Bien immeuble: comment réagir face à la spoliation foncière

Bien immeuble: comment réagir face à la spoliation foncière

Les victimes ont quatre années à partir de la date d’immatriculation du bien spolié pour réagir juridiquement.

L’acquéreur de ce bien se trouve protégé contre toute revendication de droits réels des vrais propriétaires, sur base d’agissement de bonne foi.

 

Par B. Chaou

 

Nous avons tous entendu parler de ce phénomène qu’est la spoliation foncière. Il s’agit en effet d’une atteinte et altération d’un bien immeuble par l’usage de moyens frauduleux. Selon Maître Soulimane Thaili, avocat au Barreau de Casablanca et fondateur du cabinet Thaili Law Firm, «les définitions courantes se limitent à la dépossession qui ne peut avoir un effet que pour les immeubles non immatriculés, vu le rôle accru de la prescription acquisitive (sans possession de titre) dans l'appropriation foncière».

La spoliation concerne tout de même tous les biens immeubles immatriculés ou non et qui peuvent faire l'objet d'actes ou de faits illicites de nature à créer de toute pièce une fausse appropriation d’un bien immeuble, et escroquer autrui. Il est à noter que les biens ayant fait l’objet de spoliation présentent majoritairement certaines caractéristiques bien spécifiques. Il s’agit, entre autres, de terrains non bâtis, inoccupés ou à l’abandon, ou encore des propriétés de personnes étrangères ayant quitté le territoire marocain.

«Les victimes de spoliation sont souvent des MRE et des étrangers. Il n’empêche que des Marocains qui résident au Maroc ont aussi été victimes de spoliation, ce qui invite à une forte vigilance», affirme Maître Thaili. Ainsi, est-il important de connaître les moyens de s’en prémunir et de se défendre.

Les moyens de spoliation foncière

Tout d’abord, il est nécessaire de savoir que la spoliation peut se manifester par le biais de crimes ou de délits prévus dans le code pénal, comme le faux en écriture, l’escroquerie, l’assistance de faux témoins attestant la possession de longue durée dans des actes servant à constituer un dossier d'immatriculation.

Elle peut toucher à titre d'exemple les biens civils non immatriculés ou en cours d'immatriculation dont les propriétaires résident souvent soit en zones urbaines ou à l'étranger, et qui sont au courant trop tardivement de l'achèvement d'une procédure d'immatriculation rapide ayant créé un état de purge de leurs droits.

Elle se manifeste de manière générale par des actes nuls en la forme ou en fond pour s'approprier indûment les biens d'autrui. Comment ça se passe  ? Il suffit de réaliser de faux documents adoulaires. Pour cela, il faut rassembler douze témoins qui attestent de la possession du bien pour une longue durée, généralement et en moyenne une trentaine d’années, et ce devant deux adouls. Vient ensuite la demande d’autorisation auprès du cheikh ou du mokaddem pour la détention de l’acte d’usage notoire octroyé par le adoul ayant attesté l’opération face aux «témoins».

Ensuite, le spoliateur réalise le croquis du bien auprès d’un géomètre, pour ensuite procéder à sa mise en situation et son immatriculation pour en faire la «publicité  foncière» et ainsi assurer et, d’une manière définitive, la titrisation en son nom. Par conséquent, à travers ce dol (manigance), les droits prétendus des vrais propriétaires pourraient être méconnus lors de l’immatriculation de l’immeuble sur les livres fonciers par le conservateur de la propriété foncière.

Et, finalement, il est procédé à la vente du bien, généralement en faveur de promoteurs immobiliers. S’agissant des biens titrés au niveau de la conservation foncière, cela nécessite pour le spoliateur de procéder à une malversation sur l’inscrit en usurpant son identité, ou en se prévalant d’une fausse procuration. Il peut aussi réaliser la spoliation à travers des actes de vente ou de succession falsifiés. Pour faire mainmise sur ce type de biens, les spoliateurs agissent souvent en groupes organisés composés d’avocats, de notaires ou mêmes de fonctionnaires.

Comment réagir face à la spoliation foncière ?

Au cas où l’on est victime d'un acte de spoliation, il faut agir rapidement par le dépôt de plainte s'il s'agit de délit ou de crimes, tels le faux et usage de faux ou l’escroquerie. En effet, il faut savoir que le propriétaire du bien réel dispose d’une période de quatre ans à compter de la date d’enregistrement pour lancer la procédure judiciaire qui lui permettrait de récupérer son bien.

Cette période passée, il n’aura aucune possibilité de voir son bien lui être restitué. «Il faut que les victimes agissent rapidement et qu’ils procèdent à des actions civiles en nullité, notamment pour absence des conditions de validité des transactions immobilières afin d'éviter la prescription ou la forclusion : l'article 4 de la loi 39.08  du 22/11/2011  sur les droits réels prévoit justement la nécessité d'agir dans un délai de quatre ans à partir de l'inscription de l'acte délictueux sur le livre foncier. Cette sanction anéantit l'acte de manière rétroactive», explique Maître Thaili.

