■ Les entreprises étrangères mettent en péril la survie des entreprises marocaines avec le dumping.
■ D’après Bouchaïb Benhamida, président de la Fédération Nationale des Bâtiments et Travaux publics (FNBTP), la concurrence déloyale est l’un des freins qui entravent le secteur.✔ Finances News Hebdo : Comment se porte aujourd’hui le secteur du BTP ?
✔ Bouchaïb Benhamida : Le Haut Commissariat au Plan a constaté une amélioration pendant les deux premiers trimestres de l’année 2011 par rapport à 2010, et la tendance devrait se confirmer pour l’année dans son ensemble. Cette amélioration est due, d’une part aux mesures prises pour encourager l’habitat social et, d’autre part à la poursuite des projets d’infrastructures programmés par le gouvernement dans le budget d’investissement de 2011.
Il faut cependant signaler que cette amélioration globale cache des aspects négatifs dont l’impact est mal étudié, et principalement l’intervention de plus en plus forte des entreprises étrangères dans le marché national.
✔ F.N.H. : Les professionnels sont un peu sceptiques pour ce qui est des attentes de l’année prochaine; qu’en pensez-vous ?
✔ B. B. : L’année prochaine sera sûrement une année imprévisible pour les professionnels pour plusieurs raisons concomitantes qui affecteront les ressources disponibles et le climat des affaires:
● les incertitudes quant à l’issue de la crise financière internationale et ses conséquences sur notre économie nationale ;
● le déficit de la balance des paiements qui se creuse de plus en plus, aggravé par les nombreux contrats de notre secteur dévolus aux entreprises étrangères ;
● les mutations que devraient connaitre les différentes institutions suite au changement de la Constitution et aux élections nationales, régionales et locales ;
● l’impact des différentes mesures prises pour répondre aux revendications diverses et multiples de plusieurs catégories de la population, et l’aggravation du poids de la Caisse de compensation.
✔ F.N.H. : Le secteur du BTP connaît une concurrence rude notamment de la part des entreprises étrangères. Quelles sont les mesures susceptibles de protéger les entreprises marocaines ou de les accompagner pour encourager leur émergence ?
✔ B. B. : C’est un problème qui affecte gravement notre secteur, car il agit à la fois sur le marché et sur le moral des entreprises ainsi que sur l’environnement global.
En effet, la crise dans le monde et particulièrement en Europe, a coïncidé avec l’impulsion donnée à l’investissement dans le secteur du BTP et le lancement des grands projets d’infrastructures au Maroc.
Nous avons dû faire face à un afflux inhabituel d’entreprises prêtes à tout pour décrocher des contrats dans notre pays.
Ces entreprises ont trouvé un contexte favorable en raison de la tradition d’ouverture du marché national du BTP et de la faiblesse des moyens de sauvegarde, voire d’assurance contre les défaillances éventuelles de ces entreprises. Ces dernières, opérant au Maroc, ont bénéficié également de soutiens multiformes de leurs gouvernements.
Elles ont pratiqué la casse des prix, ont débauché la main-d’œuvre formée localement tout en déstructurant gravement le marché et la concurrence.
Or, il faut savoir que les entreprises marocaines se sont équipées et qu’elles ont recruté afin d’être prêtes pour la réalisation du programme ambitieux lancé par notre pays depuis le début des années 2000. Elles sont fortement endettées et les pratiques des entreprises étrangères leur sont préjudiciables. Ceci, non seulement pour le tissu national d’entreprises, mais également pour le pays avec le nombre de chantiers non terminés à cause de la défaillance des étrangers, des ardoises laissées aux fournisseurs et sous-traitants, des retards et réclamations…
✔ F.N.H. : Quelle est la finalité du 2ème contrat-programme ?
✔ B. B. : Le 2ème contrat-programme vise à élaborer et à mettre en œuvre une stratégie nationale pour mettre fin à tous les obstacles qui freinent ou ralentissent le développement d’un secteur important dans l’économie nationale.
Nous avons choisi une démarche novatrice : d’abord en impliquant tous les concernés, publics et privés, dans la réflexion ; puis en lançant une consultation pour choisir un grand consultant qui nous accompagnera dans l’élaboration de cette stratégie, en faisant toutes les études économiques nécessaires, le benchmarking international et en organisant la communication à ce sujet.
✔ F.N.H. : Est-ce que les entreprises marocaines peuvent exploiter leur potentiel à l’étranger ?
✔ B. B. : Nos entreprises sont déjà présentes dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne. Elles ont en charge la réalisation de projets routiers, portuaires, de bâtiment et d’équipements, ainsi que la gestion déléguée de la distribution d’eau et de l’assainissement.
✔ F.N.H. : Y a-t-il des dispositifs mis en place par l’Etat pour soutenir ces entreprises qui opèrent à l’étranger ?
✔ B. B. : En fait, le dispositif national de soutien de l’export est plutôt orienté vers l’exportation des biens. Or, les marchés à l’export des travaux du BTP ont des caractéristiques particulières.
D’abord, les montants sont très importants et se chiffrent en dizaines ou centaines de millions de dirhams, ce qui suppose des cautions importantes et des assurances du même ordre, ce qui n’est pas toujours facile à obtenir.
Ces marchés nécessitent généralement un appui politique et diplomatique pour affronter la concurrence internationale qui utilise ce genre de soutien.
Enfin, le risque politique est important dans ce genre de marchés.
✔ F.N.H. : Quels sont les principaux freins dont pâti le secteur ?
✔ B. B. : Ce sont justement ceux que l’étude, prévue dans le cadre de la préparation du 2ème contrat programme, devra identifier.
Reste que nous pouvons dire que la principale contrainte tient au fait que l’activité de l’entreprise du BTP est soumise généralement à la position dominante du client, qui est souvent public, et aux aléas qui affectent le rythme de réalisation des projets et qui sont souvent indépendants de la volonté des entrepreneurs, sachant que les marchés du BTP s’étalent sur plusieurs années.
✔ F.N.H. : Disposons-nous de ressources humaines qualifiées pour répondre au besoin du secteur ?
✔ B. B. : Nous avons réalisé avec l’OFPPT une étude qui a permis d’identifier les besoins, selon les niveaux de qualification, jusqu’en 2015.
Il est évident que c’est une contrainte majeure du secteur dans son ensemble.
Nous avons lancé plusieurs initiatives pour répondre aux besoins :
● la multiplication des effectifs formés par l’OFPPT ;
● le lancement des licences professionnelles avec les universités de Marrakech, Casablanca et bientôt Rabat, Fès, Settat, El Jadida, Tanger et Oujda ;
● les opérations de validation des acquis de l’expérience professionnelle pour valoriser la formation en entreprises ;
● l’Ecole dédiée aux métiers du BTP de Settat.
✔ F.N.H. : Qu’en est-il de l’Ecole de formation aux métiers du BTP projetée en collaboration avec l’OFPPT pour 2003/2004 ?
✔ B. B. : La construction des bâtiments administratifs, pédagogiques, des internats et des réfectoires est terminée. Celle des ateliers est en cours. L’assistance technique pour la définition des programmes, des équipements pédagogiques et la formation des formateurs est en cours. En fait, ce projet a pris beaucoup de retard pour des raisons propres à l’Administration marocaine. Tous les problèmes sont maintenant résolus, mais il a fallu beaucoup d’énergie et de persévérance.
Nous espérons ouvrir l’école lors de la prochaine rentrée. ■
Dossier réalisé par C. J. L. B.