour ce faire, il coordonne la mise en œuvre de ces mesures et évalue leur impact sur les secteurs concernés. Le comité opère en étroite concertation avec les partenaires publics et privés impliqués dans le processus. Dans cette perspective, le CNEA a plusieurs responsabilités spécifiques. Tout d’abord, il propose un programme d’action annuel visant à améliorer l’environnement des affaires, en mettant en évidence les domaines prioritaires nécessitant des réformes. Il développe également un plan de communication à l’échelle nationale et internationale pour sensibiliser les parties prenantes aux efforts entrepris pour améliorer l’environnement des affaires.
De plus, le CNEA élabore un rapport annuel sur l’amélioration de l’environnement des affaires, mettant en évidence les mesures prises pour cette amélioration. Il s’efforce de collecter toutes les informations pertinentes liées à ses attributions et gère la base de données correspondantes. Pour soutenir ses missions, le CNEA est assisté par une commission technique de préparation et de suivi, qui rassemble des représentants des autorités gouvernementales, des organismes publics et des organisations professionnelles concernées. Cette commission joue un rôle crucial en facilitant le dialogue entre les différents acteurs du secteur public-privé et en veillant à une mise en œuvre cohérente des mesures proposées. Grâce à la coordination du CNEA et à la contribution de sa commission technique, il est envisageable que le dialogue entre les services publics et les opérateurs économiques privés soit renforcé. Les discussions régulières entre les acteurs publics et privés devraient permettre de mieux comprendre les besoins et les défis du secteur des affaires, et ainsi d’identifier les mesures les plus appropriées pour améliorer l’environnement des affaires au Maroc. Il est important de souligner que l’amélioration de l’accès aux marchés publics, en particulier pour les petites et moyennes entreprises (PME), est l’un des chantiers majeurs de la feuille de route. Le CNEA peut jouer un rôle clé dans cette démarche en facilitant les échanges et en favorisant une approche inclusive et équitable dans l’accès aux marchés publics pour toutes les entreprises, quelle que soit leur taille.