Assurance maladie obligatoire: «Nous sommes dans les délais sur le plan opérationnel»

Assurance maladie obligatoire: «Nous sommes dans les délais sur le plan opérationnel»

Depuis plus d’un an, la CNSS est mobilisée pour faire de la généralisation de l’AMO une réussite.

Refonte des systèmes d’information, digitalisation et massification du réseau sont autant d’actions qui ont déjà été initiées.

Au 21 juillet 2022, ce sont 2,03 millions de travailleurs non-salariés, dont 840.000 agriculteurs et plus de 300.000 artisans, qui ont été immatriculés.

Invité de la rédaction de Finances News Hebdo, Hassan Boubrik, DG de la CNSS, fait le point sur ce chantier titanesque, ses enjeux et défis majeurs.

 

Par D. William

 

 

Tous les acteurs sont actuellement mobilisés pour le déploiement du chantier titanesque de la protection sociale, dont le premier volet, qui s’étale sur la période 2021-2022, concerne la généralisation de l’assurance maladie obligataire (AMO). Et ce, en élargissant le champ d’application de cette assurance aux groupes des plus démunis bénéficiant du Régime d'assistance médicale (RAMED) et aux groupes de professionnels, de travailleurs indépendants et de personnes non-salariées exerçant une activité privée, pour cibler ainsi 22 millions de bénéficiaires.

Rouage essentiel de cette révolution sociale en cours, la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) se prépare à la généralisation de l’AMO depuis plus d’un an, lorsqu’elle a été désignée en tant qu’établissement qui va accueillir les nouveaux arrivants. Pour réussir ce tour de force, la CNSS a pris plusieurs dispositions. L’une des premières a été de revoir ses systèmes d’information (SI) et ses process, d’autant que la Caisse était habituée à seulement accueillir des assurés salariés du privé.

«Les process d’assujettissement, d’immatriculation, de cotisation, de recouvrement…, sont complètement différents de ceux qui vont être appliqués à la nouvelle population, notamment les non-salariés et, plus tard, les «Ramedistes». Nous avons donc dû adapter nos systèmes d’information», explique Hassan Boubrik, DG de l’institution. L’objectif étant de rendre ces SI plus robustes, sécurisés et fiables pour traiter un volume de transactions et d’opérations beaucoup plus important.

L’autre axe sur lequel il a fallu agir concerne le réseau, composé de 120 agences lorsque Boubrik est arrivé à la tête de la CNSS en février 2021. Il fallait l’adapter à la nouvelle donne, puisque la Caisse s’attend à passer de 7 millions à près de 29 millions de bénéficiaires à la fin de cette année. Ce réseau est par la suite passé à 170 agences et va être porté à 200 agences prochainement. Mais, concède le patron de la Caisse, «cela reste largement insuffisant par rapport aux attentes et besoins de ces assurés-là qui ne doivent pas faire des dizaines, voire des centaines de km pour déposer leur dossier maladie».

C’est pourquoi, en appui à ces agences fixes, les capacités en matière d’agences mobiles, qui vont surtout sillonner les zones rurales, ont été doublées. De même, des partenariats ont été noués avec les points de proximité, dont notamment les établissements de paiement. Le réseau d’agences constitué par ces points de proximité est estimé à 15.000 unités. «Nous avons déjà un accord avec 8.000 points pour tout ce qui est immatriculation, 4.000 pour les paiements de cotisations et 2.000 pour les dépôts des dossiers maladie. Les gens peuvent actuellement déposer leur dossier maladie de manière tout à fait sécurisée dans ces points de proximité», assure Boubrik. Qui précise cependant que «cette extension du réseau a nécessité beaucoup de travail, parce qu’il a fallu mettre à leur disposition nos systèmes d’information, avoir des interfaces avec eux, mettre une logistique pour le ramassage des dossiers maladie, former les ressources humaines dans ces points de proximité et veiller à ce que la qualité des services qui y sont délivrés ne soit pas inférieure à celle que l’on peut avoir dans nos agences».

Aujourd’hui, la machine semble bien huilée. Au total, entre 25.000 et 30.000 dossiers d’assurance maladie sont traités par jour, dont 12.000 à 13.000 provenant des points de proximité. «Ils sont traités dans des délais tout à fait raisonnables : nous sommes à 9,3 jours de délai moyen de remboursement, ce qui est excellent», se félicite Boubrik.

