Pauvreté- Inégalités - Genre : Les angles morts des progrès économiques

Pauvreté- Inégalités - Genre :  Les angles morts des progrès économiques

Dans sa récente note, le haut-commissariat au Plan (HCP) apporte un éclairage analytique sur la trajectoire de développement du pays entre 2000 et 2023.

(…) il n’y a de place, ni aujourd’hui, ni demain pour un Maroc avançant à deux vitesses». Tels ont été les mots du Roi Mohammed VI, dans son discours lors de la fête du Trône, le 29 juillet dernier. Ce discours a été la base de l’analyse réalisée par le HCP sur la trajectoire économique du Maroc de 2000 à 2023.

En effet, le Maroc a beaucoup changé depuis le début des années 2000. Il a amélioré ses indicateurs sociaux, renforcé son économie et atteint pour la première fois le rang des pays à développement humain élevé. Pourtant, derrière ces chiffres encourageants, le dernier rapport du HCP dresse un constat nuancé : les inégalités persistent, la classe moyenne est fragilisée et la pauvreté fait un retour inattendu, surtout en milieu urbain.

Sur le papier, la trajectoire économique est nette. Le revenu disponible par habitant (RDBH) a été multiplié par 2,5 en 20 ans, atteignant près de 27.000 dirhams en 2023. L’espérance de vie a gagné plus de dix ans depuis 1990, la durée moyenne de scolarisation a progressé et l’Indice de développement humain du pays s’élève désormais à 0,710. Autrement dit, le Maroc est entré dans la catégorie des pays à développement humain élevé.

La pauvreté extrême, elle, est quasiment éradiquée. En effet, moins de 0,3% des Marocains vivent aujourd’hui sous le seuil international de 1,90 dollar par jour. Un succès qui témoigne de l’efficacité des politiques sociales et des investissements dans les infrastructures et les services publics.

Des fragilités bien réelles
Mais ces progrès ne racontent pas toute l’histoire. Depuis 2014, le pouvoir d’achat des ménages progresse beaucoup plus lentement et devient de plus en plus instable. La crise du Covid-19 a provoqué une chute brutale de 5,4% en 2020, suivie d’un rebond en 2021, puis d’un nouveau recul en 2022 sous l’effet d’une inflation élevée. Résultat : même si les revenus ont augmenté, beaucoup de familles ont vu leur niveau de vie reculer.

La pauvreté, qui avait reculé jusqu’en 2019, est repartie à la hausse. Son taux est passé de 1,7% à 3,9% en seulement trois ans. Surtout, elle a changé de visage : autrefois concentrée dans les campagnes, elle touche désormais de plus en plus les villes. En 2022, près de la moitié des personnes vulnérables vivait en milieu urbain.

Les inégalités, elles aussi, se sont creusées. L’indice de Gini, qui mesure les écarts de niveau de vie, est remonté à 40,5%, effaçant les progrès de la décennie précédente. Plus frappant encore : les dépenses alimentaires des ménages modestes ont baissé, preuve que les plus fragiles ont dû sacrifier une partie de leurs besoins de base pour s’adapter à la hausse des prix.

Sur l’égalité entre les sexes, le tableau est ambivalent. Les réalisations institutionnelles et éducatives sont tangibles, avec une baisse du taux de mortalité maternelle, une quasi-parité à l’école primaire, et une représentativité politique féminine en hausse avec aujourd’hui 21,4% des députés, contre moins de 1% dans les années 1990. Mais sur le marché du travail, la réalité est tout autre. Le taux d’activité des femmes stagne autour de 19%, contre près de 70% pour les hommes. L’Indice de développement de genre reste donc déséquilibré, montrant que l’égalité légale et scolaire ne s’est pas encore traduite en égalité économique.

Une croissance à rendre plus inclusive
Le HCP rappelle une leçon essentielle selon laquelle la croissance ne réduit la pauvreté que si elle est équitablement partagée. Entre 2007 et 2019, l’amélioration du niveau de vie était portée par une croissance «pro-pauvres», redistributive. Mais depuis la succession de crises inflationnistes et de Covid-19, ce lien s’est brisé. Aujourd’hui, une hausse des inégalités suffit à annuler plusieurs années de progrès en matière de réduction de la pauvreté.

C’est pourquoi le Royaume doit repenser son modèle de développement. Rejoignant l’appel royal pour un «développement territorial intégré», le HCP appelle le Maroc à maintenir un rythme de croissance économique soutenu et inclusif. De promouvoir des politiques sociales redistributives ciblées, notamment le renforcement de la protection sociale, l’investissement dans le capital humain et le développement des zones défavorisées. De plus, il faut intensifier les initiatives en faveur d'une économie verte, de la résilience climatique et de la gestion durable des ressources naturelles pour faire face aux pressions environnementales. Et, enfin, il s’agit de combler les déficits d'équité de genre, en transformant les acquis légaux en égalité des chances et des faits, notamment en encourageant la participation économique des femmes.

La clé réside dans la capacité à conjuguer agilité institutionnelle, intelligence collective, rigueur d'exécution et redevabilité, appuyées par des données probantes et ouvertes pour mesurer l'impact concret des politiques. C'est à ce prix que le Maroc pourra éradiquer la pauvreté résiduelle, prévenir son retour et bâtir un avenir où la prospérité ne sera pas l'apanage de quelques-uns, mais le socle d'un développement humain durable et véritablement partagé par tous les citoyens, sans distinction ni exclusion. ◆

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