À noter que dans le cas de la vente du bien par le spoliateur à autrui, aucun recours ne peut être exercé sur l’immeuble. Les victimes peuvent uniquement, en cas de spoliation avérée, exercer une action personnelle en dommages et intérêts contre l’auteur de la spoliation. Il s’agit d’une action par laquelle la victime d’une infraction demande une réparation du dommage causé par l’extorqueur, et ce devant les tribunaux civils ou les juridictions répressives comme les tribunaux correctionnels.

Ainsi, l’acquéreur du bien se trouve protégé contre toute revendication de droits réels  des vrais propriétaires, sur base d’agissement de bonne foi. Même si l’inscription précédente est corrompue, la sienne ne peut ainsi être remise en question.

D’ailleurs, l’article 66 de la loi sur l’immatriculation foncière est ferme : «L’annulation de cette inscription ne peut, en aucun cas, être opposée au tiers de bonne foi». Pour rappel, le tiers de bonne foi doit acquérir un droit sur le bien directement sur la base de l’inscription précédente, que son droit soit inscrit sur le titre foncier en tant que propriétaire. Il doit aussi être dans l’ignorance des vices entachant l’inscription l’ayant précédé, et ne pas être complice de la personne qui lui a vendu le bien faisant objet préalable de spoliation.

Les moyens de s’en prémunir

Selon Maître Thaili, «s’agissant de mesures préventives pour éviter les risques de spoliation foncière, avant toute transaction immobilière quand on est dans la position d’acquéreur d'un bien immeuble, immatriculé ou non, il faudrait s'assurer de la régularité des titres de propriété auprès des instances compétentes de la conservation foncière et des tribunaux avec l'assistance de juristes, avocats ou notaires, pour sécuriser et assurer le transfert de propriété».

Il est néanmoins fortement déconseillé par les professionnels de faire l’acquisition de biens non immatriculés. Pour ceux qui sont propriétaires de ce type de biens, il est fortement suggéré de procéder à son immatriculation auprès de la conservation foncière compétente. Dans le cas où le bien est la propriété d’une société, celle-ci doit être en mesure de mettre en place un document de sa présentation incluant tous les détails sur l’éligibilité des actions des collaborateurs, des dirigeants ou encore des actionnaires.

Cette fiche représentative doit être constamment mise à jour afin que l’on sache qui est habilité à agir pour le compte de ladite société et qui sont ses associés au moment «présent». In fine, nous pouvons retenir que la coexistence entre les biens immobiliers titrés et non titrés rend la mise en place d’un cadre juridique foncier au Maroc assez complexe, et que la récupération d’un bien après spoliation s’avère une tâche herculéenne, surtout pour les biens non titrés.

Il est donc conseillé de se faire accompagner par des professionnels afin de mieux gérer et protéger son patrimoine immobilier de toutes sortes d’escroqueries, telle la spoliation foncière.

 

 

Trois questions à Me Soulimane Thaili

«L’ANCFCC a un rôle prépondérant dans la protection des droits»

 

 

Finances News Hebdo : Quelles sont les faiblesses juridiques sur le sujet ?

Soulimane Thaili : La faiblesse réside essentiellement dans les actes adoulaires concernant les immeubles non immatriculés en zones rurales qui échappent au contrôle et qui ne font l'objet d'aucune vérification de fond des tribunaux lors de leurs établissements. Un simple visa de forme suffit pour leur établissement. Il serait utile d'instaurer un contrôle a priori et a posteriori du juge notarial auprès des tribunaux de l'établissement des actes formant transactions immobilières.

 

F.N.H. : Quel est le rôle de l’ANCFCC dans la protection des citoyens face à la spoliation ?

S. Th. : L'agence de la conservation foncière a un rôle prépondérant dans la protection des droits de propriété contre tout acte de spoliation à condition d'en faciliter l'accès à leur service et en réduisant leurs coûts.

 

F.N.H. : Quelles sont les requêtes des professionnels afin d’améliorer la protection des citoyens ? 

S. Th. : La question est celle de savoir qui sont les professionnels concernés par la lutte contre la spoliation immobilière : ce sont notamment les avocats, notaires, adouls,  associations de protection des consommateurs, acquéreurs de biens immobiliers. Tous préconisent une protection juridique législative, judiciaire et administrative de leurs droits de propriété. Ces vœux ne seraient possibles qu'avec un effort collectif de tous les pouvoirs législatifs, administrations et la justice. Et ce, en usant de tous les dispositifs digitaux disponibles par la mise au point de procédures d'alerte pour arrêter, dès le départ, tout acte de spoliation foncière dont les citoyens résidents ou non sont victimes.

 

 

 

 

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