 

La digitalisation et les RH, le nerf de la guerre

La CNSS a une culture digitale forte, symbolisée au demeurant par le portail Damancom qui existe depuis 2003. Elle a fait de la digitalisation un levier majeur pour fluidifier et améliorer la qualité des services rendus à ses assurés, surtout avec la montée en puissance de l’activité due à l’AMO. «L’investissement dans les SI était cependant insuffisant à mon sens. Nous l’avons sensiblement augmenté», confie Boubrik. Actuellement, les procédures d’immatriculation, de déclaration de la famille…, peuvent se faire totalement à distance à travers le portail. Mais les citoyens qui ne sont pas à l’aise avec les outils Internet, peuvent toujours se rendre dans les points de proximité. En dehors de l’AMO, d’autres services sont digitalisés, notamment ceux du régime général. «Nous avons commencé par les allocations familiales. Dans les semaines qui viennent, nous allons généraliser à tous les autres services du régime général  : retraite, indemnité journalière de maladie, pension d’invalidité…».

Le patron de la CNSS mise à fond sur la digitalisation. Car, pour lui, cela permet d’améliorer sensiblement la qualité des prestations fournies par la Caisse, tout en nécessitant moins d’effectif. «Les premières estimations que nous avions faites montrent que si nous ne dématérialisons pas la partie AMO, il fallait 1.800 recrutements supplémentaires, soit internalisés, soit externalisés, pour le traitement des dossiers. En digitalisant à 70, voire 80%, on tombe à 300 recrutements», justifie-t-il. La CNSS va néanmoins continuer à recruter, mais pour des postes à plus forte valeur ajoutée. Par ailleurs, avec la venue des Ramedistes et l’ouverture encore plus importante des droits pour les travailleurs non salariés (TNS), la Caisse s’attend à traiter entre 70.000 et 90.000 dossiers par jour contre 30.000 dossiers actuellement.

 

Une mobilisation collective
Ce chantier de généralisation ne se fait pas uniquement par la CNSS. «Il s’agit d’un effort collectif très important, avec notamment le soutien du gouvernement qui a sorti, au 31 décembre 2021, la quasi totalité des décrets», affirme Hassan Boubrik. En effet, depuis le lancement de ce chantier, 22 décrets ont été adoptés et vont permettre à 11 millions de travailleurs non-salariés et leurs ayants droit de pouvoir bénéficier de la couverture médicale et de l’AMO couvrant les frais de consultation médicale, de médication, d’hospitalisation et de soins. Par ailleurs, «les organismes de liaison, qui sont pour la plupart des départements ministériels (l’Agriculture, l’Artisanat, la DGI…, ndlr), font un travail énorme d’identification des travailleurs non salariés afin de constituer et de nous transmettre les bases de données pour qu’on puisse les immatriculer», souligne Boubrik. Les données fournies par ces organismes (nom, prénom, CIN……) sont croisées avec celles de la Direction générale de la sureté nationale (DGSN) et de la Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale (CNOPS) pour les fiabiliser. «Nous échangeons aussi avec les opérateurs télécoms pour avoir les numéros de téléphone et avec les banques pour se procurer les RIB», indique Boubrik, précisant que «tout cela a fait l’objet d’un process avec la Commission nationale de contrôle de la protection des données à caractère personnel (CNDP) qui nous autorise à recueillir et traiter ces informations». Le patron de la CNSS rassure aussi sur le traitement des données tout au long du processus : «pour les points de proximité, l’information fournie n’est pas d’ordre médical. Il n’y a que le numéro d’immatriculation qui est saisi. Concernant le centre de traitement, il est considéré comme une extension de la CNSS. Les opérations y sont traitées sur notre propre système d’information»


«L’écart est très important», avoue Boubrik. C’est pourquoi «nous avons mis en place des centres de traitement (externalisés) avec des prestataires externes. Ils sont sous notre supervision, avec une formation dispensée par la CNSS. Pour une vingtaine de ressources externes, nous avons un superviseur bien expérimenté salarié de la CNSS afin que le traitement des dossiers se fasse sans problème», explique-t-il. Ces centres vont donc permettre d’absorber le surplus d’activité attendue.

Tout un process a été mis en place  : les dossiers maladie sont déposés dans les réseaux (les 2.000 points), puis ramassés par un logisticien, en l’occurrence Sapress qui a été choisie pour cette mission, et enfin acheminés chez un prestataire externe dans un centre d’opération back-office situé à Ain Sebaâ, où opèrent 140 personnes actuellement. «Globalement, 70% des dossiers jugés simples sont traités sur place puis archivés, et les 30% restants, que l’on estime compliqués, sont scannés et envoyés chez nous, au niveau central», explique le patron de la CNSS. «C’est tout ce dispositif qui nous permet de faire face à cette forte hausse d’activité. L’effectif du centre peut être porté à 800 en deux ou trois semaines, le temps de former des compétences, en fonction de l’augmentation du niveau d’activité. Toute la partie architecture est calibrée pour accueillir jusqu’à 900 personnes supplémentaires», ajoute-t-il.

Ce choix de ne pas recruter des ressources permanentes est légitimée par la Caisse par deux éléments : le besoin de flexibilité et un gros projet d’un nouveau système d’information qui permettra de dématérialiser complètement l’AMO. «En misant sur la digitalisation, nous n’avons pas besoin de recruter à terme énormément de personnel. Par contre, nous renforçons nos ressources de 300 personnes sur la partie AMO au niveau central. Parce qu’il faut bien des gens pour traiter les 30% de dossiers compliqués que nous recevons du centre d’opération d’Ain Sebaâ», précise BoubriK. Soulignant aussi que les RH vont être renforcées dans tout ce qui est inspection, monitoring par rapport aux prestataires de santé, lutte contre la fraude sociale, contrôle et recouvrement. La CNSS ne dispose que de 140 inspecteurs pour le contrôle et 140 agents pour le recouvrement, ce qui est très insuffisant. Le recouvrement des cotisations reste par exemple un maillon important de la chaine, car «si on veut mettre en place un système de protection sociale, il faut sécuriser les ressources financières par les cotisations», explique Boubrik. Globalement, les RH vont être renforcées de 500 personnes cette année.

«Toutes ces mesures prises et les process déployés nous permettent, au final, d’immatriculer et de servir les assurés dans de bonnes conditions. C’est quelque chose d’extrêmement important», note-t-il. Mieux encore, la CNSS estime être dans les délais sur le plan opérationnel, avec l’immatriculation de 2,03 millions de travailleurs non-salariés au 21 juillet 2022, dont 840.000 agriculteurs et plus de 300.000 artisans. «Sur ces 2 millions, seules 300.000 personnes ont activé leur compte AMO sur notre portail», précise cependant Boubrik. Rappelons que pour les Ramedistes, le processus d’intégration à l’AMO démarrera durant ce second semestre 2022, pour une intégration effective avant la fin de l’année.

En attendant, il va falloir poursuivre l’adoption et la mise en œuvre de l’arsenal juridique. Il s’agit notamment des décrets relatifs à l'AMO de différentes catégories de professionnels et travailleurs indépendants et personnes non-salariées exerçant une activité libérale, la loi n°65-00 portant code de la couverture médicale de base, la loi cadre n°34-09 relative au système de santé et à l'offre de soins, le statut particulier des professionnels de santé et la loi relative au régime de la sécurité sociale. Il est aussi prévu la mise à niveau de la gouvernance de la CNSS pour prendre en compte l'octroi de la gestion de la généralisation de l'AMO à cet organisme.

 

Les défis que pose l’AMO
L’assurance maladie obligatoire est un sujet à la fois complexe et passionnant  qui pose cependant d’énormes défis. L’un des plus saillants a trait au vieillissement de la population, ce qui impacte fortement l’AMO. Actuellement, les progrès de la médecine font que beaucoup de pathologies mortelles ont évolué vers des maladies chroniques. «Et l’on s’en félicite évidemment. Mais du point de vue du régime de l’assurance maladie, cette évolution médicale fait que le risque se transforme en risque à long terme qu’il faut gérer avec beaucoup de prévention et de monitoring», souligne Boubrik. Raison pour laquelle, poursuit-il, «un grand sujet va se poser avec l’AMO : passée cette phase d’intégration, comment faire pour remplir de façon optimale notre rôle de vrai assureur ? C’est-à-dire faire passer la Caisse d’un d’établissement presque à caractère administratif, qui liquide des dossiers sur la base de la conformité, à un vrai assureur maladie qui va gérer le risque, essayer de le réduire et tenter d’augmenter l’efficacité du système en général». «L’investissement sur la data est donc important à ce niveau.  Nous venons de lancer une étude sur la transformation digitale de la CNSS dans ce sens-là», conclut le patron de la CNSS.

 

 

 

 

 

 

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